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Marion Cousin et Borja Flames s’élancent avec délicatesse dans la poésie. Combien de lecteurs perdus à la lecture du mot poésie ? Merci à toi, qui restes et poursuis.

Qu’est-ce que la poésie ? Un moment, celui où la voix intérieure se défait d’un corps et parvient intacte dans le corps d’un autre, un lecteur par exemple. Un auditeur.

Ici, la voix vient des champs, du travail de la terre, des danses saisonnières. Il s’agit de fêter une récolte, la rémission d’une mauvaise grippe, une naissance. Mais la joie n’est jamais complète, jamais outrancière. Des animaux se font entendre, chantent comme ils aboient, ou surgissent par leur nom prononcé.

Les voix, parfois superposées à l’octave, à la quinte, avec un bourdon, créent un effet de vocoder dès l’introductif Aqua la Mordance par exemple. Une certaine idée de la modernité. Laurie Anderson, are you there ? Are you coming home ? Emmanuelle Parrenin, Yves Simon autour de 1973, Malicorne, Honeymoon Killers, Moondog, Meredith Monk, qui sait. Des artistes peuvent être cités, c’est la loi du genre. Et Catalina Mattoral ne les brûle pas toutes, les lois. Une réminiscence pop, un groove dance au besoin. Tout cela existe, et c’est un vocabulaire.

Les chansons de Catalina Mattoral donnent des réponses à des questions dont on ne saura jamais rien. C’est un peu ce que chacun fait chaque jour. Mais ici, c’est en conscience, et cela devient l’une des poutres de soutènement de l’édifice. Demeure une élégance retenue, qui doit beaucoup à la justesse de Marion Cousin en sa voix, confiante, aux lisières de la mélancolie. Toujours prête à changer de tonalité, posant la note altérant soudain le paysage pour le tendre, et le rendre tendre.

Un regard se tisse en ces mots. Il est souvent proche des visions d’Eugène Savitzkaya, agglomérant les miettes du quotidien avec l’inaccessible. Le vocabulaire rare alterne avec un ton plus familier, celui de la conversation avec des proches. Depuis quelques années, Marc Graciano brode dans des ateliers semblables.

Catalina Mattoral est porté, traversé par le rhythmus tout au long de ces dix pièces. Le rhythmus désigne dans le haut Moyen-Âge la poésie rythmée et chantée. Le langage, la voix, la musique ne forment qu’un. C’est un mot et une pratique hérités du grec ancien ayant pour but de captiver le public, donner au corps l’envie de danser en rond, en résonance avec les rythmes du monde, les rythmes des autres humains à qui on donne la main. Donner à entendre et à sentir le divin dans les formes du monde, en somme. Son but est aussi d’être mémorisée. Les chansons de Catalina Mattoral forment des cercles, des bulles translucides qui tournent dans la tête : le crâne aussi est une sphère. Le sang la traverse et bat sa mesure, l’irrigue à intervalles réguliers, et les échos se répondent en chaque fragment, et entre les fragments, et sans doute entre l’ensemble et la vie même de Marion Cousin et Borja Flames.

Elle et lui se complètent de leur voix comme de leurs inflexions. Un souffle maîtrisé, une diction parfaite, et cette sensation que chaque mot a sa nécessité, chaque phrase son origine et son but. Le sens s’irise dans les sens. Voilà longtemps que je n’avais entendu chansons aussi délicates. C’est-à-dire déliées. Marion Cousin et Borja Flames ont défait leurs liens, avec patience et obstination. Les voici capables de se promener dans n’importe quelle dimension de l’espace et du temps, sans séquelle autre que la beauté.




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