Elles sont petites, elles peuvent vivre seules, mais quand elles sont en groupe, nous parlons même de colonies, elles nous offrent un produit qui donne à nos corps une défense naturelle. Malheureusement, par la grâce d’une forme d’industrialisation de la production naturelle, nous tuons ces petites bêtes. Elles se sont les abeilles, et le produit, c’est ce miel qu’elles produisent, nectar qu’elles produisent après une récolte dans les fleurs.
Mais que vient donc faire ici cette quasi-notice du fonctionnement d’une ruche écrite pour les élèves de CP par un militant vert travaillant au sein d’un regroupement de producteurs locaux pour un mode de distribution directe et raisonnée. C’est que cet album des Allemands de Aloa Input a en commun avec les travailleuses infatigables et nécessaires à nos vies. Mettons de côté l’aspect nécessaire, car aucune musique ne l’est, sauf peut-être le bruit du silence (là, c’est une façon d’amadouer les fans hardcore de Programme qui ne butinent plus depuis pas mal de temps). Ne gardons que la dimension physique, cet art de butiner dans n’importe quelle fleur et de mélanger le tout pour offrir à nos oreilles un nectar doux sans être liquoreux. Les compositions d’Aloa Input mélangent un nombre incalculable de pistes, de diversions sonores, de colorations et teintes. Avec The Notwist, Aloa Imput partage ce plaisir de la mélodie s’épanouissant dans des méandres sonores, et toute la première partie du disque est une sorte de dialogue entre Munich et Weilheim. La fascination viendra , après celle qui peut nous pousser à scruter le va-et-vient des abeilles entre la collecte et le don. Elle pointera son nez sur « Atlas Daze » comme un titre de Belle and Sebastian bricolé non pas dans une église, mais dans la Chapelle perdue d’un col sans empreinte sur le sol. Elle se plaira face à la narration de « Beta Mourning Journal » ou de « Down to Dust », brûlant la nuque envieuse des débuts déjà lointain, mais tellement présent de Syd Matters. Elle sera à son summum cette fascination avec « Devil’s Diamond Memory ». C’est un pont miraculeux entre Stereolad et TV on The Radio sous le haut patronage d’un Angil revenant d’outre-tombe, surplombant un monde peuplé d’une forme d’humanité proche de la zombification. Mark Hollis rode sur ce titre son « Rune II » comme fil d’Ariane improbable et déchirant, mettant la définition même de frisson en danger, bousculant l’ordre d’un dictionnaire aux allures de tableau d’Edvard Munch.
Dense mais pas écrasant, ce disque est à l’image de nos petites sauveuses, discret mais probablement indispensable. Merci Jérôme.