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A quelques encablures du Rimbaud, signé Karton, sort cette année le Baudelaire dans la version de Bertrand Louis. Un disque très inspiré qui ne souffre en aucun cas d’une quelconque comparaison avec ces illustres prédécesseurs qui se sont confrontés à l’univers de l’auteur des Fleurs du mal : Léo Férre, Bernard Lavilliers ou Jean-Louis Murat pour ne citer qu’eux.

Il y a une véritable fièvre qui s’empare de tout l’album sans jamais baisser d’intensité. 10 titres, c’était le bon dosage pour apprécier à la fois l’extrême lucidité et l’empathie fulgurante des vers de Charles Baudelaire qui, comme aucun autre poète, a su habiter dans tout son être, chacun des personnages évoqués dans ses vers. Il sait se confondre avec la chair, avec l’âme, je dirais même jusqu’à l’ombre de son sujet qui n’est autre que lui-même dans le corps d’un autre. Commencer l’album par « Le chat » apparaît ainsi tout de suite comme une évidence : « Lorsque mes doigts caressent à loisir ta tête et ton dos élastique et que ma main s’enivre du plaisir de palper ton corps électrique ».

Ces vers définissent assez bien la teneur générale de l’album qui aura cette souplesse dans le phrasé et cette intensité électrique dans l’instrumentation. Ainsi, Bertrand Louis, dans ses arrangements, choisit de rester quasiment sur les mêmes instruments tout au long des 10 titres, en imposant une unité musicale qui donne une véritable cohérence à l’album. Comme cette harpe à la fois rythmique et mélodique, qui hante subtilement tout l’album en nous permettant de savourer ses sonorités qui sont à la fois totalement modernes mais aussi directement relié à un pouvoir de nostalgie capable de nous replonger en plein dix-neuvième siècle.

Bertrand Louis ose même se frotter au « Luxe, calme et volupté » de la mythique « Invitation au voyage » et le résultat est saisissant de simplicité et d’extase. Entre chaque titres, Bertrand Louis nous susurre à l’oreille le nom de chaque chanson à venir et impose un rythme qui nous installe sans sourciller dans l’album où nous pourrons tour à tour goûter le verbe haletant de Baudelaire qui utilise la rime non pas comme une pause mais comme un ressort qui nous projette en avant, dans la course effrénée du poème. Haletant est le mot juste car, dans ses compositions, Bertrand Louis choisit d’aller parfois d’un seul jet, d’un seul souffle, jusqu’au bout du vers. Nous souffrons presque avec de lui de ne pouvoir qu’à peine reprendre notre respiration alors que les mots suivants surgissent déjà et font plus mal encore, comme lorsque il prend la voix de la beauté : « Mon sein où chacun s’est meurtri tour à tour est fait pour inspirer au poète un amour éternel et muet ainsi que la matière ».

Pour « Harmonie du soir », Bertrand Louis va même jusqu’à s’imposer le silence, préférant ne pas chanter le texte pour laisser place à un très bel instrumental où la harpe, une nouvelle fois, nous happe. Et c’est pourtant comme si le texte se faisait entendre : « Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ». Un parfait moment d’apaisement pour mieux faire surgir « Elévation », un des plus beaux poèmes de Baudelaire : « Heureux celui qui plane sur la vie et comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes ». C’est une spirale du verbe, un vertige des mots, qui nous dévoile petit à petit nos profondeurs en en faisant surgir des chose sublimées, un peu comme ces fleurs du mal éclatantes de parfums et de couleurs, et pourtant venimeuses, qui surgissent de notre être.

Chez Baudelaire, tout n’est pourtant pas aussi crépusculaire qu’il y paraît. Des choses s’éveillent en nous. La voix de Bertrand Louis, parfaitement contrôlée, en avant, mais sans débordements, nous permet cet éveil. Nous n’avions peut-être pas encore vraiment saisi Baudelaire. Et le voici qui apparaît comme un spectre tout droit sorti des photographies de Nadar, à l’image de la pochette où Baudelaire semble veiller tel un fantôme aux yeux impénétrables derrière la silhouette du chanteur.




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