Pour dépasser les chicaillas sémantiques qui aspirent le cortex au moment de poser un début de diagnostic sur les disques qui nous accrochent et que l’on tente vaille que vaille de chroniquer. Au-delà des hésitations coupables qui toujours balancent entre les concepts paradoxaux (proto-chose ou post-bidule, avant-truc ou free-machin) pour qualifier une musique qui ne peut l’être, parce qu’émanant des bords de route, parce que déviante, cet album est résolument à propos. Au Top en quelque sorte (!).
Réfractaire aux appellations d’origines contrôlées et contrôlables, ce nouveau Lp de Philippe Petit aurait dû être une émanation des polymorphes Strings Of Consciousness (SoC), super-groupe de onze membres dont on retrouve ici pas mal de membres éminents (Karim Tobbi, Hervé Vincenti et Nicolas Dick l’ex-Kill The Thrill aux guitares, Andy Diagram dont la trompette a frayé chez Pale Fountains ou Michael Head, la harpiste électroacoustique Rafaelle Rinaudo croisée chez Pierre-Yves Macé...) eux-même immergés dans la nébuleuse artistique gravitant depuis des décennies autour de Petit. Des amitiés tissées au gré des multiples activités du bonhomme (label, radio, journalisme, production, Djing...), avec des personnages haut en couleur et aussi cruciaux que l’imposant Eugène S. Robinson (Oxbow), Jad Fair ou encore Lydia Lunch.
Tout ceci suffit déjà à orienter et définir a minima les contours mouvant du projet. A l’origine, On Top se voulait l’ultime partie d’une trilogie initiée par les SoC qui entre-temps décidèrent - malheureusement - de se séparer, ce qui ne va pas empêcher notre producteur qui a de la suite dans les idées de convier ses potes sous la bannière Philippe Petit & Friends.
Sound designer à l’imagination débordante, performer habité, il retrouve ici son terrain de jeu de prédilection, du moins celui où on le trouve excellent : l’échafaudage d’une musique à forte densité dramatique et mystique, flottant entre épure ambient, symphonie Indus et cavalcade EBM, avec cette pointe d’expressionnisme inquiétant et sauvage, que l’ensemble des interprètes vocaux (un différent pour chacun des neuf morceaux) servent et transcendent avec créativité. Une créativité toute "récréative" si on peut dire, tant chacun d’eux semblent s’employer à l’exploration et l’expérimentation de techniques assez éloignées de leur zone de confort habituelle. La palme revenant à la toujours très flippante Lydia Lunch, méconnaissable sur un F.T.C. où nappes électro, psaltérion et cymbalum lui offrent un écrin des plus lugubres.
Tout au long de ces quarante cinq minutes, Philippe Petit et ses amis vont s’escrimer à creuser profondément dans la matière brute de leur production sonore, de sorte que s’embrassent et s’embrasent des musiques et des ambiances que l’on n’entend que très rarement dialoguer aussi librement et intelligiblement.
D’un premier abord revêche , ce disque s’apprivoise pourtant plutôt bien. Quel plaisir de suivre pas à pas ces pistes accidentées, mal embouchées et mélodramatiques pour certaines, carrément psychotiques pour d’autres (le morceau introductif The Hammer + The Compliant Man et le conte déroutant scandé par un Robinson bien allumé) pour finir dans l’emballement final vers cette montée étourdissante, le point culminant de la tracklist, où prend sa source On Top Of The Pyramid Of The Sun Of Teothihuacan, morceau noise fleuve ahurissant. On y retrouve Vincenti et Nicolas Dick engagés à fond dans un combat de drones dissonants et surtout Heike Aumüller du Kammerflimmer Kollektief au chant, borborygmes, souffles et feulements possédés s’envoyant furieusement contre un violoncelle poussé dans les plus soniques de ses retranchements jusqu’à cette conclusion qu’on se refusera ici de spoiler.
Dites vous bien que ce final d’une beauté foudroyante fera résonner en vous tout ce disque d’une manière différente, vous insufflant l’irrépressible envie de vous y replonger. Vous êtes prévenus, vous allez vous attaquer à un sommet. Soyez prêts !