22h48 un mail tombe, c’est Jean. Une phrase ; Michniak a sorti un nouvel album, il est sur Bandcamp, il n’a pas de label. 22h48 il me semblait trop tard pour écouter ce nouveau Michniak. De plus j’avais deux titres dans un coin, comme si il était possible de mettre des morceaux dans un coin. Je repense alors à ce message sur Facebook, un message sibyllin de Michniak annonçant qu’il fermait son compte, geste que nous ferions peut être mieux de tous faire. Fermer un réseau social alors que l’on a un disque à partager, il y avait là quelque chose d’anormal, sauf peut être chez celui qui est responsable de deux des disques les plus importants de ces 20 dernières années, le #3 de qui vous savez, bien sûr que vous savez, et le premier album de Programme, monolithe noir dépassant peut être tout ce que nous avions pu écouter jusque là.
« alors je vais le faire maintenant
d’un coup
en une phrase presque infinie
non je le fais maintenant
ah bon
y a pas de ah bon
depuis que j’attends bloqué dans mon esprit
je voulais dire maintenant
me rendait compte que quand je le disais ça voulait dire hier ou demain
finalement c’était pareil
il fallait trouver le moyen de redire toujours maintenant
alors j’ai pensé bientôt
bientôt,
mais j’y ai pensé trop longtemps c’était pas ça en fait
comme quoi à trop penser,
mais c’est derrière maintenant
le bientôt.....
Une pochette, une image plutôt, Michniak hagard dans un couloir rouge, tout à la fois plateau de cinéma de chez Kubrick et reprise des lieux viciés du Nearly God d’un Tricky à la tension extrême. Après le presque solaire « Pour Qui Sonne Le Tilt », Arnaud, enfin Michniak serait revenu, un retour comme un départ, la sensation d’assister à quelque chose d’irrationnel, comme si une boule au ventre complètement dénuée de rage venait se déposer en vous. Irrationnel, car ces morceaux semblent ne pas connaitre le travestissement, laissant les coupures, les reprises, les glissements, les glissements. Michniak entame son propre dépeçage, s’autorise de ne pas croire au format pop en violant avec la délicatesse d’un ermite qui redécouvrirait les joies d’un pain dans lequel il mettrait son nez pour humer cette mie aérée. Il y goutera, mais le laissera, il vivait sans, comme Michniak d’ailleurs, il vivait sans. Introspectif, froid, pourvu d’une pudeur sans frontière, libre de se laisser aller. Les souvenirs, les rêves, tous se mélangent, donnant au point au bout des phrases la perspective du précipice vers lequel nous avons peur de tomber, lui avec nous, nous avec lui.
"Il marche au milieu d’une route depuis le début
des voitures passent à quelques dizaines de centimètres de lui
et à ce moment là
il regarde les gens passer et c’est comme s’il les voyait pour la première fois
d’une nouvelle manière
comme s’il comprenait à ce moment là quelque chose de la vie
des gens
pour la première fois
se lever puis tomber
se relever
indéfiniment
comme le jour et la nuit
la marche et le sommeil
nous ne faisons que ça peut-être
vus de loin
à la vitesse de la lumière
sentir plusieurs vies passer en accéléré
il prend de la vitesse
sur ce chemin sans rétroviseur
puis ferme les yeux et commence à compter
un deux trois
et manque le fossé de justesse
en dérapant puis reprend le contrôle du véhicule
quatre cinq
et ouvre les yeux à nouveau
et les referme encore et compte
jusqu’à l’infini…"
Est un aurevoir ? Est ce un point final ? Est-ce le bout d’un tunnel ? C’est en tout cas l’impression de prendre en plein cœur, un moment qui te fait oublier le centre et les aiguilles qui y sont fixées.