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Bon dieu !!!! Que cette société m’afflige !!!!

Aujourd’hui on fait rimer exigeant et savant avec chiant. La curiosité recule là où la singularité, l’originalité n’ont plus le droit de citer.

Créer sans frontières est devenu un acte politique pour ne pas dire libertaire. C’est le cas du label Le Saule, entre Folk hybride et musique des mondes, entre malaxage des influences et des confluents et volonté de briser les fondations d’une certaine idée de la chanson française.

Je retrouve dans cette démarche comme des répliques, des soubresauts du Maelstrom Punk des années 70 face à un Rock qui s’était embourgeoisé dans des soli de guitares chiants comme un mauvais épisode de Derrick (pléonasme).

La littérature, par exemple, a su évoluer et se métamorphoser de manière radicale.... De Céline à Duras, combien de révolutions lunaires !!!!

Pourquoi ne pourrait-on pas en faire de même avec le langage de notre musique hexagonale quand on voit les codes du Jazz ou de la grande musique se déconstruire et se reconstruire ?

C’est ce pari ambitieux et audacieux qu’ont pris ces artistes là, que ce soient June et Jim, Léonore Boulanger, Jean-Daniel Botta, Aurélien Merle, Antoine Loyer ou encore Philippe Crab.

Certes, les productions du label Le Saule (ici aidés par la structure indépendante Les Disques Persévérance) ne sont pas toujours aisés à appréhender car elles requièrent une écoute de chaque instant pour en répandre tous leurs charmes.

Ceci posé et dit, il est toujours bon de donner des coups de pied dans la fourmilière. D’Arnaud Le Gouefflec à André Cheval, ils sont quelques uns à torturer ces musiques là pour leur faire rendre l’âme et les voir ressusciter comme métamorphosées... Ces mêmes artistes qui se refusent à trop de révérence respectueuse qui éteint la novation.

C’est d’ailleurs le brestois Arnaud Le Gouefflec (présent sur le volume 31) qui me disait d’un œil amusé il y a peu cette phrase magique bien plus profonde qu’elle n’y paraît :

"La chanson française n’existe pas"

Du Jazz manouche de Brassens au Swing de Trenet, de la musique auvergnate de la Musette aux effluves d’outre-manche de la Pop de Dominique A.

La création est née de l’irrespect, de l’envie d’abâtardir un concept sacré. Il faut laisser brûler cette rébellion tant qu’il y a des braises.

Ce manifeste pourrait être la devise de Philippe Crab avec "Necora Puber".

Il y a cette écriture musicale singulière entre dissonance, folklore des incertains, world music des sans horizons. Il y a cette langue à l’ésotérisme accueillant, cette langue à tiroirs qui se gagne. C’est à d’autres libertaires que vous penserez à l’écoute de ce nouvel album de Philippe Crab, le Label Saravah ("Ricochets"), John Martyn qui retrouverait le goût du jeu avec Pierre Barouh ("Ligne Claire"), Léo Ferré qui s’acoquinerait avec l’ouverture d’esprit d’un Nougaro.

C’est une musique savante, aventureuse. Ce trio-là fait des merveilles avec la voix en contre point de la charmante et irradiante Léonore Boulanger, le jeu riche et immédiatement identifiable de Jean-Daniel Botta. On se croit parfois à la bordure d’un classicisme mais très vite l’académisme est rejeté d’un mouvement d’idée d’une orchestration rythmique incongrue renvoyant aux musiques primitives immémoriales ("Parc") Cette démarche là ne relève pas d’un ethnocentrisme réducteur d’occidental intellectuel. Cela sent l’humus, la terre, les transes sans Peyotl, les rêveries à la Thoreau ("Madeleine")

C’est une musique qui se gagne, qui s’apprivoise. On croit saisir la mélancolie d’un Moustaki grandiose, la lumière solaire d’un Orso Jesenska. Entre déconstruction et haiku, entre vire voltage enthousiaste et contemplation immobile des lieux que l’on traverse, tout est fragile ici ("Averse")

Revenons à cette langue inventive, certes moins surréaliste et moins ancrée dans les déviances ludiques du copier-coller de Jean-Daniel Botta. Toutefois, force est de reconnaître que nous nous reconnaîtrons dans cet insecte qui glisse d’onde en onde sur ce lac caché au fond de la forêt dans cette clairière ("Forêt) Dire de "Necora Puber" qu’il est un objet bucolique serait par trop réducteur et caricatural. La nature chez Philippe Crab est toujours fortement chargée de la présence parasite et intrusive de l’homme, qu’ils s’agissent de vestiges, de traces de temps disparu... ("Concrétions")

Ecouter "Necora Puber", c’est comme être saisi par l’ivresse du paysage qui défile à la fenêtre d’un train... L’attraction éphémère d’une perception, l’apparition rare et instantanée d’un village qu’on ne verra jamais, de gens qu’on ne rencontrera pas, de zones industrielles laides comme des croûtes sur la chair, des pancartes de gares qui ne signifient rien, la patine du temps qui assèche les lieux, la vitesse de visions trop fugaces pour s’imprimer en nous ("Trains")

Et puis il y a le retour à l’enfance mais pas du territoire de l’idéal. Plutôt, celui du "Seigneur des mouches", plutôt cet état du cruel accepté, sans limite comme cet enfant qui se plait à tuer des fourmis pour ensuite les célébrer dans un cérémonial funèbre et solennel chargé du drame de sa mise en scène. Cet enfant aux aguets de ses découvertes, à l’alibi de sa construction en futur.

"Necora Puber" foisonne et est étrange.... Souvent fascinant, parfois irritant, jamais dans une politesse qui réduit ni dans une indifférence convenue. "Necora Puber" est singulier, imparfait mais vibrionnant et stimulant bien loin de toute envie de frilosité apeurée...




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