Alors que doit enfin sortir son premier album, Watine nous présente celui-ci, histoire de nous faire patienter, mais surtout afin d’attiser un désir qui à l’écoute de ce dermaphrodite n’est pas prêt de s’atténuer.
D’aussi loin que je remonte, je me vois assise sur mon tabouret de piano, retenant encore quelques secondes mes mains en l’air avant de poser mes doigts doucement sur les touches blanches et me laisser emporter par la musique jusqu’à n’en plus pouvoir d’avoir froid ou faim ou quittant à regret l’instrument pour un rendez-vous où je savais que je serais immanquablement en retard. Je ne sais pas comment parler de cette joie frissonnante qui me parcourt l’échine dès lors que viennent des mélodies sous mes doigts. Ce piano qui m’a vu par tous les temps et par tous les chagrins. Mon antidote aux imperfections de la vie ! Ce piano qui ne m’a jamais quitté depuis ma plus tendre enfance, me laissant au passage quelques premiers prix de concours de piano classique (Nerini, Rachmaninoff). Si vous ajoutez à cela un amour de la lecture, je me revois plongée dans l’édredon à plumes de ma grand’mère, dévorant les Jules Verne, et autres bibliothèques mises à ma disposition, et plus tard, une vraie passion pour l’écriture, je suis aujourd’hui ce résultat là, quelqu’un d’atypique, aimant me promener dans l’imaginaire, profondément indépendante et solitaire, ce que l’on appelle outre-atlantique, une songwriter. J’ai écouté et j’écoute toujours beaucoup de musique, j’en ai besoin comme d’un verre d’eau pour étancher ma soif (je ne bois jamais d’alcool). J’aime aller me ressourcer au bord de l’océan ou au vent du désert, je me sens faire partie de la nature, chez moi d’ailleurs, il y a des galets et des bois flottés qui voisinent avec mes travaux de collage et de peintures. C’est tout un environnement qui me soutient. Je n’arrive pas à me coller le mot d’artiste. Je pense être tout simplement quelqu’un qui s’essaye à tous les modes d’expression avec une sensiblité plus affirmée pour la composition et l’écriture, et qui ensuite travaille, et travaille encore sur les textes et sur les respirations musicales qui renforcent les harmonies, pour livrer un travail honnête, authentique et surtout qui me ressemble. J’ai eu la chance d’être poussée et soutenue par une famille musicale qui me suit depuis plusieurs années, et qui m’a vraiment aidée à atténuer le doute propre à toute création (on ne le chasse jamais !). Entre la joie sauvage de la création chez soi, face à soi, et le passage à l’acte pour délivrer un disque au public, combien de sentiments contradictoires m’ont envahi, j’en retiens principalement l’humilité. Je n’ai pas d’âpreté au gain, ni d’avidité de reconnaissance, je suis juste en attente d’une réponse basée sur de l’estime. Qu’ils soient peu nombreux m’importe peu, mais que ceux-là aient plaisir à pénétrer mon univers. On me pose très souvent la question : pourquoi chantez-vous en anglais ? là aussi, je voudrais faire la réponse la plus honnête possible et elle ne peut se contenir en une seule réponse. Je voudrais déjà dire qu’avant de chanter en anglais, j’écris en anglais et c’est une démarche de création assez difficile pour garder des mots simples, compréhensibles émotionnellement de tous. Ce n’est pas un choix de facilité ni de tentative d’entrer dans une famille musicale anglo-saxonne. J’ai en effet pendant des années composé des chansons avec des textes français, pour l’anecdote, je fus sélectionnée en 96 comme auteure pour participer aux stages " Voix du Sud " de Francis Cabrel. Mes amis le savent, j’aime les belles lettres françaises et j’écris beaucoup de poésie slam que j’aime réciter dans les cafés parisiens. Je n’avais aucune prétention d’écrire des textes littéraires en anglais, par contre je me suis vraiment attachée à parler vrai, à écrire ce que je ressentais, ce que je voulais transmettre. Sans doute, est-ce pour partie, mon activité de rédactrice de voyages qui m’a fait faire le tour du monde à plusieurs reprises, le véhicule du langage était tout naturellement l’anglais que j’ai donc pratiqué malgré moi au quotidien. Lorsque, poussée par un entourage professionnel de plus en plus insistant, j’ai décidé réellement de faire ce premier album, j’ai fait écouter des maquettes piano/voix en français et en anglais à un ami éditeur qui a tranché sans aucune possibilité d’hésitation, estimant que ma voix et mes textes anglais faisaient totalement corps avec mes compositions mélodiques. Que dire d’autre si ce n’est que je dois beaucoup pour cet album à bernard Becker, mon réalisateur avec lequel nous avons vraiment partagé des moments intenses de création, et à markus Dravs dont la seule association avec Bjork et Emilie Simon avec lesquelles il a une collaboration suivie, m’avait déjà remplie de bonheur, me laissant imaginer les broderies electro qu’il allait ajouter aux mixs. Et peut-être vous confier les quelques états d’âme qui ont accompagné la création des titres.
NEED I GO ON
Cette chanson est née au piano sur un accord de basse de do quasi-permanent, avec une large palette d’harmonies à main droite. Le choix de la structure s’est imposé à moi, en suivant le rythme du texte. " Need I go on " revient de manière récurrente, comme une respiration qui laisse la chanson en tension jusqu’à l’explosion du refrain que je ne fais intervenir qu’à la fin du titre, enserré dans des cordes lumineuses. C’est un titre que je ne me lasse pas de jouer au piano seul. J’avais écrit un texte en français pour cette chanson qui s’intitule " Pagaille " et qui reprend ce thème qui m’est cher : la liberté et le choix conscient de ne pas se perdre dans les exigences d’autrui. Peut-être le jouerais-je en français lors d’un concert !
FOLLOW MY VISION
Un jour, allongée sur une divine table de massage, l’anonyme praticien m’a délivré un cours sur les notes qui correspondent aux différentes hauteurs des vertèbres - selon la hauteur du souffle. J’ai pu ressentir très exactement les passages comme une vague qui montait sous la peau de mon dos. Et il m’a dit : vous êtes solaire, vous devriez composer en sol. C’est tout à fait le genre de message subliminal que j’adore ! Cet homme a laissé une trace dans mon inconscient. Voici le début de l’histoire de Follow my vision : Accords de sol et de ré, pour les couplets, et plongeon dans des harmonies mineures baroques sous tout le reste.. avec des voix harmonisées comme j’aime les faire... et un paysage romantico-flamboyant ! une amie proche me dit qu’elle y voit l’envol des oies sauvages.. c’est le titre préféré de Markus (collaborations avec Bjork, Peter Gabriel, Joseph Artur, Brian Eno, Emilie Simon..)
MILKSHAKE
Deux accords pour les couplets en fa et do, et une sortie inattendue pour le refrain, un titre majoritairement guitare avec la particularité d’une petite percu personnelle (un crapaud en bois) qui ressemble à des castagnettes présente tout au long du titre. Je me suis lâchée en écrivant un texte qui se récite et qui n’a pas trop à craindre des contraintes mélodiques. J’en ai profité pour harmoniser les voix à partir du 1er refrain. Le thème de la " girl next door " est universellement pathétique, mais autant noyer son chagrin dans un " milkshake " que dans l’alcool. Vous n’êtes pas d’accord ?
NOT A PRETENCE
Titre guitare/piano qui commence folk, passe par une dégoulinade de notes de piano surranées et se termine en joyeux jazzy pour le refrain que n’ai-je entendu que cela ressemblait à Norah Jones. Merci pour le compliment !. La dualité est présente chez tous. Ange ou démon, pudique ou extraverti, superficiel ou profond, il y a toujours ce moment de la vie de chacun où l’on commence (enfin !) à ressembler à ce que l’on est au fond de soi - sans provocation, en douceur, les choses prennent leur place dans leur vérité. La référence à l’excellent film " L’homme qui parlait à l’oreille des chevaux " m’est venue sans réfléchir. Cette chanson avait commencé en français sur un tout autre thème : Je pense que dans le fond, j’avais déjà gravé au front, des histoires comme mourir d’amour , des histoires comme attendre mon tour.. mais ceci est effectivement une autre histoire…
AFRAID
Sobriété des textes obligatoire sur une ligne mélodique simplissime que joue un Rhodes à peine appuyé par des textures électroniques - le bavardage est inutile, seuls restent les mots : " I’m afraid something wrong could happen " , c’est le constat que l’humanité perd son empathie naturelle, en oublie d’aimer son prochain et ne comprend pas pourquoi elle devient triste et laisse tomber ses combats d’homme - jusqu’à contaminer les enfants. Sur ce Rhodes permanent , nous avons ensuite pris le parti de mettre en avant des guitares omni-présentes tout au long du titre. Fabrice, merci encore (le guitariste !). Vous avez échappé à la version live, avec des infrabasses énormes ! mais elle reviendra sur scène !
LIKE THOSE FILMS
J’ai toujours été fascinée par ces hasards fulgurants qui bouleversent la vie amoureuse - ce que l’on appelle le coup de foudre, comme dans ces dessins animés où les yeux des personnages sortent de leurs orbites, et qu’ils partent en vrille totale, devant l’objet soudain de leur passion. J’ai cherché à dérouler un film avec un jeu de piano omniprésent et une voix à l’octave inférieure qui rythment l’espace, comme autant de témoins de la scène où l’on voit celle qui va devenir l’ex, et son impuissance à intervenir - devant l’évidence du coup de foudre qui naît sous ses yeux. Que dire d’autre quand tout vous échappe, alors j’ai laissé la parole au quatuor à cordes jusqu’à la fin du titre avec juste des percus faites avec la voix qui se fondent dans la rythmique.
SING "C’EST LA VIE"
Un hymne à la formidable aventure humaine. Il faut accepter de ne pas connaître notre futur, et pour autant, avoir une formidable confiance en l’être humain. Nous avons tous une singularité, une chance d’accomplissement personnel. Le refrain est implacable : Dis-toi que c’est la vie, fais lui confiance, fais-moi confiance ! Cela méritait une belle montée harmonique, relayée par des cordes pour que l’émotion soit au rendez-vous. J’ai eu la chance d’avoir un magnifique quatuor à cordes conduit par bernard becker, mon realisateur qui en avait écrit les scores, sur la base des arpèges composées au piano.
I ADORE
Monsieur BACH a encore frappé dans mon inconscient, pour cette petite mélodie toute simple teintée de petits scintillements electro. Un sourire, c’est un acte d’amour, comme un soleil qui vient fendre les yeux de l’intérieur. j’étais en train de composer une mélodie douce toute en mode mineur, et cette première phrase " I adore when you smile " s’est naturellement dévidée comme une pelote de tendresse, comme une déclaration d’amour teintée de mélancolie.
ANYMORE
Chronique annoncée de la fin d’une histoire amoureuse. Il est urgent de retarder le début d’une autre et de reconsidérer la manière de survoler la vie. Qui n’a pas été concerné un jour ? C’est un titre que j’adore jouer en piano/voix et qui me donne beaucoup d’énergie. D’ailleurs je le jouerais assez minimaliste sur scène. Là encore, je n’ai pu m’empêcher de travailler sur les réverbérations de voix, et sur des effets qui cisèlent le titre tout en le gardant dans une très proche intimité. J’aime particulièrement les 2 petites phrases parlées à la fin du titre que nous avons mise dans un effet de tube pour leur donner plus de relief !
CHARABIA
Ce titre m’a rendu folle longtemps au niveau de l’écriture. j’avais envie de parler de la Tour de Babel et de l’incommunicabilité apparente des citoyens du monde, alors que la musique est un langage universel - le problème est que j’avais fait toutes les voix qui se répondaient en " yaourt anglais ", et qu’il m’était impossible de réécrire autre chose que ce charabia primitif. Au final, j’ai gardé le nom du titre " Charabia " et j’ai eu la chance d’avoir un auteur américain qui m’a écrit ce texte plein de lyrisme que j’adore. C’est par ailleurs le seul titre où j’ai également demandé à un ami de me faire des chœurs assez graves que l’on entend en illustration à la deuxième mi-temps. Pour qu’il me reste une trace du charabia de base, j’ai enregistré une version qui sera peut-être collector un jour !.