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« Mais si le but poursuivi était, non de rester vivant, mais de rester humain, qu’importait, en fin de compte, la découverte des faits ? On ne pouvait changer les sentiments. Même soi-même, on ne pouvait les changer, l’eût-on désiré. Le Parti pouvait mettre à nu les plus petits détails de tout ce que l’on avait dit ou pensé, mais les profondeurs de votre coeur, dont les mouvements étaient mystérieux, même pour vous, demeuraient inviolables. » Quand Sparklehorse introduisait toujours « plus d’instrumental, plus d’expérimental » dans ses albums, Tim Rutili le fait avec Califone depuis une vingtaine d’années. C’est tout de même chanté, ça reste de la pop, des ballades. Et si une citation extraite de « 1984 » se trouve en exergue de cette chronique, ce n’est pas que je sors de la librairie, mais plutôt que je rentre à peine de chez la dentiste, envers laquelle je ne peux, le voudrais-je, changer mes sentiments.

J’écoute « Villagers » (rien à voir avec George Orwell, une sombre histoire de couronne mal « axée » dans ma gencive en bas, à gauche, par un dentiste précédent : il fallait la retirer pour la remplacer, bonne à jeter, trois petits coups de marteau et hop, poubelle) j’ai la bouche toute anesthésiée, et donc « Villagers » vient de sortir. C’est le dernier Califone. Le chant rappelle celui de feu Mark Linkous : ses textes sombres, ceux de Vic Chestnutt ne sont pas loin. Mais, étrangement, ce sont les univers bidouillés de Badly Drawn Boy et de Grandaddy que Califone semble nous désigner. Parce qu’ils ont en commun d’être autant attachés au home-made, à des prises de sons maison, aux bruits du quotidien, aux joujoux qui font « pouët » (véridique), à des ambiances folk mais pas que. Ce n’est pour autant pas du Will Oldham, même si, même si certains titres pourraient nous le laisser entendre, tant Tim Rutili est influencé depuis toujours (son premier projet musical Red Red Meat était un mix de blues-rock et de musique expérimentale) inspiré par la musique folk américaine.

Ses textes évoquent souvent la mort, des trucs sombres, je crois, des choses qui ne nous sont pas toujours familières. Il a l’air de vouloir appréhender, à travers « Villagers », la vie post-mortem, comme si on la passait chez Emmaüs, vous voyez ce que je veux dire ? Genre on y dort, on y rêve, on y cuisine, on y mange, et tout et tout.

Pourquoi se remémorer Sparklehorse en écoutant « Villagers » ? Quelles sont les influences communes à ces deux projets ? Sans doute le chant folk, les percu pop, le banjo, l’orgue, les bricolages vintage… En fait ils ont ce point de ralliement d’être « autonomes », enfin, comment dit-on déjà ? Sur batterie autonome, ouais, auto-gérés. Je sais plus, (je suis anesthésiée de la bouche, qu’est-ce-que c’est pénible de boire mon café dans ces conditions, que la vie est dure et injuste !).

J’aimerais tisser des liens entre les deux groupes : c’est important, même si ces liens ne sont qu’imaginaires. Autorisons-nous à avancer un embryon de théorie : est-il impossible de laisser tomber les algorithmes et de nous laisser porter par nos intuitions, de leur faire confiance ? Ce serait un bon moyen - le seul peut-être - de conserver notre potentiel originel de réminiscence, qui agit comme un algorithme naturel (n’est-ce-pas ce dont il s’agit ?). Les artistes en question (non, PAS ma dentiste) ont en commun d’être solo, branchés sur batterie nomade, ou sur panneau solaire, ou sur ce que vous voudrez, bref. Car au départ Califone est le bébé du seul Tim Rutili : « J’avais l’intention de faire de l’easy-listening plutôt que ce je faisais (avant) avec Red Red Meat. En fait il s’agissait juste de produire de petites pop songs avec des trucs glanés à droite à gauche. Un petit projet maison, qui a poussé petit à petit. Maintenant on dirait que (Califone) prend tout ce qui pourrait coller. »

Et voici que Califone se détache de ce premier projet en nous accueillant dans une ambiance sonore quasi-cinématographique : une b.o. de fin du monde. Une fois n’est pas coutume - comparé à sa façon de procéder sur ses albums précédents - Tim Rutili chante de façon moins sophistiquée (si je puis me permettre), le souffle court, confiant. Il joue de tout, tout le temps, et semble nous dire : « Hé oh, je fais ce qui me plaît ; ouais on enregistrait en 2006 les ‘Bruits du Dimanche’ (« Sunday Noises »), et aujourd’hui on continue à faire absolument tout ce qu’on veut : à bas la tyrannie de la réussite ! ».

On s’y retrouve. Sur « Habsburg Jaw » ce qu’on perçoit c’est une urgence. Cet album profond, subtil - comme si pas mal de chemin avait été parcouru depuis Red Red Meat, le temps s’écoulant inexorablement, surtout à L. A., où l’album a été mixé ; L. A. où le pire, le meilleur, peuvent advenir - Califone l’a voulu moins cynique, fragile mais lucide. À vous d’écouter « Villagers » désormais, à vous de vous en faire tout un roman maintenant : les I. A. ne contrôlent pas nos coeurs, enfin pas encore !




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