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Venise s’enfonce dans l’Adriatique mais le label italien Shyrec (Bad Pritt, Kill Your Boyfriend, Zabrisky), fondé en 2004, continue de nous proposer des galettes hautement recommandables, dont ce troisième album – après Fault (2014) et Eerie (2018) – du quatuor Ropsten, enregistré à Trévise et masterisé à Chicago par Collin Jordan.

Le visuel montre au premier plan un coq en plastique gonflable, et ce n’est pas anodin puisque le nouvel opus de Ropsten (composé de Simone Puppato, Claudio Torresan, Leonardo Facchin et Enrico Basso) fait référence à travers son titre – Alamagordo – aux combats de volatiles qui y sont organisés, comme par ailleurs en Asie et aux Antilles, hautement appréciés par la population locale, qui en font un spectacle tout aussi coloré que les bastons de catch (lucha libre) et autres joyeusetés bigarrées un peu cringe pour le pisse-froid occidental que je suis.

Alamagordo, c’est également une ville du Nouveau-Mexique, aux États-Unis, où eut lieu le premier essai nucléaire de l’histoire foireuse des essais nucléaires, en juillet 1945, mais aussi l’endroit où furent enterrées les millions de cartouches de jeux vidéos invendues par la firme Atari, lors du krach de 1983 – aujourd’hui encore des geeks s’y donnent rendez-vous pour essayer de retrouver cet héritage perdu de la société du divertissement en perdition.

C’est tout le sujet du nouvel album de Ropsten, dont le nom évoque un quartier de Stockholm, que nous pourrions traduire littéralement par « La pierre qui hurle » : il y est question d’inquiétude, de sursaut de conscience et des choix à penser face à l’inéluctable autodestruction, à laquelle par ailleurs je n’adhère pas, tant je crois en l’homme et à son insoupçonnable faculté de tout traverser – jusque dans le chaos.

Les discours nihilistes sur fond de constats désolants oublient toujours de prendre en compte notre nature profonde, marquée par notre quête du bien-être et de l’harmonie. Les artistes et les politiques et les journalistes ont beau jeu de mettre en avant les dissensions et le chaos (c’est vendeur et ça permet à peu de frais de passer pour lucide – fou celui qui se croit lucide), quand au quotidien on voit bien que la main tendue est un réflexe qui ne se perd pas, même si l’on se blesse ou déçoit au passage.

Le cas présent, avec Alamagordo, on a affaire à un album très solide, entre électro brouillardeuse tendue et post-rock incisif, à la limite du noise. Les basses répétitives, les arpégiateurs et les guitares western font de Benidorm (saloperie de ville bétonnée touristique espagnole) une introduction parfaite. La distorsion lourde et syncopée de Buddhabrot nous entraîne dans une danse de Saint-Guy, ponctuée par des voix lointaines, distordues et incantatoires. Groovy et relâché malgré le mur du son qui l’entoure, Hokkaido nous fait penser à Ratatat mêlé de My Bloody Valentine.

J’évoquais ci-dessus, et à juste titre, les jeux vidéos, auxquels fait référence l’enthousiasmant et bidouillé Blue Sky Rangers - soit l’équipe de programmateurs qui a travaillé sur la console Intellevision, des légendes dans le milieu. Ainsi fonctionne Ropsten, conscient des références riches qu’il utilise pour appuyer son propos : certes le monde est débile et futile mais il vaut le coup d’être raconté, à coups de beats binaires et de synthétiseurs acidulés, en une sorte de kraut rock heavy lofi de bon aloi, qui se poursuit sur Milano 2, en référence à un quartier pourri de la banlieue de Milan, où l’architecture brutaliste fit des ravages, à l’instar des phantasmes déglingués qui prévalurent lors de la conception de la Scampia à Naples – cités poubelles déconnectées du réel au nom d’un modernisme abstrait bâti par des théoriciens hors sol qui jamais n’y vécurent. Le Corbusier et tes potes tarés, allez-vous faire foutre !

Voilà en quoi est politique Alamagordo : les quatre musiciens qui ont bâti cet album à haute valeur ajoutée illustrent un monde qu’ils pratiquent, le questionnent à coups de riffs sombres et de rythmiques lourdes, ne se retranchant pas derrière un romantisme paupériste facile et ne prennent pas la place de ceux qu’ils plaignent, à l’instar des chansonniers moralistes qui nous servent leur soupe empathique du haut de leurs soirées putes et coke. Ropsten respire le rock et la sincérité, bon sang, que ça fait du bien !




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