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Pollyanna Whittier, héroïne d’un roman publié aux États-Unis en 1913 par Eleanor H. Porter – qui connaîtra de nombreuses suites ainsi que des adaptations cinématographiques, dont l’une d’entre elles fut produite par Walt Disney –, est une jeune orpheline s’efforçant de toujours voir le bon côté des choses, suivant la préconisation du verset Romains 8:28 : « All things work together for good », mis à l’honneur dans la série nanaresque « Manifest ».

A contempler le superbe visuel outsider art de « Man Time » (quel bleu !!!), signé du seattleite et daltonien Mark O’Malley, on se demande ce que ressentirait une Pollyanna adulte déambulant de nuit au milieu des ivrognes bagarreurs sur les trottoirs avinés de leurs espoirs inaudibles : il y a bien entendu la répulsion engendrée par la violence, mais également l’attendrissement moqueur face à tant de ridicule – hors de question, en cette contemporanéité binaire, de tout prendre au premier degré, sous peine de ne pas en saisir les infinies nuances.

Chez ADA, on suit attentivement le riche parcours d’Isabelle Casier, alias Pollyanna – seule ou accompagnée –, depuis son premier album au titre malicieux, « Whatever They Say I’m a Princess », paru en 2004 chez Églantine Records. Bientôt vingt ans sur les routes, entre Europe et Amérique, d’un label l’autre (Waterhouse Records, Vicious Circle, Acoustic Kitty), enchaînant les projets et les tournées, aucun signe d’essoufflement.

Pollyanna nous revient avec un EP enregistré en groupe à Bastille, dont la production précise et sans esbroufe souligne à merveille les mélodies intemporelles de « Your Smile Is Cold », fanfare country folk acoustique vêtue de cordes et de cuivres aux grisantes vocalises agiles, de « Four Seasons » - un vrai slow, dans sa forme la plus pure, la plus intime, d’une intimité que l’on voudrait partager - ou encore de « Diamond Ring », ballade midtempo au refrain entêtant, en forme de classique instantané. « Love Twice » et « Man Time » nous rappellent que la palette de Pollyanna ne la cantonnera jamais à un registre de folkeuse par trop réducteur : ici un chant à la scansion appuyée, arrangement jazz old school à l’appui, là une guitare bruitiste dans la mouvance Riot Grrrl, survolée par l’ombre de Kim Gordon. Ce nouvel EP se termine par une reprise magistrale de « Railroad Boy », issue du répertoire traditionnel nord-américain, appuyée par un beat qui justement évoque le passage d’un train : Joan Baez et Bob Dylan en leur temps avait inclus cette chanson dans leurs répertoires – Pollyanna conclut avec brio un « Man Time » de haute volée, à écouter entre chien et loup, lorsque l’obscurité se saisit de la ville et en enveloppe les remous, les remugles et les ivrognes remuants, couvés d’un regard espiègle par une artiste qui se refuse à broyer du noir.