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Interview réalisée via mail en Juillet 2008

cette chaise vide signifie le départ de quelqu’un ou l’attente d’un autre ?

— Isabelle : Les deux ! Finalement, mes chansons jouent souvent sur les états d’âmes qu’on développe lors de ce genre de transition. Avant la rupture, ou avant le retour. L’un ne va pas sans l’autre : je suis profondément optimiste ! Il ne s’agit pas tant d’histoires sentimentales dans ces chansons, finalement, que de mouvement, de peur du changement, quand les sentiments et les émotions deviennent ambigus. A Landscape, par exemple, parle de retournement d’humeur chez l’autre. Quand on ne sait plus si on est aimé ou pas. Les fauteuils, on voulait aussi qu’ils évoquent une ambiance accueillante, chaleureuse et confortable. Avec, toujours, l’ombre derrière dont on ne sait ce qu’elle renferme. Pleine de fantasmes.

— David Elle signifie que beaucoup y sont passés et que d’autres suivront sûrement ; elle peut aussi signifier que la lumière se loge toujours mieux dans l’obscurité.

On peut parler de vrai changement par rapport au premier album ?

— Isabelle : Evidemment que j’espère avoir mûri l’écriture des chansons, mais c’est creusé dans la même veine. Le vrai développement, c’est dans notre collaboration avec David, qui s’est beaucoup étoffée. On a manqué de temps et d’expérience avec notre premier album. Ici, il a retaillé un peu dans les chansons, les a arrangées, ouvragées, et à l’arrivée, le résultat est plus riche, plus fini et plus efficace, je pense. Les ambiances sont plus variées aussi. On a essayé d’utiliser, par exemple, des instruments un différents pour chaque titre.

— David : Oui et non, c’est un changement dans la continuité comme on dit en politique… la voix d’isabelle est toujours très en avant mais on a essayé de l’habiller au plus près ; mises à part quelques parties de claviers, banjos, ou autres petits grigris, nous avons utilisé quasiment les mêmes instruments, mais ils ont acquis leur place propre, en contexte ou hors contexte, selon les points de vue.

sans se radicaliser le son prend de l’ampleur pouvant même aller vers des choses loin de la quiétude ? C’était un souhait au départ, souhaitiez-vous casser l’image plus lisse du premier opus ?

— Isabelle : Le son est d’une certaine façon plus accessible sur ce disque, puisqu’il est mieux produit – c’est peu de le dire.. Sur Whatever on avait tout enregistré avec mon PC, dans ma chambre. On a pas cherché à faire moins lisse, mais plutôt moins chiant ! On voulait développer notre univers, comme on développe une photo, en fait. Donner plus de couleurs, plus de nuances, laisser les chansons moins brutes de décoffrage. Je pense qu’on joue mieux, aussi. Enfin j’espère ! Et encore une fois, le dénuement du premier album était surtout du à notre dénuement matériel. Par exemple, nous n’avons pas pu enregistrer beaucoup de guitares électriques à l’époque à cause de parasites sur les pistes numériques.

— David : Je ne trouvais pas le premier disque « lisse », jusqu’à ce qu’on recueille plusieurs avis en ce sens. L’univers de Pollyanna me semble homogène et cohérent, du moins y travaille-t-on… l’idéal étant de créer une vraie identité qui puisse trouver une place « à part » dans le vaste monde des groupes pop & folk. Cette recherche d’unité a pour risque d’aplanir les aspérités, c’est vrai, mais je la préfère encore au tout-à-l’égout créatif ! Et puis on ne ressent et n’entend vraiment les modulations qu’après plusieurs écoutes attentives et une fois qu’on a les titres en tête, ce qui devient de plus en plus difficile avec la pléthore de productions actuelles et leur facilité d’accès. On a essayé de tirer parti de chaque instrument et de chaque structure de chanson pour créer les creux et les bosses qui donnent à la lecture un intérêt un peu plus immédiat, et un peu plus durable.

à l’heure actuelle on colle souvent l’image du Folk à une forme de dénuement, alors qu’ici sans être dispendieux, le disque est doré par des mélodies mises en valeur

— Isabelle : Nous avons pu nous permettre d’être un peu plus habillés cette fois-ci. Mais j’ajouterai d’ailleurs que ce folk « à poil » qui revient en force est aussi une tendance née du manque de moyens matériels. J’ai ressenti ça aux Etats-Unis, où il me semble avoir pas mal traîné. Enregistrer un disque est techniquement de moins en moins cher, et il n’y a plus un kopek pour produire des disques, de toutes façons. Alors les gens achètent un peu de matériel et font ça chez eux. Les artistes, mêmes reconnus, fonctionnent souvent avec des budgets dérisoires. (J’ai lu récemment que le premier album de carla Bruni avait était enregistré à la maison, c’est dire !)C’est une esthétique aussi, bien sûr, j’ai toujours préféré les productions minimalistes. Et nous adorons mettre des mélodies en avant, et pourtant faire des arrangements les plus riches possibles, même si cela reste discret. C’est sans doute ce qui nous sort un peu de la case "neo-folk". J’aime à penser que j’ai un esprit rock, assez en colère, mais apparemment ces petites mélodies entêtantes nous donnent plutôt un air pop.

— David : Le terme « folk » est à double tranchant. Notre musique est de texture avant tout acoustique parce que les chansons sont composées sur des guitares acoustiques. Rien n’empêche de les porter au final par une production riche, qui peut faire appel à des instruments électrique ou électroniques sans dénaturer le propos de départ.

comment vous êtes vous repartis les rôles pour ce disque ?

— David : J’ai tout fait. Isabelle s’occupait du ménage et de la vaisselle au studio… non, pour être un peu manichéen, Isabelle a écrit les chansons et je me suis occupé de la plupart des arrangement. Au-delà de ça, je me suis permis quelques incursions dans l’écriture, l’intro et l’ »outro » du disque notamment, mais aussi de petites parties sur certains titres, alors qu’Isabelle a aussi beaucoup travaillé sur le son dans sa globalité et a fait certains choix d’arrangements déterminants : je n’aurais pas forcément pensé à cette magnifique partie de piano autour de laquelle tourne à présent « Whatever … », la dernière chanson de l’album.

— Isabelle : Je suis arrivée avec mes chansons presque finies. David rajoute un pont ici, enlève un bout là… Histoire que l’ensemble soit le plus compact possible. Ensuite, on a maquetté tout ça. Je suis allée passer quelques jours à Bordeaux chez Léa, la violoncelliste des disques de Pollyanna, pour préparer aussi ses parties. En studio, chacun a rajouté sa petite touche : Stéphane, le producteur, David ou moi. C’est comme ça que sont arrivés les claviers, le triangle, le piano, la basse.

J’ai eu un choc en entendant FOLK SONG. Dans cette chanson une forme de tension est pesante et par ta voix, surtout sur le deuxième refrain tu redonnes de la lumière dans un torrent de larme ? Elle n’est pas là la force de Pollyanna : « Tout ne va pas si bien, mais faisons en sorte de sublimer tout cela, tout est tellement court ? »

— Isabelle : Euh… pas de torrent de larmes, ce n’est pas à ce point-là ! Il y a une certaine noirceur, certes, mais, à l’instar de notre pochette, toujours un rayon de lumière qui permet de garder le cap. C’est sur cette lumière-là que j’essaie d’écrire.

« on concrete » aurait pu s’appeler « hope » dans le fond, mais le titre était utilisé par un chef d’œuvre de Palace Music ?

— Isabelle : Je suis extrêmement touchée par ce que tu dis. C’est le cœur de mon propos en tant qu’auteur. Le disque a failli s’appeler « Some fear, some hope », d’ailleurs ! M’enfin, c’est beaucoup de grand thèmes grandiloquents, tout ça. Même si j’aime penser qu’on fait un truc important, que c’est de l’Art, on cherche aussi, surtout, à faire de « jolies » chansons. Qui se laissent écouter, qui font plaisir à l’auditeur. Après, s’il ou elle y revient, s’il ou elle y trouve des choses belles et profondes, c’est merveilleux. Et je pense qu’on y a mis assez d’effort pour ça, mais il est probable que pas mal de gens s’en fichent complètement. Et à ce moment-là, oui, le fond de ce que je veux exprimer c’est ce point de bascule entre l’espoir et le désespoir, mais tout finit par s’arranger, chez moi. Sauf sur Railroad Boy, la chanson traditionnelle que l’on reprend : la fille au cœur brisé se suicide. Mais justement, on ne l’a pas écrite, celle-là. Elle est là pour la comparaison ! Parce que Pollyanna (la petite fille du livre), quant à elle, n’est pas du genre à se faire péter le caisson. Elle y croit encore, malgré les épreuves, elle n’abandonne jamais, elle est un peu bête, mais c’est ce qu’il faut pour s’accrocher, non ?

Friends est-il un accident, une chanson arrivée par enchantement ou le titre a été très écrit, s’interdisant les enluminures (pas décoratives, dans enluminures il y a la lumière) mélodiques tout ou moins partiellement ?

— David : Pour moi, Friends est un accident dans le sens où on a quasiment rassemblé trois titres dans un même un tryptique, sans perdre trop de fluidité dans les progressions, ce qui était loin d’être gagné d’avance. Les trois parties avaient leur sens propre et une similarité de principe disons, mais les liaisons étaient les plus difficiles à mettre en place ; finalement, il s’est avéré que les liaisons les plus simples étaient les moins dangereuses !

— Isabelle : Comme la plupart de mes chansons, elle a traîné à moitié finie pendant trois ans. J’ai commencé à l’écrire lors d’un voyage à Brooklyn. Je logeais chez une copine musicienne et comme j’avais du mal à décoller le matin, je traînais sur son canapé avec sa guitare. Je faisais de longues balades au bord de la mer et je pensais à toutes ces grandes villes qu’on a construites au bord de l’eau, on s’y retrouve toujours, n’importe où sur le globe. Après, je m’y suis effectivement promenée, aussi, avec quelqu’un que je n’osais pas embrasser, on peut difficilement faire plus cliché pour une chanson... Mais les clichés, j’adore ça, justement, quand on les fouille un peu pour les éclairer de façon moins familière. Je suis repartie de New-York avec à peu près toutes les parties de la chanson mais mal articulées, et les paroles à peine ébauchées.

On peut lire ici et là des références possibles (moi je vois même du 16 horsepower c’est dire), mais si « on concret » a des références elles se trouvent où ?

— Isabelle : Alors déjà, je suis ravie que tu entendes du 16 Horsepower chez nous, c’est le genre de truc que je n’entends jamais et pourtant c’est sans doute un groupe qui m’a influencée, parfaitement ! Tout à fait le genre de truc auquel on ne pense pas, j’imagine, parce que je suis une nana…En général, on me cherche absolument des références féminines (en gros : Cat Power, PJ Harvey et plus récemment Laura Veirs), en pensant plus rarement, que, eh oui c’est dingue, on peut-être aussi influencée par des songwriters masculins. Je citerai Bill Calahan, par exemple. Ou des trucs folks traditionnels américains ou celtiques (Clannad, par exemple), Shannon Wright sans doute, un fond de Velvet Underground, de Sonic Youth, de tubes intemporels rabachés au supermarché.

— David : Pour ce qui me concerne, je suis persuadé que tout me nourrit, ce que j’aime comme ce que je déteste ; la délicatesse de certains styles et la vulgarité d’autres sont d’inestimables sources de création ! Pour les références au Panthéon pop, rock & folk, certains clins d’oeils sont un peu appuyés. Entre autres, le creux rythmique au milieu de « Landscape » vient directement de « The Well » de Smog, la progression harmonique qui termine « Chocolate Jesus » est franchement d’inspiration Elliott Smithienne, les jeux de cymbales sur la première partie de « Run » me font penser à Thomas Belhom, et inversement ! Cette question est magique car en passant les titres de l’album en revue, je me rends compte que je suis incapable de raccrocher la plupart des parties à quelque référence que ce soit. D’où vient la batterie de « Railroad Boy » ? D’où viennent les guitares de « Tristan » ? Je ne vois pas du tout. Ainsi, de deux choses l’une, soit je ne le retrouve pas ici et maintenant, soit notre propre musicalité s’affirme plus souvent qu’il n’y parait ; cet album est de facture assez classique, l’originalité n’est pas sa première qualité, mais si nous commençons à devenir notre propre référence, c’est qu’un grand pas a d’ores-et-déjà été franchi.

Ce n’est pas parce que Cannes est encore frais, mais votre musique me fait penser au cinéma de Desplechins. Avec un matériau de base, la construction dégage une vraie modernité.

— Isabelle : Ben ça aussi ça fait super plaisir. J’apprécie le parallèle esthétique que tu traces, c’est vrai que c’est ce qu’on essaie de faire : du discrètement moderne avec du matériel traditionnel. C’est comme cette histoire de cliché à démonter. J’aime scruter les trucs qui clochent dans les photos de famille, par exemple. Les regards d’ennui, les poses un peut trop guindées, les airs angoissés. Alors les ambiances de Desplechins, la bourgeoisie du nord et les pesanteurs des familles claniques, tout cela est assez proche de ma sensibilité et de ce que j’essaie de déconstruire avec mes petites ritournelles (en plus, ma famille est du Nord). J’aime aussi le ton acerbe, l’ironie. Enfin, c’est pas forcément facile à exprimer dans des ballades comme les nôtres, mais j’aime assez me moquer des choses sérieuses. Sans prétendre être carrément marrante, cela transparaît ça et là. Dans une chanson comme Tristan, par exemple, ou j’évoque les héros sur fond d’amour courtois. Monsieur est fier de ses conquêtes, Madame s’ennuie à mourir, surtout depuis qu’il est revenu. Cela m’amusait aussi d’utiliser un univers tiré de notre folklore : tout cela est un clin d’oeil à mes influences musicales, et mes lectures parfois désuètes. Encore une façon de farfouiller dans notre imaginaire collectif.

— David : L’avantage ici est de partir d’un contenu déjà solide, les développements n’en sont que plus passionnants à imaginer. Et malgré tout, même baignés de vieux sons et de vieilles productions, nous sommes bien ancrés dans notre époque Isabelle et moi, qu’elle nous plaise ou non, et la modernité s’installe d’elle-même dès lors que l’on est un tant soit peu réceptif à la création qui nous entoure.

Comment avez-vous rencontré Pokett, et comment avez-vous décidé de travailler avec lui ?

— David : Le premier album de Pokett m’avait beaucoup plu et je suis simplement allé rencontrer Stéphane (Garry) à la Guinguette Pirate après un de ses concerts pour lui proposer de participer à une soirée avec Pollyanna et HitchcockGoHome ! au profit d’une association humanitaire, les Brigades de Paix Internationales. La soirée s’intitulait Peace&Folk, les concerts se sont très bien passés et tout le monde était ravi. Nous sommes donc restés en contact et j’ai appris un peu plus tard que Stéphane enregistrait lui-même ses disques. L’idée d’enregistrer avec un folkeux non intégriste, passionné de sons et fin technicien, nous a rapidement séduite. Nous avions maquetté l’album avec Isabelle, Stéphane a très vite été partant et a peu à peu trouvé sa place, déployant sa technique au service des idées de départ.

Pourquoi être passé de Eglantine Records à Waterhouse ?

— Isabelle : Je fais toujours partie de l’équipe Eglantine. Mais avec le temps, le label s’est plus dirigé vers de la pop électronique, ce qui nous convient moins. Par ailleurs nous étions proches de Waterhouse, qui fait un boulot de découverte de projets folks méconnus absolument admirable, mélangeant des artistes français et étrangers. Petit et mondial, en somme. Nous souhaitions aussi, tout bêtement, avoir un label bien ancré à Paris - Eglantine est basé entre Bruxelles et Lille - qui nous a permis de dénicher des concerts, un bon distributeur (Abeille), un tourneur (Add It Up) et, au final, une équipe solide, géographiquement cohérente, ce qui est pratique.

Comment jugez-vous cette nouvelle scène indépendante française ? L’ennui ne vient-il pas de sa possibilité (ou volonté) d’ouverture ? N’y retrouvons nous pas le même snobisme (les dégâts de certains jugements pour marquer son territoire sur le net donnant de l’urticaire) que dans les années 90 à ne plus vouloir d’un groupe qui vend pas mal de disque, au risque passer définitivement à côté de quelque chose d’énorme ?

— Isabelle : je suis ravie de voir qu’il y a de plus en plus de bons groupes dans ce pays, qui chantent en Français ou en Anglais. Beaucoup n’ont pas le rayonnement qu’ils méritent. J’ai l’impression que les médias et les producteurs (qui n’ont plus les moyens de développer des artistes de toutes façons, ce qui est une bonne raison) n’en ont pas encore saisi les codes et l’envergure. C’est dommage qu’il faille encore souvent se justifier de chanter en Anglais, voire de s’inventer un pedigree « anglo-saxon » (si je puis dire, une rockeuse juive new-yorkaise de mes amis me faisant remarquer que beaucoup d’Américains n’était pas anglo-saxons, c’est le moins qu’on puisse dire). Justement, ce qu’il y a de marrant, c’est l’éclosion d’une scène globale et globalement anglophone. On parle beaucoup de la scène clermontoise, par exemple, mais il y a des viviers dans d’autres régions. Et même d’autres pays, évidemment. Je pense qu’on peut trouver de grandes similitudes entre tous ces gens qui utilisent l’anglais sans que ce soit leur langue maternelle. Je crois même à une internationale Indie-Pop-Rock, solidaire quand il s’agit d’organiser des tournées avec les moyens du bord, par exemple. Quant à Internet, il démultiplie les possibilités d’échange, mais il a le défaut de ne rien hiérarchiser, ni les groupes, ni ceux qui les critiquent… Il devient de plus en plus difficile de voir le « coup », le dernier truc à la mode arriver. Mais les pros continuent de fonctionner comme ça. Ils flippent un max. La mode ne nous ayant pas encore trouvés, on butine gentiment dans tout ce grand fatras et on avance à notre rythme. En attendant la gloire, on se fait des amis.

L’avenir de Pollyanna ?

— Isabelle : Une tournée à l’automne en France, des concerts ensuite à l’étranger, et un autre disque avant 2012 ! Histoire de mettre moins de quatre ans, cette fois-ci.

— David : Radieux et besogneux ! La formule du duo est parfois difficile à porter et à faire évoluer, mais on y travaille.

le mot de la fin est pour vous ?

— David : Longue vie aux webzines indépendants !