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La voix est claire et vient en paix. Posée sur une structure sonore hérissée de hallebardes concassées, électrifiées, en instance d’effondrement, elle se tient droite. Pas fière, non. Emportée vers un ciel étoilé.

Annie Lewandowski et Thomas Bonvalet s’inspirent toujours des formes de la guerre (War Shapes, 2017), non pour les dénoncer, moins encore les glorifier, pas même pour s’en moquer, mais plutôt les mettre en pièces, tels les bonshommes démontables de nos chères Anatomie 2000. Ces petits bouts de plastique soi-disant destinés à éduquer nos esprits en friche, assoiffés de savoir, esprits de médecins en herbe qui sait, finissaient la plupart du temps par satisfaire le petit Hannibal Lecter niché dans les replis secrets de nos cerveaux enfantins.

Machination ? Souvent, l’être humain ourdit, c’est vrai. Il manœuvre en secret, parfaitement déloyal. Souvent, l’Homme-Machine (Julien Offray de La Mettrie, 1709-1751) n’est vraiment qu’un tas de molécules. Sa capacité à créer une œuvre est ce qui l’extrait le plus sûrement de cette désolante constatation. Alors, Powerdove retourne chaque année vers son métier : tisser des chansons.

Certes pas exclusivement, mais la musique est question de dispositif. Ici, il s’agit de l’inventer en fonction du propos. Ce n’est pas une pose, mais une nécessité. Alors oui, les pianos préparés de John Cage (Thomas scotche ses cordes de guitare électrique, geste devenu académique...), ou dès 1909 les intonamuri (joueur de bruits) de Luigi Russolo, et avant cela les limonaires, les orchestrions, merveilles réfugiées dans les foires, pour dissimuler dans la distraction leur foudroyant avant-gardisme. Etc., doit-on à la vérité. Car la généalogie des bruits venant questionner le statut de la musique est à retrouver dans n’importe quel ouvrage un peu sérieux sur la question. Et la ramure est grande. Les racines, plus grandes encore.

Le site du label Murailles music fournit sa tranche généreuse de contexte et d’anecdotes biographiques, de celles qui rassurent toujours l’auditeur aimant se perdre, mais-pas-trop-quand-même, dans l’autre et ses étrangetés. Retenons que les deux artistes de Powerdove œuvrent un long temps séparément avant de projeter les uns sur les autres les fruits de leurs rêves éveillés. Thomas Bonvalet ne croit pas au rôle illustratif de la musique, il préfère se tenir à distance des mots autant que possible, fussent-ils ceux d’Annie (inutile d’insister, aucune référence ne sera faite ici à la machine à coudre et au parapluie sur une table de dissection). Celle-ci apporte ses chansons, et les lance dans le chaudron imaginé par Thomas. Frottements, dissonances, coups de dés jamais n’abolissant le hasard.

Le soin apporté au placement des sources sonores dans l’espace, et leurs interactions (des tambourins vibrent par sympathie avec le son de petits amplis qui viennent les chatouiller), complètent avec cohérence cette approche.

Annie Lewandowski écrit ce qui la traverse : les paysages qu’elle traverse, la nature furieuse, l’humanité mise à distance pour retrouver la sienne. Seulement voilà : Lesbos, Samos, Chios, Kos, Leros... Depuis dix ans, ces îles ont largement perdu leur capacité à faire rêver les aventuriers en quête de sens, de racines, de mystères. Leurs plages furent il y a peu des cimetières à ciel ouvert, documentés en pure perte de ce côté-ci de la Méditerranée. Les échos de cette violence s’éteindront-ils avant les radiations des forêts de Tchernobyl ? Pas sûr.

L’espace n’est pas seul maître à bord, dans cette nef voguant entre les récifs. Le temps, aussi, se (la) raconte. Minuteur, métronome, grésillements électriques incarnant avec délicatesse l’esthétique de la fréquence, tout concourt à éprouver la durée, ses découpes, et ses perceptions tellement variables.

Mais peut-être que rien, jamais, ne fut inventé. Après avoir pensé à Russolo, John Cage, Gablé, Kate Stables et beaucoup d’autres, accostons nous aussi sur les rivages de la mer Égée :

L’anakrousis, geste musical des Grecs anciens, avait pour fonction, en début de "concert", et dans un éclat de cacophonie hautement spirituel, de préparer les oreilles à l’harmonie qui suivait.

C’est sans doute ainsi que Powerdove modèle une forme de paix.

Avec deux ailes.

Et un plumage blanc.




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