À la première écoute des fichiers que m’avait envoyés Yannick de Kizmiaz, j’ai d’abord cru à un étrange exercice de style. Je l’ai alors contacté afin de savoir ce qui pouvait motiver une formation musicale à se lancer en 2018 dans le rockabilly francophone avec un tel parti pris early 80’s. Après quelques échanges inénarrables d’incompréhensions mutuelles, je découvris enfin qu’il ne s’agissait pas d’une production récente mais d’un véritable enregistrement perdu d’un groupe nantais datant effectivement de 81.

J’entrepris alors de fouiller dans mes archives avant de tchecker s’il y avait d’autres infos sur la toile, mes connaissances sur le rock francophone débutant avec les années 90. Dans ses ouvrages consacrés au rock ligérien, Laurent Charliot cite à plusieurs reprises John Façade, considérant le groupe comme mythique, même si il reste avare en informations complémentaires. Il semblerait que le groupe ait existé de 1980 à 1982, et ait splitté sans avoir publié le moindre disque. Et pour entériner la légende, le guitariste rythmique de la formation n’était autre que Yannick Le Joubioux, une incontournable figure de la scène locale, un des piliers du rock nantais et hexagonal des années 90.

Le disque quant-à lui reste déstabilisant à la première écoute, tant il est vrai que ce genre musical ne tourne pas régulièrement sur les ondes quelles qu’elles soient (ni sur ma platine d’ailleurs) ; mais cet EP est réellement réussi et homogène. La véritable perle reste le morceau Téléfilm à la recette implacable : rythme soutenu, guitares dissonantes, voix hallucinée, légèrement sous- mixée, solo saturé, break efficace et fin bordélique.

Les autres titres sont plus anecdotiques même si ils gardent une certaine fraicheur : les bluesy New Look et Fantoches, l’improbable Twist à la Santé et son solo psychédélique, l’afrobeat dissonant de La Fille Du Cercueil, le rock d’Instinct Grégaire et son refrain imparable.

La production est impeccable, les compos originales, le chant invraisemblable et assumé, les chœurs parfois acadabrantesques et la récurrente dissonance des guitares rythmiques rajoutant l’indispensable petite touche de singularité à la formation. Avec un peu plus de moyens et une meilleure couverture médiatique, je ne vois pas ce qui aurait empêché John Façade de concurrencer le succès débutant de Bashung à la même époque.

Mais le groupe splite en 1982. Yannick Le Joubioux rejoindra ensuite Midnight Special, puis Les Pietons (qui deviendront sans lui Madame Robert puis Les Jambons) et enfin The Little Searchers, avec qui il tournera à partir de 1995 jusqu’à leur séparation dans les années 2000.

Kizmiaz a déjà à son actif une cinquantaine de galettes dont la plupart devrait figurer dans la discothèque de toute personne s’intéressant de près ou de loin au rock garage (et pas que). Avec cet EP, il s’impose aujourd’hui en défricheur d’enregistrements oubliés. Le label Nantais fête actuellement ses 10 ans d’existence et s’apprête pour l’occasion à sortir une chouette compilation, j’espère que nous aurons l’occasion d’y revenir.