J’ai un rapport assez conflictuel avec la Scène Michelet, petite salle de concerts locale, axée principalement metal/punk. J’ai très peu l’habitude d’avoir à recourir aux bouchons d’oreilles quand j’assiste à un concert, l’impression de perdre toute une gamme de variations, de basses, d’étouffer les mélodies et de noyer partiellement un concert en un gloubi-boulga, et malheureusement c’est très souvent que le son de la Scène Michelet est dosé si fort, si saturé que si je souhaite pouvoir voir le dernier groupe de la soirée sans avoir déjà un sacré mal aux oreilles, je n’ai jamais trop le choix.
Ca sera d’autant plus dommage que ça aura noyé le jeu de calme/énervé et les chansons aux rythmes effrénés des vendéens de Gus Vendetta, présentant leur screamo/post-hardcore dans la grande tradition française de groupes comme Daïtro ou Aussitôt Mort ; les 5 membres auront beau déployer tout leur savoir-faire (des lignes de basse assez recherchées), toute leur énergie sur scène (mention spéciale au chanteur venant se dresser droit sur l’avant-scène pour hurler au plus proche du public, voire dans le public), la sauce n’aura pas vraiment pris pour moi, à l’exception d’un grand morceau parlant des manifestations de la Loi Travail, bien négocié et qui sera le seul dont j’aurai compris quelques paroles (le son étant mieux disputé à ce moment).
Heureusement, peut-être était-ce la baisse de tempo, ou la plus grande réserve du Stoner Rock/Sludge de Stonebirds, toujours est-il que cette deuxième partie aura plus facilement conquis mon attention. Voix tantôt aigue, presque falsetto du chanteur guitariste, tantôt écrasante et grasse, rejointe par celle du bassiste, et précision du batteur (malgré la chute d’une cymbale au cours du concert), tout donnera une ambiance mi écrasante mi poussiéreuse qui fonctionne plutôt bien, le long de 5 titres plutôt longs (dont notamment le dernier, Animals, tiré de leur nouvel album Time, qui résonnera comme une longue plainte pleine de réverbération, de fuzz et d’une belle rage contenue).
Enfin viendront les lyonnais de L’Effondras, noyés dans leurs néons, l’appareil à fumée, deux guitaristes sérieux postés de part et d’autre du batteur. Un vrombissement qui dure, puis on reconnait rapidement les premières notes ouvrant « Les Flavescences », c’est « Les Rayons de Cendre » qui débute, tension parfaitement négociée. On a d’un côté les décharges par saccades de Pierre, guitariste constamment replié sur son instrument, comme ne faisant plus qu’un avec et ignorant le reste du monde, et pourtant extrêmement attentif au reste du groupe, de l’autre côté Raoul le nouveau guitariste (à la moustache gauloise et au sourire communicatif, semblant le plus jovial de la troupe) venant compléter par un autre ensemble d’accords égrenés, et au milieu le batteur Nicolas, implacable aussi bien dans l’épure (réduire les mouvements et les frappes inutiles pour que celles qui restent impriment leur marque au fer rouge) que dans la précision et la hargne. C’est une musique de grand fracas et d’attentes pleine de tension, d’attentes d’un événement redouté que délivrent les lyonnais.
Comme l’impression d’une hargne exprimée au ralenti ; la Musique accélère et décélère à volonté, de plombante se fait aérienne, et plutôt que la redite de dizaines de groupe Post-Rock planplan qui ne pensent qu’à faire du crescendo, on vogue plutôt parfois sur les eaux de la pesanteur de Earth, une espèce de danse vicieuse et lente qui hante longtemps, qui sursaute parfois, et saisit et maintient.
L’on poursuit toujours avec le nouvel album pour un « Lux Furiosa » ardent, quelques gestes amples, quelques accords soutenus avant que tout s’énerve et explose, et tous les scintillements de la batterie venant frapper chacune de ses cymbales (cymbale tambourin, charley etc), chacun de ses cuivres dans un jeu de trêve avant la reprise des hostilités.
Ce seront de plus vieux morceaux qui seront ensuite aux honneurs - j’ai cru reconnaître La fille aux yeux orange, et L’Âne rouge, de leur précédent album ; et toujours ce sens inné de la justesse, entre sauvageries (percussions sur caisses claires quasi-tribales par instants, quelque chose d’animal dans la soudaineté, la spontanéité de certains riffs, certains passages répétés). On en sort un peu déboussolé, devant tant de talent évident - et rassuré aussi de voir que les conditions sonores de la Scène Michelet ne sont pas toujours abominables, rangeons ma mauvaise langue - et le public ne s’y trompe pas et crie sa joie.
S’ensuit une courte présentation du groupe par le batteur, puis une dernière fois un morceau dans les mêmes cordes, une tension à fleur de peau qui lorgne et n’attend que de jaillir, une espèce de lampe étrange en devant de scène venant être allumée pour jeter ombre et lumière sur le groupe (une sorte de cage métallique parcourues de trous au milieu de laquelle se trouve la lampe en question, la cage tournant autour de la lampe), quelques éclats encore, un peu de fumée, puis une grande respiration finale. L’Effondras n’offre pas seulement - et de loin - la meilleure performance de la soirée, il prouve aussi sa pertinence et son importance dans la scène rock française actuelle, et je ne peux que trop conseiller de se plonger dans leurs disques incandescents ou leurs lives somptueux aussi vite que possible.
Merci à Erwan Jule