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Je vous ai déjà dit combien j’aime tout ce qui est organique, sybillin, imparfait. Combien j’aime ce qui désaxe nos angles de vue habituels. Pour adhérer à un univers, pour aimer les mots, la musique d’un autre, il me faut entrer en reconnaissance, à tâtons dans ces territoires là.

Entrer dans le lumineux "Bois Et Charbon" de Midget, projet mené par Claire Vailler et Mocke, c’est comme quelque part ré ouvrir "La Question" posée par la grande dame aux longs cheveux bruns en 1971. Univers fort et fragile à la fois, délicat et ample. Jamais très éloigné des ambiances de Holden, un des autres groupes de Mocke, parfois proche de la mélancolie empathique de Valérie Leulliot ("Les Remparts"). Il y a ces arrangements savants mais toujours attirants, toujours magnétiques qui ne sont pas sans rappeler le travail d’Arlt, Bizarre isn’it ?

Midget fait partie de cette scène française que j’aime, aventureuse et audacieuse dans la multitude des teintes qu’elle propose, à des années lumières des discours trop lisses, de l’emphase empesée des précieux ridicules qui pense que poésie et créativité riment prosaïquement avec posture et facilité. Que l’on jette la pierre à celui qui ose dire que la chanson de par ici est trop ancrée dans le patrimoine, à cet autre qui dit qu’elle est trop sous l’influence des anglais, à celui-là qui ne jure que par les figures tutélaires, les commandeurs d’ici, Bashung, Brel, Barbara,Brassens, Ferré, Dominique A. Que l’on jette la pierre à ceux-là qui préfèrent les raccourcis à la curiosité. Car la scène française est belle et bien riche avec ses propositions comme des patchworks d’envie. Quoi de commun entre les créations du label Le Saule (Philippe Crab, Antoine Loyer, Léonore Boulanger), Mickael Mottet avec ou sans ses Hiddentracks, Delphine Dora . Sans doute une envie de corrompre cette musique pour mieux la renouveler.

Raconter cette maîtrise Pop à l’oeuvre ici, c’est retrouver le palpitant, le vivant, le chaleureux, ce qui brûle en nous comme un combustible incandescent, comme du Phosphore qui irradie et aveugle ("L’Occident"). C’est se regarder dans le miroir, dans ce reflet trop lourd qu’on néglige si souvent, ne pas reconnaître les traits familiers, ne pas en comprendre la raison, rire sans joie de cette impression ressentie, être bouleversé par ce premier cheveu blanc, comme le début de la démission de nos corps. C’est entendre cette voix que l’on ne reconnaît pas.

C’est parfois se laisser porter par ces chants mêles entre réminiscences des choeurs en canon de nos bancs d’école et prédictions des Pythies ("Gorge S’Enflamme"). C’est convoquer l’irraison calme de celui qui a déjà touché le fond, qui ne sait pas s’il veut remonter à la surface ou cloué dans la boue épaisse et visqueuse. C’est se perdre dans les ruelles de John Martyn, d’un Henri Crolla apathique ("Rhapsodie").

C’est retourner aux déambulations qui ne mènent nulle part. C’est traverser la jetée, monter à bord de la barque, prendre à pleines mains les rames lourdes qui font mal aux bras et petit à petit couvrir les distances qui séparent. Accoster sur une plage ni laide ni belle, d’une neutralité terne, rejoindre la passerelle plus haut, s’abriter du vent et deviner parmi les algues en contre-bas les corps qui déjà se relèvent. Parmi les brumes légères comme un linceul fin apparaît cette île, ni menace, ni abri. Je n’ai pas d’autre choix que de rejoindre la cohorte, la meute beuglante , les rejoindre ou me dissoudre ("Sans ombre/Cristal).

C’est retrouver la grâce de Rickie Lee Jones, de Nina Simone dans ces aventures là ("Terre Folle"). C’est être léger sans oublier d’être profond. La joie sera ancienne, elle aura les couleurs délavées des bonheurs à venir.

Penser musique c’est penser sons mais pour moi c’est aussi penser couleurs. Quand j’écoute Midget et "Bois et Charbon", je retourne à l’ocre de certains des paysages de Millet, entre gravures presque épurées et apologie de tous les contrastes de l’orange. Ecouter Midget, c’est se faire sensation, c’est être cet animal qui hume l’air pour mieux prévenir les dangers, cette créature qui quitte le sentier balisé pour pénétrer les ronces massives comme un naufragé dans le végétal. Sentir les épines qui déchirent la chair sans plaisir.

C’est se lover dans cette sensualité amicale, cette intimité qui ne durera pas ("Echo"). C’est se laisser bercer par un Doo Wop arythmique, un gospel païen en regardant cet enfant, héros de papier dans ces lacs de delta. C’est découvrir la ville inconnue, sentir à nouveau le sang qui coule dans nos veines. Se surprendre à être au monde, de ce monde ("Chemin sans chemin").

Ouvrir cette fenêtre, regarder au fond de soi, en finir avec ses questions... C’est vivre ces aubes, ces lumières dans l’immeuble d’en face qui doucement apparaissent comme des guirlandes taiseuses, comme un puzzle aux pièces dépareillées ("Selda")

C’est enfin sortir la chaleur du bois, du charbon, savoir que tout cela ne sera bientôt plus que braise rougissante comme un timide qui s’excuserait d’être là. Alors pour quelques instants, nous retournons aux sens, à l’urgence d’être à nous même. Pour un instant, je viens me réchauffer à ce feu entre bois et charbon, je t’observe, toi qui brûle, qui brûle doucement...

http://www.uniquerecords.org/artists/midget-_27/bois-et-charbon_83.html?b=catalog




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