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« Je dessine un nageur, vous le croyez noyé / Si je peins une fleur, vous la voyez fanée ». Sur la chanson « Nijinsky », Daniel Darc s’amusait de l’insistance de certains à ne retenir du Romantisme Noir que la couleur sombre plutôt que la lucidité du conteur. Comme si avouer ses propres fêlures sur un mode baudelairien admettait obligatoirement un élan nihiliste, un acte suicidaire. Au contraire : gratter au plus profond de soi, et réussir à musicalement en retranscrire la part d’honnêteté trouvée, dévoile une immense croyance en l’éternel vivant. Incontestablement, Marc Desse appartient à cette glorieuse lignée qui, de l’ancien Taxi Girl à Marc Seberg en passant par The Cure ou Murat, ose tutoyer le noir car idéalisant avec intensité chaque moment quotidien, chaque victoire comme défaite. Les fiévreux intègres chantent la lucidité plutôt que le défaitisme, la douceur désabusée plutôt que la chronique du désespoir. Voilà ce qui permet à Marc Desse de chanter un apollinairien « Il fait nuit noire dans tes cheveux / Et moi entre eux je ferme les yeux » sans craindre la beauté des mots, la simplicité de l’évidence. Plus loin, dans la même chanson, Marc Desse précise judicieusement que « c’est pas toujours une question de style ». Et en effet : « Nuit Noire », premier album du bordelais, refuse catégoriquement prose comme pause. Ici, l’auditeur est convié à une absence de facticité qui respire la modernité et la poésie du cuir. A cela s’ajoute une suavité qui laisse à penser que Marc Desse ne se contente pas de mettre des mots en musique : il leur fait l’amour, littéralement comme littérairement.

Ne pourtant pas réduire « Nuit Noire » à son vocabulaire très poésie narrative (l’étrange histoire de « Henri et Elsa »). En premier lieu, voici un disque important par sa richesse et son foisonnement musical. Nommons-le tel quel : « Nuit Noire » est un méchant disque de rock français. Marc Desse, dans l’inévitable flot des influences, rameute le mystère Marquis de Sade et le conjugue avec classe au CBGB 70’s via un détour par le Cure originel. Impossible cependant d’évoquer les mots « souvenirs » ou « nostalgie » ; c’est bel et bien au présent que Marc Desse touche notre corde sensible. Album caraxien, « Nuit Noire » serait un équivalent contemporain à « Boy Meets Girl » : le romantisme new-wave participe à l’enregistrement d’une modernité nouvelle (tel hier Carax puisant chez Garrel et Godard pour finalement n’aborder que sa propre jeunesse). « Nuit Noire » est un disque qui réussit à converser avec l’éternelle adolescence ayant caractérisé (caraxisé ?) l’adulte que nous sommes aujourd’hui. Un esprit générationnel flotte effectivement le long de ces dix titres sous influence divine… Aussi classieux que précieux.