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Je crois bien que je tiens là mon record de retard pour la sortie d’une chronique... Ici, pas question de semaine(s), de mois ni d’années mais plutôt de décennies... 30 ans que j’ai découvert la musique de Mickey Newbury, la faute à un oncle amateur de musique américaine et anglo-saxonne, je lui dois ma découverte de Harry Nilsson,de The Band, de Crosby Still Nash And Young....

Je me rappelle encore de cet oncle hippie me faisant écouter tel un professeur de bon goût la voix de Bowie, les riffs de Led Zeppelin.... Je me rappelle encore de cet oncle mort trop tôt, trop jeune.... Cet oncle qui comme beaucoup de gamins de sa génération avait traversé les continents, cet oncle qui me sortait des noms exotiques, Los Angeles, Katmandou... Cet oncle qui me disait avec vénération et du brillant dans les yeux avoir eu la chance de voir Jim Morrison en concert aux States... Ce nom était pour moi quelque part aussi exotique que des villes indiennes... Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris....

Je me rappelle encore de cet oncle mort trop tôt, trop vite consumé....

Je me rappelle sa voix douce qui me dit :

"Greg, tiens je vais te faire écouter un bel album que j’ai acheté à San Francisco... Cela s’appelle "Frisco Mabel Joy" et le monsieur c’est Mickey Newbury, c’est un grand bonhomme qui a écrit de très belles chansons ... Même le King l’a repris..."

Je me rappelle ses mains qui saisissent le vinyle, la galette noire que l’on pose sur la platine, le craquement du disque qui d’un coup occupe l’espace et les premières notes de guitare....

Je me rappelle mon oncle qui me tend cette pochette verte avec un monsieur en gros plan au centre et la typographie qui me fait penser aux westerns que j’aime tant à cette période....

D’ailleurs, dans ces années-là, quand je regarde un western qu’il soit du maître John Ford ou de simple tacherons, souvent l’intrigue m’importe peu, je suis envahi par la musique, ces ritournelles de coin du feu, ces nostalgies sonores de Dimitri Tiomkin ou de Jeff Alexander dans Fort Bravo....

C’est vers ces territoires là que me transporte Mickey Newbury... Bien entendu en ces heures, je n’entendais rien aux paroles ni à savoir ce qu’était la Country....

Je sais juste que ce moment là est un moment constitutif... Sans cet instant silencieux à écouter la voix du vieux américain triste, je ne serai peut-être pas là à étaler ma culture et mes marasmes au devant de vous...

Je ne savais pas non plus ce qu’était un album concept mais confusément je sentais bien qu’on me contait là une histoire, une ville, une multitude vivante, un ailleurs ensoleillé et ombreux à la fois....

En 2011, le label St Cecilia knows a l’excellente idée de rééditer dans un coffret luxueux quatre albums de cet auteur méconnu en France, "Looks Like Rain" (1969), "Heaven Help The Child" (1969), "Better Days" (1969) Et "Frisco Mabel Joy" (1971)... Entre negro-spiritual, gospel, crooner et country, Mickey Newbury pose les bases de ce qui deviendra cette nouvelle forme de Country qui s’éloigne des seuls préceptes de Nashville pour aller chercher d’autres pistes dans la Pop ou la Soul....

Processus que nous retrouverons chez ces artistes désireux de dépoussiérer le temple comme Kurt Wagner de Lambchop....

Méconnu, oui, par chez nous... Plus connu par ces artistes qui le reprirent de Kriss Kristoffersson à Bobbie Gentry...

A celui qui se saisira de cet objet aujourd’hui et n’y verra que du Kistch, du suranné, du vieillot, je ne peux que lui conseiller d’affronter d’abord la vie et ses désespérances... Sans Mickey Newbury, point de Bill Callahan, point de Bonnie Prince Billy, point de Migala ou de Bruce Springsteen... Il y a chez Newbury ce supplément d’âme, cette envie d’être... Quand Bill Callahan est proche d’un silence de l’autiste et d’un cynisme dur, quand il trouve sa beauté dans ses gouffres, Newbury, lui, nous parle de nous....

Vous connaissez Mickey Newbury sans le connaitre... Un titre comme "An American Trilogy" a été repris par Presley himself, par Sinatra ou l’improbable Nana Mouskouri (auteur d’un album sublime "In New York" avec Quincy Jones sur lequel il faudra bien que je revienne un jour)....

Sans le savoir, l’air de rien, avec la nonchalance de la marque des grands, Mickey Newbury s’est inscrit dans l’histoire... De Charlie Rich à Richard Hawley, il a marqué une empreinte durable sur ses amis musiciens....

Je me rappelle le regard de mon oncle qui s’égare dans l’écoute de ces titres, je me rappelle sa main qui palpe le vide dans un geste lent et grâcieux... Pour moi, cette musique, ce sera toujours des mains qui volent dans les airs.... Je me rappelle deux ans plus tard quand on m’annonça le décès de cet oncle à 24 ans, cet anonyme qui un jour, dans cette chambre, me fit écouter ces notes-là.... Deux jours plus tard, dans l’église en larmes, son cercueil face à nous, un vieux prêtre qui récitait son boniment hâbleur, des tremblements dans les corps, des gens qui sortent et d’un coup, la musique de Mickey Newbury qui s’élève dans la nef, "An American Trilogy" et la voix de ce frère ainé, de Mickey....




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