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Parlons de variété, un genre musical qui donne plus envie de quitter la France que de tomber pour elle (et encore moins de la regarder). Pourtant, de Polnareff à Gainsbourg, d’Air à Nino Ferrer, la France n’a pas à rougir de sa généalogie quasi parfaite. Le problème étant qu’aujourd’hui, variété, dans notre contrée, rime trop souvent avec vacuité (pour ne pas écrire nullité). Sans doute car elle s’accorde constamment avec une certaine idée du dandysme. Et à ce petit jeu de poses, la plupart des chanteurs ou bien vont trop loin dans un langage provoc qui ne trompe personne sur l’attitude ostentatoire affichée, ou bien se contentent d’aligner des slogans ou des phrases couillonnes que la critique applaudira en rameutant Barthes et Greil Marcus à la barre.

Il faudra ici remercier l’un des rares auteurs-paroliers de ces trente dernières années a toujours avoir su donner une grande classe à l’idée de variété française, une distance amusée face à l’imagerie dandy qui lui collait à la peau : Alain Chamfort. Car de « Bon Baisers d’ici » à « Ce n’est que moi », de « Bambou » à « L’Ennemi dans la Glace », Chamfort imposa la désinvolture timide (comme un Dutronc avant le premier Ricard méditerranéen), le jeu de mots embarrassé (sorte de Gainsbourg en plein doute), la mélancolie se refusant à la moindre inclinaison dépressive (un équivalent français à Neil Tennant, comme ce fut souvent dit). Des qualités rares (bien que finalement trop peu commentées) que nous retrouvons aujourd’hui dans le premier album de Daisy Lambert, l’étrangement nommé « Chic Type ». Une claque. Un coup de foudre. La certitude d’un disque que nous allons souvent défendre, peut-être contre vents et marées, dans notre entourage amical comme dans celui de nos plus vaillants détracteurs.

Pourtant, et pour peu que nous n’ayons pas écouté « Chic Type », Daisy Lambert inquiète. Un nom d’artiste trop raffiné, une pochette aussi engageante qu’un film de Just Jaeckin, des titres de chansons qui laissent craindre un sous Biolay empiffré de caviars (« Tes Seins Tes Poignets », « Ce soir J’te Sors », par exemple). Une erreur de façade à ne surtout pas commettre. Surtout pas ! Si le premier titre de « Chic Type », un « D.A.I.S.Y » instrumental qui rappelle aussi bien Air que Sébastien Tellier, sert d’excellente entrée en matière, la suite de l’album s’impose bien vite comme ce que nous entendîmes de plus sophistiqué, original et personnel dans la french pop-song depuis… « Trash Yéyé » de Biolay ?

Car à l’instar de Chamfort (auquel nous pensons particulièrement sur les fulgurants « La Femme Fontaine » et « Ce Soir j’te Sors », à la fois pour le phrasé comme pour l’accompagnement synthétique tout autant rétro que futuriste), Daisy Lambert adore balancer des vannes mais il refuse de les transformer en marrades ; il accepte le spleen mais s’arrête toujours avant le déballage intime ; il utilise la protection dandy pour ne pas trop en révéler sur lui-même, pour ne pas trop vider ses tripes (alors que nous le sentons enclin à la confession, ça le démange, ça le travaille – sauf que Daisy Lambert est bien trop respectueux de l’auditeur pour laver son linge sale en public). Dans cette idée de dandysme maladroit, de phrases faussement mesquines mais réellement écorchées vives, Daisy Lambert se permet des éclats textuels dont l’apparent badinage ne saurait mentir sur la véritable profondeur des sentiments prononcés. Citons « Ce soir j’te sors / T’es pas si moche que ça/ Finis ton rhum-coca/ Heureusement que tu m’as/ Sors de ton pyjama/ C’est Copagana/ Mec, ce soir j’te sors » (sur « Ce Soir J’te Sors », croisement paradisiaque entre l’Etienne Daho de « Pour nos Vies Martiennes » et le Chamfort de « Personne n’est Parfait »). Phrases ambivalentes, à quadruple sens, sexuellement malines, à prendre pour la déconnade comme pour un « miroir qui renvoie de l’amour pour un type chic et attachant » (sur le possiblement tubesque « Un Type Comme Moi »). Et des phrases comme celles-ci, Daisy Lambert en balance à tire-larigot ; jusqu’à, tel un Daniel Darc épanoui et clean, s’offrir Kerouac au détour d’une description réaliste. Musicalement, l’auditeur citera donc Air ou Sébastien Tellier (bien que l’apport de Frédéric Lo et Alf Briat à la réalisation incitera logiquement à la comparaison)… Pourtant, Daisy Lambert, c’est du préhistorique à la New Order. Un New Order en langue française avec une texture vocale qui hésiterait, par abus de modestie, à raconter les horreurs comme les affres inavouables de son auteur ou bien cette trouille plutôt floue ressentie par toute une génération (les 30/40 ans ; notre génération, pour le dire vite). Disque d’ici et maintenant, ce « Chic Type » ? Foutrement d’actualité, même… Et pour brouiller les pistes, une reprise du délicat « Norman Jean Baker » (by Serge & Jane) qui devrait normalement inciter Jane Birkin à tomber en flocon devant cette version et vite quémander à Daisy Lambert des textes sur mesure.

Résumons par une acclamation : chapeau bas, l’artiste ! Respect et admiration.