Interview réalisée le 25 novembre 2005 à Bordeaux. Merci à Experience et à Boxson pour leur disponibilité.
Alors que " Positive Karaoke with a gun / Negative karaoke with a smile " (album de reprises couplé à un DVD) est sorti en octobre 2005, Experience entame une tournée qui l’emmènera jusqu’en Amérique du Sud courant 2006. L’occasion de faire le point avec Michel Cloup et ses compères sur l’album, la tournée, le groupe, et… l’avenir.
ADA : Comment vous est venue cette idée de faire un album de reprises ?
— En fait, c’est pendant la tournée de " Hémisphère Gauche ", l’année dernière, que notre label espagnol nous a proposé de sortir un EP. On s’est assez rapidement décidés à essayer de faire des reprises, au lieu de sortir de nouveaux morceaux qu’on préférait garder pour un album. On a donc enregistré 5 titres assez vite, en 5 jours…Et finalement on s’est dit qu’on pouvait faire un album de 15 titres, en se servant des 5 titres déjà enregistrés comme base. Il y avait aussi cette envie de faire un DVD : Widy (le guitariste du groupe) avait pas mal d’images à exploiter. Le concept d’un album de reprises couplé à un dvd est venu à ce moment là : on a pensé à un " karaoké ". L’enregistrement s’est fait entre septembre et décembre 2004.
Comment s’est fait le choix des morceaux à reprendre ?
— C’était en fait les morceaux qu’on écoutait dans le camion. Il y a certains morceaux qu’on a tentés de reprendre, mais qu’on a rapidement abandonnés. Assez vite, ce sont 15 titres qui se sont dégagés, pour lesquels on ressentait l’envie d’en faire des reprises.
Le mélange de morceaux assez différents les uns des autres était un choix délibéré ?
— L’idée, en fait, c’était d’aboutir à quelque chose d’éclectique, car on écoute des genres très différents : on a tous un peu nos spécialisations, et il y a aussi de la musique que l’on écoute tous les 4. On est dans une époque de plus en plus resserrée, où tout marche par case, par étiquette, donc il était marrant de faire des choses assez éclatées. C’était peut-être aussi une réaction par rapport aux deux premiers albums, qui étaient plutôt monolithiques et sans trop de fantaisie. Sur " Positive Karaoke ", il y a 15 titres, dont des morceaux de 30 secondes, des medleys : ça nous a permis de nous lâcher un peu, de partir dans des directions différentes, pour casser la rigidité que l’on retrouve sur " Hémisphère Gauche ".
Vous n’avez pas eu peur d’avoir un problème d’incohérence entre tous ces morceaux si différents les uns des autres ?
— On s’est posé la question, mais au final on a estimé que c’était bien comme ça. Quelque part, ce qui fait la cohérence, c’est l’incohérence. Cet album, c’était un peu une récréation.
Comment s’est organisé le travail de reprise, pour aboutir à certains morceaux assez proches des originaux, comme la reprise de Shellac, et à d’autres, très personnalisés, comme la reprise de NTM ou les morceaux anglais traduits en français ?
— Après l’enregistrement des 5 premiers titres, on a expérimenté les différentes manières de faire une reprise. Sur certains morceaux, on s’est dits qu’on voulait aller plus loin dans l’interprétation du morceau original. On a donc voulu faire certaines reprises assez fidèles, et d’autres qui, dans l’idée, partaient dans de nouvelles directions. On en a même traduites deux, pour aller jusqu’au bout dans le travail de reprise : par exemple, sur le morceau de Gil Scott-Heron (La révolution ne sera pas télévisée), on trouvait que traduire le texte en valait la peine, parce que c’est un super texte.
On a l’impression que l’électro, sur " Positive Karaoke ", est moins mis en avant que sur " Hémisphère Gauche " : c’était un choix délibéré de rompre avec le précédent album ?
— C’est venu assez naturellement en fait. On n’avait pas envie de mettre trop de samples sur cet album. Ce n’était pas très calculé au départ… on ne sait pas encore ce qu’il en sera à l’avenir, on laissera sans doute toujours une certaine place aux samples.
A propos du DVD, comment s’est faite la réalisation ? Widy, je crois que c’est toi qui t’es chargé de le monter ?
— Oui effectivement. Sortir un DVD, c’était une idée qu’on avait depuis un moment. En fait, j’avais des vidéos de gens qui avaient filmé nos concerts, et d’autres qu’on avait nous-mêmes enregistrées. Quand j’ai commencé à avoir suffisamment de matière, on s’est dits que c’était l’occasion d’essayer de monter quelque chose. Le plus dur était de faire un dvd d’1h30 qui tienne la route : on a eu certaines contraintes techniques, notamment parce qu’on avait pas de gros budget. L’idée, c’était de montrer les cinq ans de vie du groupe, en mêlant concerts, images dans le camion, interviews et passages à la télé. On voulait montrer une certaine proximité, parce qu’on a toujours une image très distante qui nous suit, récoltée de l’époque Diabologum, surtout en France… Et c’était l’occasion de sortir ce DVD dans le même temps que l’album de reprises, dans cette idée de parenthèse discographique…
Où en êtes-vous au niveau de la tournée ?
— On a peu de dates prévues ce mois-ci, le gros de la tournée se fera à partir de mars 2006, avec une vingtaine de dates en France et d’autres en Espagne. En France, la tournée se fera avec Alec Empire. Ensuite, on devrait tourner en Amérique du Sud, sans doute au Chili et en Argentine.
Quels sont les morceaux que vous jouez sur cette tournée ? Vous rejouez des titres des albums précédents ?
— Oui, on essaye de mixer entre anciens morceaux et reprises tirées de " Positive Karaoke ". Le public a l’air d’apprécier que l’on joue encore les morceaux d’ " Aujourd’hui Maintenant " et de " Hémisphère Gauche ".
Comment expliquez-vous qu’il y ait une telle différence de succès entre l’Espagne, où vous avez déjà joué devant plusieurs milliers de personnes, et la France, où vous jouez dans des salles relativement petites ?
— Effectivement, il y a beaucoup plus de monde qui vient nous voir en Espagne, et surtout beaucoup plus d’effervescence. Ce succès s’explique peut-être par le fait qu’avec Diabologum, on avait pas mal tourné en Espagne, ce qui nous avait placé au rang de " précurseurs " des groupes français là bas. Et lorsqu’on a sorti le premier album d’Experience, il y avait une certaine attente de la part du public espagnol, ce qu’on ignorait totalement. Dès les premiers concerts d’Experience en Espagne, ça a très bien marché, et depuis, ça n’a pas faibli. Apparemment, on est cités comme référence là bas, avec Programme et Diabologum. La différence de succès s’explique peut-être aussi par le fait que le réseau indé est encore assez jeune en Espagne, contrairement à la France où c’est devenu un vrai business. Ici, si on ne sort pas de singles formatés pour la radio, il est très difficile d’être diffusé, y compris sur des radios comme Ouï FM et Le Mouv. Il ne reste que le réseau Ferarock où les gens écoutent encore beaucoup de trucs différents, et ont la possibilité de les passer à l’antenne, contrairement aux autres radios, où il y a un programmateur qui calibre ce qui est susceptible de passer, en fonction des partenariats avec les maisons de disques…
Concernant l’avenir d’Experience, vous avez déjà calé une date pour un prochain album ou enregistré des nouveaux morceaux ?
— Oui, on a déjà quelques trucs, mais rien de très défini. L’album sortira peut-être fin 2006, mais on va surtout consacrer les prochains mois à la tournée…donc difficile de savoir si on réussira à bien travailler les nouveaux titres.
On va sortir du registre strictement musical, si vous le voulez bien… Michel, j’ai vu que tu avais réagi assez vivement sur ton blog (e-x-p.blogspot.com), à propos de la crise des banlieues. Selon toi, quelle place l’artiste doit-il avoir face à ce type d’événements et face à la politique ?
— Je crois que l’artiste est là avant tout pour s’exprimer en faisant de la musique, du cinéma,…Il n’a pas forcément à s’engager à côté : on lui demande surtout de dire quelque chose à travers son art. Il y a quand même des gens qui arrivent à s’engager de manière assez respectable, mais il faut être sûr de ses opinions…Moi, je n’y arrive pas…Par rapport aux banlieues, ce qui arrive n’est pas étonnant, il paraît même bizarre que ça faiblisse…Après, il est toujours difficile de trancher dans ce genre de situation, ce ne sont pas les bons contre les méchants, c’est sans doute plus complexe…Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y ait pas tellement de réactions de la part des gens qui n’habitent pas dans ces quartiers, alors qu’ils sont eux aussi concernés.
Justement, en musique, les thèmes de l’intégration et de la ghettoïsation des banlieues ont surtout été développés par les groupes de rap. Ce n’est pas dommage que les groupes de rock n’abordent que très peu ce genre de sujet ?
— En général, on est surtout amenés à parler de ce que l’on connaît. Ce sont ceux qui vivent ce genre de situation qui sont sûrement les mieux placés pour en parler. D’ailleurs, moi (Michel), ce qui m’a toujours attiré, ce sont surtout les textes des groupes de rap français… ce sont plus eux qui m’ont donné l’envie d’écrire que les groupes de rock : il y a dans leurs textes une proximité, une simplicité que l’on ne retrouve pas forcément dans ceux des groupes de rock français, qui se la jouent plus poétiques. Même un groupe comme Noir Désir ne m’a jamais vraiment touché au niveau des textes. C’étaient plutôt des groupes comme NTM qu m’interpellaient : d’ailleurs, " Mais qu’est ce qu’on attend " me paraît assez universel, c’est le genre de morceau qui peut toucher n’importe qui, et pas seulement les gens des " banlieues ".
Je voulais aussi vous poser une question à propos d’Internet : vous êtes assez actifs sur le web, avec votre site, votre forum et votre blog qui ont l’air de bien tourner. Quelle place doit avoir Internet par rapport à la musique selon vous ?
— C’est vraiment génial : on voit ce qu’a amené l’informatique dans l’amélioration des conditions de travail, que ce soit pour la musique, les images ou Internet. Tout ça offre des moyens d’exister, de survivre, de se faire entendre, alors que les médias classiques perdent de plus en plus en diversité et en originalité. Internet permet d’avoir une certaine proximité, un contact direct avec le public.
Et par rapport au débat sur le téléchargement de musique, quel est votre avis ?
— Experience : Le téléchargement a de bons et de mauvais côtés. Déjà, dire que la baisse des ventes de disques en France est due au téléchargement est un faux débat : c’est sûrement beaucoup plus lié au prix des disques, qui sont vraiment chers. Concernant les effets néfastes du téléchargement sur les artistes, le débat paraît décrédibilisé quand il est mené par des artistes qui ont 5 maisons à Miami et qui affirment que le téléchargement les ruine. Au niveau du public, il est sûrement important que les gens prennent conscience que la vente d’albums est essentielle pour les petits groupes : acheter un album d’un groupe qui vend peu, c’est un acte de soutien, voire presque un acte politique. A côté de ça, il est évident que dans une certaine mesure, le téléchargement permet de faire la promo de nombreux petits groupes. Le seul truc vraiment gênant par rapport à ça, c’est lorsqu’on voit qu’un album pas encore officiellement sorti est déjà téléchargeable sur les réseaux de peer to peer.