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Vous occupez ce poste depuis plusieurs années maintenant. Vous ne deviez contribuer à la croissance de cette société de recouvrement que pour une courte période. Et puis, votre incapacité notoire à vous investir dans la recherche d’un nouvel emploi à contribuer à rendre cette situation durable. Vous n’y prenez aucun plaisir mais travaillez suffisamment efficacement pour qu’on tolère votre addiction à la musique rock et son corollaire : la diffusion en boucle au bureau de tous les albums qui composent votre discothèque. Et en particulier ceux fichés sur bande dans les années 60. Depuis quelques semaines vous remarquez la présence d’un nouveau dans la boîte. L’autre jour un exemplaire de Rock and Folk dépassait de sa carte. Pas votre publication favorite mais au moins la perspective d’échanges avec quelqu’un d’un peu comme vous. Il y a eu cette fois aussi, à la machine à café, où il évoquait The Greatest White Liar, l’album de Nic Armstrong and The Thieves. Vous n’en connaissiez presque rien. Vous vous souveniez simplement avoir lu que ses tuteurs se nommaient Dylan, Cochran ou les Beatles et qu’il avait 24 ans. Et puis cette mythologie (sans doute fondée) autour de l’envoi de sa cassette-démo usée à " Dazed And Confused "… L’idée, donc, de vous entretenir avec votre nouveau collègue du nouvel album de l’Anglais-qui vous rappelait vaguement le bassiste d’I Am Kloot-, était plus plaisante que d’évoquer à nouveau les routes paralysées et la mort programmée du Pape avec Michel du service compta devant une quiche molle et tiède. Vous l’approchez donc. Il répond favorablement et vous invite à le suivre dans une petite pizzeria " tu vas voir c’est génial et le rosé est à discrétion ". Votre ardeur à la communication en prend un sale coup. Elle finit par céder à l’écoute de Nostalgie, la radio qui baigne le restaurant de ses ondes. Tant pis, vous boirez. Vous remarquez aussi une petite scène au fond de la salle. La discussion s’engage. Votre collègue, échauffé par l’ingestion de ses trois sangrias offertes, avoue un amour immodéré pour le prog rock des années 80 et en particulier Pendragon. Vous souhaitez mourir. Au moment où vous attaquez votre macédoine savamment placée au centre d’une tranche de jambon roulé, vous remarquez la présence d’un homme au costume A. Thierry que vous datez de la fin des années 90. Votre père possédait le même. La serveuse vous précise qu’il s’agit de l’imitateur. " Il tue, attendez qu’il nous fasse Raffarin, il est génial ". Votre collègue opine du chef en ajoutant " C’est un gros, gros déconneur ". Il a dit gros deux fois, vous buvez donc deux gorgées de rosé. L’imitateur commence. Dalida, Barre puis VGE. Vous y voyez comme un hommage à l’époque. Vous notez qu’il s’en tire plutôt pas mal. Il a pris soin de modifier les paroles quand il emprunte la voix de chanteurs. Au lieu de chanter " il est libre Max " un moment il chante " il est libre Gaymard ". Vous souriez. Puis vient le tour de Raffarin. La posture voûtée, la manifestation pataude d’un volontarisme politique rétrograde et le poing en avant, tout y est. Il prononce " Positive attitude ", une fois. Vous y êtes. Puis deux, puis trois, six, vingt fois. Vous n’y êtes absolument plus et les pires heures d’A. Lamy se rappellent à vous. Vous payez. Et finissez votre pause déjeuner avec les filles du service compta. Elles sont sympas. Avant de rentrer chez vous, vous vous procurez The Greatest White Liar. Vous le placez sur la platine. Dieu sait pourquoi, le souvenir de la pause déjeuner occupe vos pensées au fil de l’écoute. Vous vous assoupissez. Nic Armstrong apparaît sur l’estrade de la pizzeria. Derrière lui, une affiche, la même image que celle de la pochette de son album. Particulièrement référencée début des années 60. Il chante. " Oh Darlin’/ You’Re My Sugar ". Ces paroles, à tout le moins, leur thématique vous ramènent une nouvelle fois plus de quarante-ans en arrière. Le son également. Vous marchez paisiblement le long de la Mersey. Vous êtes sensible au savoir-faire (" Broken Mouth Blues ", " On a promise "). Vous vous plaisez à revisiter avec lui les meilleurs moments de vos émois musicaux, ceux nourris par l’Angleterre de ces années-là. Sans effort, vous vous persuadez de l’honnêteté de l’artiste. Vous ajoutez qu’il doit sans doute souffrir de devoir vivre tous les jours cet anachronisme. Les morceaux s’enchaînent. L’expression "Positive attitude " répétée à l’infini finit par se mêler étrangement aux morceaux. L’image de l’imitateur en A. Thierry se superpose à celle du jeune Anglais. Vous n’y êtes plus. Ironiquement, il conclut son set par une reprise des La’s mais rien n’y fait. Demain vous parlerez des Byrds à votre collègue. Pour l’heure merseybeat (de 2005), merci bien mais non.




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