Chroniqueurs émérites, faussement intègres et sursollicités, dont la plume parfois paresseuse effleure les milliards de propositions que l’on nous soumet, œuvrant gratuitement – après une putain de journée de bureau merdique sans valeur sociale ajoutée – dans l’ombre de médias stipendiés par les publicitaires qui les nourrissent, nous sommes tous soumis aux angles morts de l’underground, qui n’a souvent d’underground que la confidentialité des artistes invasifs s’en réclamant, quand bien même ils ne rêvent que d’intermittence et de création subventionnée, stature de rebelle à l’appui.

Et ainsi, lorsque la sincérité belle de simplicité frappe à notre porte, c’est une joie de l’accueillir : il en va ainsi du cinquième album de Kevin Depoorter, alias Magnetic Rust, nourri d’électro mélancolique néanmoins éloquente, entre John Carpenter et Vitalic, proposant le genre de voyage nocturne qu’en fin de soirée les fêtards urbains accomplissent parfois, rentrant chez eux, ivres de conversations décousues et de possibles inaccomplis, le visage collé à la fenêtre du taxi, les rues et les murs et les néons défilent, formant un tout nébuleux, en esprit, incisif et rêveur.

Rejekt, c’est Rick Deckard, las de tant d’inhumanité et de fatalité mécanique, qui abdique face au réel, il se dégoûte lui-même de participer à cette fête folle et stérile, mais c’est aussi la bande son cyberpunk d’un monde où les gens ne devraient pas être remplaçables à l’infini : Magnetic Rust lutte contre cette époque maudite, triture et trafique ses synthétiseurs vintage, d’arpèges acidulés en beats minimalistes, offrant en contre-point nappes à la Vangelis et ambiances dignes du Michael Mann de Heat (nanar mais belle lumière), dérives dancefloor et citations tranquilles, jamais d’esbroufe. Ici, la machine s’efface derrière l’individu, dont on sent le cœur battre fort au travers d’entrelacs électroniques addictifs, une vraie réussite.