> Interviews



Entretien avec Monte Vallier (basse), Sean Kirkpatrick (batterie), John Dettman-Lytle (voix, guitare) et Niko Wenner (guitare) par Mickaël Mottet, avec la présence bienveillante de Renée Clancy.

Sean et Monte s’installent face à l’écran. Ils ont l’air détendu. On distingue des poutres en bois au plafond ; on sent que l’ambiance est chaleureuse, dans la maison près du Mans où ils répètent pour la tournée hommage à David Freel qui démarre dans quelques jours.

Renée : Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais ADA est le webzine français qui a sorti un album hommage à 41.

Monte : Oui, je me rappelle ! C’était super d’entendre ces relectures. Certaines de ces chansons sont très dures à jouer. “Here it is”, c’est dur ; “You’re so right” est vraiment difficile à jouer aussi. Pour “(It’s time to) Move on”, c’est une question d’atmosphère. Il faut savoir trouver l’humeur adéquate.

Mickaël : C’est ma chanson préférée de Swell, je pense.

Sean : “Move on”, nous allons la jouer. Mais il y a d’autres chansons qu’on n’arriverait pas à faire. Tu vas pouvoir venir nous voir ? Où vis-tu ?

Mickaël : A Malte. Mais vous êtes les bienvenus, quand vous voulez. Vous pourriez jouer sur le toit !

Sean : Ce serait cohérent : les tout premiers concerts de Swell en Europe se sont déroulés sur un toit-terrasse en Espagne. Je vivais dans un appartement dans le Nord du pays, près de San Sebastian. David et moi avions fait le premier album aux Etats-Unis, puis j’avais déménagé en Espagne, où j’avais trouvé un poste de prof d’anglais. David est venu me rendre visite et nous avons répété pendant deux semaines sur le toit du bâtiment.

Mickaël : Comment t’es-tu retrouvé à travailler comme professeur d’anglais en Espagne ? Avais-tu quitté les États-Unis intentionnellement ?

Sean : Je te fais la version courte. J’ai voulu faire une école d’art à Londres. Je m’y étais déjà rendu à de nombreuses reprises auparavant, et à chaque fois, à la douane, on me faisait enlever mes vêtements, on me fouillait et on m’interrogeait, parce que je m’appelle Sean Aaron Kirkpatrick, un nom qui sonne très irlandais. Or, à l’époque, l’IRA tuait de nombreux Anglais. Bref, je me suis inscrit à une école d’art ; comme d’habitude à la douane, interrogatoire, etc., sauf que cette fois-ci, ils m’ont renvoyé en France, où j’avais pris l’avion pour Londres. Je me suis dit, putain, qu’est-ce que je vais faire maintenant ? L’école était payée d’avance. Heureusement, j’avais rencontré un gars du nord de l’Espagne la veille de mon départ : je l’ai appelé, et il m’a dit, viens me rendre visite à San Sebastian. J’y suis allé, j’en suis tombé amoureux, et il m’a trouvé un poste de prof d’anglais. J’y suis resté deux ans.

J’étais rentré chez moi l’été, pour faire un disque avec David : le premier album de Swell. J’ai passé tout l’été avec David, puis je suis revenu en Espagne pour reprendre le travail. David a mixé le disque et m’a envoyé un tas d’exemplaires, que j’ai emmenés en Belgique, où nous avions réussi à trouver un producteur. C’est la raison pour laquelle David est venu m’y retrouver.

Mickaël : Et toi, Monte, comment as-tu rejoint Swell ?

Monte : J’étais attaché de presse dans le milieu de la musique. J’ai fait toute la promotion radio et presse pour le premier album de Swell. Mais je connaissais déjà les gars, Sean et moi avions joué ensemble dans plusieurs groupes dès 1981. J’ai même joué avec David sur certaines de ses démos en 1987, 88, quelques années avant Swell. Sean a rencontré David à cette époque, et lui a dit, tiens, je connais un bassiste. C’est donc à San Francisco que tout a démarré. Le premier album a très bien marché sur les radios universitaires et dans la presse. Quand les gars sont revenus d’Espagne, il était devenu nécessaire de former un vrai groupe, parce que nous avions des concerts déjà bouclés.

Il y avait un magazine à San Francisco qui nous voulait en couverture. J’ai dit à Sean et David, bon, on va faire la une d’un magazine. Plus qu’à former un groupe. Ce qu’on a fait, environ une heure avant la séance photo ! Quant à John Dettman, qui va chanter et jouer de la guitare sur cette tournée, c’était un vieil ami à moi originaire de Santa Barbara, qui venait d’emménager à San Francisco et partageait un loft avec David. Nous lui avons dit, bon, tu fais partie du groupe. Tu seras le guitariste. Et nous voilà 30 ans plus tard avec la formation originale, complétée par notre ami guitariste Niko, qui a fait partie de Swell de 1993 à 2003. C’est donc le Swell d’origine. A l’exception de David, qui est là spirituellement.

Mickaël : Qui chante ?

Sean : John Dettman, principalement. Il fait aussi la guitare acoustique, c’est “le David”. John a vécu avec David, comme je le disais, et David a appris à John à jouer de la guitare. David était une sorte de mentor pour John. Ils ont quelque chose comme six ans d’écart. John admirait David, et il le comprenait. Je pense que John a une bonne idée de comment se glisser dans les vêtements de David, bien que ce soit loin d’être évident.

Mickaël : Ce doit être une ligne ténue, de rendre un véritable hommage sans tomber dans la caricature.

Sean : Notre but, c’est de sonner aussi Swell que possible. En ayant rassemblé la section rythmique originale, avec également Niko qui connaît ces chansons par cœur, et John, qui s’est pleinement intégré, et s’en sort très bien. Les gens pourront fermer les yeux, et se dire, OK, je suis en train d’écouter Swell.

Mickaël : C’est tellement émouvant. Tellement émouvant de vous entendre parler de tout ça. Comment est née l’idée ?

Monte : Avant le décès de David. Sean, David et moi avions essayé de monter une tournée. Nous y sommes presque arrivés, en 2017. Après sa mort, notre booker en Belgique, Peter Verstraelen, nous a demandé si nous souhaitions toujours partir en tournée. On s’est posé la question ; devions-nous faire quelque chose ? Si oui, avec quel chanteur ? On a pensé à Thom Yorke, à Mark Kozelek, à Mark Eitzel. Finalement, Sean a proposé l’idée à John. C’était tout naturel. Après cela, Peter a passé beaucoup de temps à essayer de convaincre les programmateurs de prendre ce risque. Les gens étaient très sceptiques. “Comment allez-vous y arriver, sans David ?”

Mickaël : Vraiment ? C’est étonnant.

Monte : Mais Peter est un excellent agent. Il a réussi à nous trouver suffisamment de dates pour nous faire venir.

Sean : C’était très émouvant de se lancer dans ce projet. Une semaine après la mort de David, j’ai écouté “What I always wanted”, et je me suis effondré. Je me suis dit, nous devons faire quelque chose. Nous devons jouer, tant que c’est encore frais dans nos cœurs, et dans le mien.

Mickaël : Le 12 avril, ça fera un an que David est décédé. Ce soir-là, vous jouerez en Allemagne. Comment anticipez-vous cette soirée particulière ? Toute la tournée le sera, bien sûr. Mais ça va être encore plus lourd ce jour-là.

Sean : Bien sûr. Je vois cette tournée dans son ensemble comme un mémorial. Ce soir-là sera juste un peu plus poignant. Bielefeld est une petite ville universitaire, je ne suis pas sûr qu’on remplisse la salle. Ça aurait été super de jouer à Paris le 12 avril, mais peu importe, on va passer un bon moment ensemble et évidemment, David sera très présent ce jour-là. J’aimerais faire une sorte de petite cérémonie, avant le spectacle. Juste pour faire savoir aux gens que ce concert est un hommage à notre ami, David ; sans tomber dans la morosité, dans le morbide, mais simplement pour le commémorer.

Sean verse une larme, un ange passe.

Mickaël : Quelles chansons allez-vous jouer, comment se fait la sélection ?

Monte : Nous savons naturellement quelles chansons sont trop fragiles pour être jouées, parce que nous les avons déjà essayées dans le passé. “Smile my friend”, par exemple. “You’re so right”, pareil, c’est injouable. Nous avons simplement choisi les chansons avec lesquelles la connexion a été la plus forte. Sans David, nous ne voulions pas trop aller dans le compliqué. Nous voulions garder une certaine spontanéité. Nous avons sélectionné une vingtaine de chansons. On peut même en jouer davantage, si les gens nous le demandent.

Sean : Nous jouons des chansons extraites de chacun des quatre premiers disques. Il y a beaucoup de “41”. Il y a au moins quatre chansons de chaque disque, mais c’est “41” qui en a probablement le plus. Quant à “...Well”, nous le jouons presque entièrement. “...Well” est l’album qui sonne le plus live, donc c’était le plus facile dans lequel aller taper.

Monte : Nous n’allons pas forcément jouer les morceaux que les gens veulent entendre. “You’re so right”, nous l’avons peut-être jouée cinq fois en tout et pour tout. Il faut dire qu’on écrivait principalement en studio. Swell n’a jamais été le genre de groupe qui fait des jam sessions. On travaillait toujours sur bande.

Mickaël : C’est vrai qu’une chanson comme “Get high” sonne très live, alors que plus loin dans votre discographie, notamment sur “For All The Beautiful People”, on sent que le studio et la production font pleinement partie de l’identité du groupe.

Monte : Oui, exactement. Et puis, nous jouons des chansons des quatre premiers disques, car ce sont les albums où nous étions présents. Sean est parti avant “For All The Beautiful People”, moi après, quand c’était vraiment devenu lourd avec David.

Mickaël : Il arrive à Jim Putnam (de Radar Bros) d’imiter le personnage de tournée de David Freel : il se visse une casquette sur la tête, croise les bras, et ne dit plus un mot pendant les 10 minutes qui suivent. C’est une imitation fidèle ?

Monte : Oui, surtout pendant cette tournée. Nous avons joué 30 dates en Europe avec Radar Brothers, on a fini par très bien se connaître. David aimait rester silencieux, il aimait être seul. Il ne s’est jamais senti à l’aise d’être en tournée, ni sur scène. Il n’aimait pas parler aux gens. Il n’aimait surtout pas faire des interviews. Il me disait toujours, “Je vais pas faire celle-ci, vas-y, toi.” C’était sa personnalité, mais par moments, il était hilarant.

Sean : Il était mal à l’aise sous les projecteurs. Il n’a pas toujours été un ami exemplaire. Mais à d’autres moments, il était incroyablement chaleureux, solidaire, curieux, avide de connaissances. C’était quelqu’un de compliqué.

Mickaël : Quand j’ai rencontré David Freel, j’ai essayé de lui expliquer à quel point “41” était un disque important pour moi. Il est resté stoïque, taciturne. Il a fini par s’ouvrir quand je lui ai parlé de Saint-Etienne, sa culture ouvrière, son passé minier. Il a relevé sa casquette et m’a dit, “Là, tu m’intéresses !” Est-ce révélateur de sa personnalité ? Il s’intéressait à la politique, à l’histoire ?

Sean : Oui. David était un homme très cultivé. Il lisait constamment, il était extrêmement intelligent. Il parlait souvent d’histoire et de politique, il était vraiment curieux de ce genre de choses. Il me surprenait souvent : on passait quelque part et, soudain, il nous expliquait quelque chose en rapport avec l’histoire de cet endroit, parce qu’il l’avait lu dans un romain d’Ernest Hemingway ou quelque chose comme ça. Il s’intéressait aussi aux informations financières. En tournée, j’achetais le Herald Tribune, et je jetais toujours la section financière. Il me disait, “Tu es fou, c’est la partie la plus intéressante !”

Monte : Il lisait aussi The Economist. Je pense même qu’il était abonné.

Mickaël : Combien de temps s’était écoulé depuis la dernière fois où vous aviez écouté Swell, avant de démarrer cette tournée ?

Sean : Je n’écoute pas beaucoup Swell. J’ai probablement arrêté d’écouter après que David m’ait foutu les nerfs. C’est un souvenir qui est toujours doux-amer, à ce jour. Mes enfants l’écoutent, en revanche. J’ai un garçon de 12 ans et un de 20 ans, et ils écoutent Swell de temps en temps depuis 10 ans. Maintenant qu’il a fallu réapprendre ou redécouvrir les chansons, j’ai évidemment écouté les quatre premiers albums. Je ne veux pas paraître présomptueux, mais je suis fier de ce que nous avons fait. Les quatre premiers albums résistent à l’épreuve du temps. Je suis heureux de les jouer pour tous les gens qui seront là.

Monte : Je travaille toujours dans le milieu de la musique, j’ai un studio d’enregistrement, et je suis tout le temps entouré de musiciens. Et il y a beaucoup de gens qui connaissent les albums de Swell, alors on finit souvent par en parler. Mais je ne les avais pas écoutés attentivement, depuis au moins 10 ans. En 2017, quand on parlait de tournée, j’ai commencé à les écouter à nouveau, pour réapprendre toutes les lignes de basse.

Mickaël : L’histoire de Swell pourrait se résumer par la formule de John Peel, qui vous appelait “the next, next big thing”. Il y avait une sorte de malédiction au-dessus du groupe.

Monte : Il y a quand même eu un moment où le vent tournait en notre faveur. On a été signés sur une grande maison de disques, on a reçu une avance pour un enregistrement… Et à cette époque-là, ça a donné envie à David de ramper dans un trou. Il appréciait cette attention, bien sûr, mais ensuite il s’est rebellé contre tout cela, et il a fait tout ce qu’il pouvait pour se saborder. Il n’avait pas l’impression qu’il méritait cette reconnaissance. Il passait son temps à y creuser des trous… jusqu’à ce qu’elle se dégonfle.

Mickaël : D’une certaine manière, David me fait penser à Mark Linkous.

Monte : Je suis d’accord. Des personnalités autodestructrices. Si David avait été bassiste, guitariste, peut-être que ça aurait marché, mais en tant que chanteur, tu peux vraiment nuire à l’image du groupe si tu passes ton temps à faire du sabotage. Il ne voulait pas être le chanteur. Il disait toujours, “Prenons un chanteur”.

Sean : Récemment, la fiancée de David nous a appris que David souhaitait que Swell continue sans lui, et fasse des concerts. Je ne le savais pas. David lui avait dit, “J’adorerais être dans le public.”

John Dettman-Lytle et Niko Wenner entrent dans la pièce, Sean et Monte les invitent à passer devant la caméra. Souriant, Niko (qui est également l’un des membres fondateurs de Oxbow) semble aguerri à l’exercice ; John, la tête penchée en avant, une mèche de cheveux sur les yeux, est très impressionnant de fragilité. Il est habité, clairement.

Mickaël : John, comment est-ce que tu abordes le fait de reprendre les voix de David ?

John : Je ne me suis jamais vraiment considéré comme un chanteur. Je pense qu’il est important de l’imiter jusqu’à un certain point. Je pense que son accent, et certaines façons dont il prononce les mots, sont cruciaux. Je n’ai aucune fierté, je veux juste faire de mon mieux pour que ça sonne comme lui. Tu sais, il m’a appris à jouer de la guitare. C’est important que j’essaie de me rapprocher le plus possible de son rythme. Il avait une façon très unique de gratter les cordes, qu’il me montrait parfois. Nous étions colocataires à l’époque du premier disque, dans un loft au 41 Turk Street, avec sa fiancée.

Mickaël : Comment se passent les répétitions, pour vous ?

Niko : C’est - désolé de faire dans le mysticisme - assez profond. J’ai joué en live avec Swell pendant 10 ans, entre 93 et 2003. Donc le fait de rejouer ces chansons qui datent d’il y a 25 ans, c’est une expérience douce-amère, mais qui invoque David, d’une certaine manière. Il y a une certaine camaraderie entre nous quatre. La musique est au-delà du langage. C’est une forme de communication plus ancienne que le langage. C’est étrange, et beau, et un peu effrayant.

Mickaël : Je vais vous poser la même question que je posais à Sean et Monte à l’instant. Avez-vous beaucoup écouté Swell ces dernières années ? Et, question subsidiaire, quel est votre morceau préféré de Swell ?

John : J’écoute Swell depuis toujours. Même après avoir quitté le groupe, j’avais le désir d’écouter Swell. Quand j’ai été invité à participer à cette tournée il y a environ un an, c’était une nouvelle incroyable, pour moi, un immense honneur. je leur ai dit, “Vous vous foutez de moi ?” Je vis à Las Vegas, et je joue les chansons de Swell dans la rue. Je les joue dans des quartiers où il y a des sans-abris, des endroits durs, sales. C’est l’environnement idéal pour ces chansons.

Ma chanson préférée est “At long last”. Parce que c’est un peu mon histoire. At long last, je suis de nouveau dans ce groupe.

Niko : J’étais assez loin de Swell. J’ai mon propre groupe, Oxbow, à San Francisco. Je me suis vraiment concentré là-dessus et je me suis éloigné de Swell. J’ai tellement appris sur le jeu et sur l’écriture en regardant Monte, David et Sean. Ce sont des souvenirs très nostalgiques.

Ma chanson préférée est “Everyday sunshine”, et de manière générale, tous les titres les plus mystiques, les plus chargés d’émotion.

Mickaël : Monte, ta chanson préférée ?

Monte : Je dirais probablement “What I always wanted”. Pour moi, c’est la quintessence de Swell. Mais mon disque préféré de Swell reste “For All The Beautiful People”.

Mickaël : Le mien aussi.

Monte : La plupart des gens pensent que c’est un disque bizarre. Je suis partial, cela dit, parce que c’est l’album où j’ai le plus écrit de choses.

Mickaël : Ce qui m’a fait aimer cet album encore plus que les autres, c’est le fait de l’écouter en entier, et en voiture.

John : Oui, par exemple c’est une bonne manière d’apprécier “Oh my my”. C’est l’une de mes chansons préférées aussi.

Mickaël : Allez-vous enregistrer les concerts à venir ?

Monte : Oui, nous allons faire de bons enregistrements multipistes de certaines dates. Nous en publierons probablement quelques-unes sur notre site web.

Un grand merci à Gérald pour cette opportunité unique.