CBGB, NYC, 1994
Voilà où ces trois gars se situent sur l’échiquier du noise-rock. Ils ont digéré du Slint, du Girls Against Boys et le Sonic Youth de Dirty sur lequel Emmanuel Boeuf aura probablement bavé en fredonnant vicieusement "My precious". Ici il s’agit de cassures nerveuses et de vagues diffuses orchestrées pour faire le maximum de dégâts. ici et là on perçoit une énergie chamboule-tout qu’un groupe comme les Héliogabale des premiers albums pouvaient distiller avec leurs gros sabots.
Une diction martiale égrenne des énoncés courts, vindicatifs , presque industrielle avant de se muer en pop grangrennée de l’intérieur, déconstruite, écartelée. Partout, la basse s’immisce façon poulpe distordu à la recherche du riff conjuguant l’aspect liquide, facile et les accords cycliques les plus tordus qui rappelleront aux vieux de la vieille cette arlésienne, le groupe Table, avec ses morceaux à tiroirs nerveux, et sa section rythmique spécialiste en fessée avec le cuir. Et les clous.
Une dynamique guitare / basse / batterie façon rouleau compresseur qui bénéficie de l’expérience de chacun de ses membres de nombreux groupes bien connus de la scène française underground et réussit à placer des plans bien charpentés et très satisfaisants à la Rodan ou Shipping News.
Et c’est là où le travail de mix semble payer en spatialisant l’ensemble avec générosité, pour par exemple sur "On my side" offrir une vue d’ensemble qui met en valeur chaque instrument, avec des imbrications chaotiquement bien organisées sur une partie finale proche des morceaux les plus efficaces de The Ex.
Ce qui est très fort, ce que la pression des morceaux ne faiblit pas et reste constante avec des refrains particulièrement bien maîtrisés et jouissifs ("Here I stand"), simples dans l’approche mais diablement bien ficelés et tendus. Les assauts sont tribaux, cycliques.
Sur "Beyonce", la ritournelle prend une couleur âpre, avec une dynamique évolutive en trompe l’oeil. Et on entendra des accents pop à la fois fluides et rampants dans un esprit proche d’Autolux. Là encore, le son est ample, satisfaisant, donne tout à la gratte sur un "Watcha" que Helmet aurait pu ajouter à une réédition de "Betty". L’association des Jazzmasters en feu approuvent ce morceau et ces inflections germaniques à la Gentle Veincut.
Il y a encore bien du jus et du bien frais, dans les veines de la scène française. Des groupes comme Poutre, Cosse, Tabatha Crash, Echoplain continuent à tricoter des ambiances menaçantes, mais toujours secouées d’une belle liberté de ton ("13th") et d’une puissance qui fait juste du bien. Jouissif.