Je ne sais comment l’expliquer, il y a des films que nous aimons, des films que nous classons dans la catégorie chef d’oeuvre, mais que nous ne reverrons que pour nous rafraîchir la mémoire avant un diner en ville, et puis il y a les films dans lesquels nous nous sentons bien, sans expliquer si c’est le scénario les personnages ou la mise en scéne qui font que nous y reviendrons souvent, sans pour autant que cette oeuvre touche un public énorme. Pour moi, ce sont mes petits chefs d’œuvre intimes, qu’il me sera toujours difficile de partager de peur que l’avis d’un autre soit comme un coup de canif sur une toile que je considère de maître.
En musique j’ai ce même ressenti, à ceci prêt que ma consommation (je déteste ce mot) de musique est proche du maladif, et comme tout grand malade, il faut que je m’accommode d’une posologie restrictive, en l’occurence, refreindre l’enthousiasme quasi juvénile pour une approche façon visite chez tata avec les patins avant d’entrer dans le salon. Sauf que si chez tata, c’était un plaisir dicté par un lien familial, chez Blue Haired Girl, c’est le bonheur de m’y perdre, me remettant le temps de l’écoute des morceaux dans les mains des trois (quatre ?) membres de ce groupe qui dessine dans le paysage musical français des horizons rares.
Dix ans sans rien, ou presque puisque les membres du groupe se sont construits d’autres univers pendant ce break (Tycho Brahé, nuage nuage, DIY-note, Collectif Nuuk, Syncamore, Hildeor Tild). Dix ans depuis une reprise de " De la Neige en Eté" de #3 pour notre hommage à Diabologum, dix ans pour que Didier Loth (guitare, basse), Joseph Roumier (violoncelles, xylophone) et Geoffroy Séré (basse, percussions, chant) attrapent quelque chose dans leur filet à papillons mélodiques (« Explorateurs » ou la ritournelle magnifique et imparable pour nous attraper dés le début de l’album et nous plongeant dans un tourbillon sonique et puissamment suggestif).
Ces prises faites, le trio les emmèneront dans un univers sonore qui n’a pas beaucoup d’équivalent. Car la richesse sonore du trio n’est pas vaine, elle sert la seconde quête du trio, celle du morceau proche d’une forme d’artisanat d’art, façonnant un édifice sonore comme un ferronnier pourra rendre un portail unique. Mais la beauté pour la beauté pourrait avoir au final un impact réduit si elle n’était pas accompagnée d’un lien fort avec ce monde qui a tellement changé depuis dix ans (l’est il même un jour sur l’autre). Alors, sans tomber dans la faconde militante, dans le post situationniste façon reader digest, Blue Haired Girl propose des textes de haute précision (« Revolutions » le frisson social chanté par Timothée Demoury (l’artisan de Brome), « Des Formes » une ballade dans des angles gainsbouriens pointues qui se polissent le temps du refrain.)
Composé de huit titres, ce nouvel album de Blue Haired Girl est une bénédiction post rockienne, déjà, car il pourrait presque être à lui seul une nouvelle ramification du genre, mais surtout, car il n’y a pas une seconde derrière laquelle ne se cache une idée (« Moonfall » par exemple nous emmène dans le générique de Deadwood sans que nous ayons une seule fois l’idée de placer notre main sur le ceinturon pour dégainer, car on ne tire pas sur un tel titre.).
« Dérive » est un de mes rares petits chefs d’œuvre intimes, qu’il m’était interdit de ne pas vous partager. Salutaire.