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  • 7 octobre 2018 /
    Trisomie 21
    “Concert a Madrid 14/09 + Happy end Ep Salle Cavern Copernico”

    rédigé par Guillaume Mazel
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Il s’est assis, sur ce canapé un peu trop bas a la gauche de la scène, l’ombre allongée de Frederick de Dageist coupe le rouge de la zone, dans l’espace violé entre les pans de tissus qui séparent le temple des prieurs, entre les rideaux, je l’ai surpris dans ce geste, l’image un peu brulée dans les tons rouges. Philippe s’est assis, des silhouettes passent sans oser découper ce geste d’un salut, il y a un recueillement presque monastique qui se respecte. Il ferme sagement ce vieux classeur noir (de là où j’espionne, le classeur me semble vieux, et noir). Je capte une certaine tendresse dans le laçage des cordons de ce garde-fou qui l’a surveillé durant tout le concert, qu’il a recueilli sous son bras et l’a emporté, puis l’a reposé le temps d’un bis. Il doit y avoir une certaine magie, un dialogue secret comme ceux qu’on ces amis eternels, qui ne se disent rien mais ce disent tout, qui se savent, l’un de l’autre. Là, sur un pupitre en devant de scène, le classeur lui a délivré des secrets pour que la voix préserve son énigme. Je me rappelle d’une phrase dans une interview de Philippe, "Depuis le départ on dit que T21 est un livre", une bible, un simple classeur ? A présent, le show s’endort dans les mémoires, la foule noire s’exile dehors, restent les fans avides de photos, d’un contact, T-shirts, mugs, et marqueurs blancs sur les surfaces noires, et moi, la nuque tordue sur cette scène d’intimité, j’attends, depuis qu’a mes 19 ans, mon disquaire m’offrit le Ep. de Shift away – Jakarta – Ravishing delight afin que j’aie un générique potable à mon programme de radio locale, j’attends depuis 30 ans, de voir le son, et palper l’émotion, et imaginer tous les mondes contenus dans le classeur. Philippe noue la corde de sa carpette, de ces nœuds faciles à défaire, les jours suivant, Barcelone, la Russie, les villes impossibles à prononcer, lacet défait au Canada, ailleurs. La sueur demande un souffle, un répits d’a peine unes minutes, mais il ne reste assis que le temps de quitter l’apnée, il faut se mêler au peuple, entre temps, le classeur, comme un trésor merveilleux, a disparu, caché sans doute comme un instrument dans une caisse métallique, a preuve d’inertie, il écrit sur son épiderme l’histoire de ce soir. Le classeur enferme ses textes, il les a usé, mais il narre déjà la biographie d’un instant vecu.

Dageist avaient ouvert l’œil du cyclone comme un rasoir, puissants comme cette image, le duo avait saupoudré de leurs thèmes pavlovien les recoins de la salle, construisant peu à peu la cathédrale sonore pour accueillir le mythe, parfaits Saint Gabriel, ils bombardèrent les esprits jusqu’a ce que le rouge sang des spots imprègne les t-shirt de Joy division et autres The mission qui peuplaient l’espace. Courageux et armés de leurs plaisirs, illuminés comme gamins devant le trio caché derrière les rideaux, ils livrèrent un show humain dans le pigment mécanique., et puis sur cette mer a nouveau calme, cette marée noire d’yeux béants, s’installa ce typique silence qui annonce la tempête, c’est un moment que j’aime, entre chiens et loups. Humblement, j’offre à Oli Lec, manager, qui a réalisé sans presque me connaître mon rêve d’ado 30 ans plus tard, un jus de pomme, au cas où je regarde la date sur la bouteille, à ces heures-ci dans ces salles là, on ne doit pas souvent vendre des jus sans alcool, le personnage est grandiose, je t’admire à jamais, cher Oli, merci merci merci . Le poids de l’ambiance s’épaissit, quelque chose approche.

J’aime cette apesanteur où baigne la foule, juste avant le son, je les regarde, leurs bières étincelantes et leurs tatouages intimes, ces gestes nerveux des jambes qui cherchent déjà le frisson du sol quand tombent les bombes belles, leurs allures ombragées, leurs marques registrées de tribus, ci-et-là, un intrus en mocassin. Les spots o0nt les yeux bas, des roadies expliquent la magie, aucun câble ne se cache, aucun instrument n’a encore de vie, la musique de fond essaye de combler l’infini, ironiquement, personne n’y fait cas, c’est l’instant pré-chaos où les langues se sèchent pour que les oreilles apprennent a savourer, on cause, on scrute, on classe les savoirs en noms d’albums et ans, on farde, on s’attend a être mis a l’épreuve, en même temps, les regards se baissent, le respect est une note de musique magique, qui fait silence avant le son. Et Trisomie sait que son long parcourt se doit pour ce respect mutuel, entre leur art et les amateurs d’art, les uns sont incapables de déception, les autres de s’exiler. Des fumées naissent peu à peu, crevant le son électronique qui sert de fil conducteur aux âmes présentes. La fumée artificielle se palpe, bientôt, nous tous toucheront le son.

Ils le savent (c’est surement écrit dans ce classeur), il y a quelque chose de religieux, de grégorien, il y a quelque chose, une ferveur, une prière, une croyance, dans ces gens patients qui jonchent le sol légèrement gluant d’alcool, qui alourdit les valsements de jambes, les danses, et si il y a une croyance, il y a aussi les démons, ceux qui font que pour n’avoir aucune raison, ils n’ont jamais été dieux, ni même archanges, anges annonciateurs, mais ont leurs fidèles, et surement, une légion bien plus profonde que certaines religions, et, en restant sur la même terre que leurs croyants, ils ont réussi le tour de force d’être plus puissants encore, si les grandes gueules avaient avoué dans les eighties que ce groupe avait le don, et si, et si… et peut être vaut-il mieux être secte que religion. Ne regardons jamais en arrière si l’on veut être a l’avant-garde, regardons devant, sur cette scène où déjà c’est installé ce logotype, image d’enfance, petit aventurier, les bras croisés sur une rampe invisible, il attend lui aussi, et sa lumière de néon deviens phare, ligne de fuite des regards, les silhouettes tranchent la fumée, et ces petits soubresauts que notaient nos semelles, devient soudain, Jéricho.

Le classeur prend place.

Et le classeur de tourner nos pages, d’âges en âges, de fête triste en Breaking down, la machine à démonter le temps, l’éternel vieillissement de l’adolescent. Philippe est déguisé de sérieux, mène le bal de sa main droite en quelques spasmes quasi électriques, Hervé a son air de garagiste, ce facies nordique, franc et ample, affairé à ses machines, cajolant, manipulant, dialoguant, alors que Gregg Intensifie la scène de dosettes humaines de va et vient nerveux, enfant jouant aux batailles, feu-follet, trait d’union de corps filigrane avec l’étendue de paires d’yeux et d’ouïe, il y a des Larsen qui épousent le rythme et se joignent aux énigmes éternelles du groupe, des accidents déjà légendes (ne dit-on pas que l’art n’ait de l’accident), ce qui se joue ici à toujours été au-delà de la simple musique, nos âmes hypnotisées ne savent ni sauront de l’erreur et du beau, il existe d’autres dimensions, des chromosomes à découvrir, des sens à inventer dans la matière sonore. La musique n’a pas attendu l’image et a enveloppé chaque recoin du Cavern Copernico, Rarement Madrid a tant sombré dans le beau noir, je m’en étonne, Madrid se voue tant au soleil et si peu a l’ombre, et cela m’amuse, et me rassure, le gout n’a de douanes à passer. Rapidement la petite foule devient mer, l’écume à l’unisson, je regarde presque autant les auditeurs que les orateurs, dans un régal de sensations, une joie d’être là. Dans la sobriété des frères Lomprez, se glisse les soubresauts de Gregg, l’équilibre juste pour que le show ne soit ni feu ni glace, sinon un plaisir, je vois les mandibules du public suivre les torsions de la bouche de Philippe, je vois leurs doigts pianoter au compas d’Hervé, et les bras s’élancer, nerveux, comme les cordes de Gregg, la ligne d’émotions monte et descend comme une tachycardie. Etrangement, le climax ne vient pas d’un hymne belliqueux, sinon de la petite ritournelle magique, les présents se jettent en elle comme des cathares au feu, épris de merveille, dans un orgasme tout doux, tout simple, comme on revient à l’utérus, comme on retourne aux paix. Cet instant, classé au milieu des papiers du classeur, est le plus profond, le classeur le sait, c’est l’instant d’éternité, le moment vrai, pas menti, quand les ondes touchent l’art, un morceau de légende, comme la première berceuse de l’adolescent. Ce moment est d’une beauté respectée, les regards se sont baissés, il y a du silence dans les gestes, il y a de la transe dans les paupières des expériences extracorporelles, mais la sensation c’est fabriquée dans chaque chanson antérieure et se prolonge dans les suivantes, les heureuses retrouvailles de cet "Elégance never die" qui a ressuscité ce qui ne sait mourir.

Le classeur tourne ses feuilles comme un herbier hystérique, lançant dans les fumées teintées des parfums de mandragore, d’opiacés, de ces embruns qui bouleversent les dimensions, l’herbier de plantes vives qui s’enracinent dans les gestes de danses étranges, le show est intense, heureux de la chaleur de la capitale, le parquet craque sous les pas, un son de plus, comme un sampler improvisé qui s’ajoute aux lèvres mouvantes des présents, ils savent les paroles, ils ne sont pas là par erreur, parce qu’ils ont vu de la lumière, ils sont là parce qu’ils ressentent le dos des lumières, ils voient dans la nuit, ils écoutent dans le noir. On ne va pas a ces concerts pour y être, on y va pour aller plus loin, j’ai fait moi-même un bout de chemin de plus, le temps sans doute de marquer une ligne de plus dans les pages du classeur. Il a une chanson du groupe américain Gaslight anthem (style lointain de T21) qui demande incessamment quel sera la dernière chanson qu’on entendra avant de partir définitivement, j’y réponds souvent, je change tout le temps, mais souvent revient ce "Last song", emblème, oriflamme, territoire de ce groupe, qui clos le show en ouvrant les oreilles, qui ce sait du principe au dernier cliquetis, qui est comme un organe de plus dans nos anatomies, qui laisse une trainée de comète qui s’alourdie en montrant la sortie, qui pèse déjà comme une absence a venir.

Religieusement, Philippe reprends son classeur comme curé en fin de messe, il l’a offert aux fideles, il faut maintenant le préserver, la scène se déshabille de ces silhouettes, et la marée noire se retire vers les rives plus ensoleillées des nuits madrilènes.

Moi, j’attends le moment fugace d’étreindre la main de ceux qui m’ont vu grandir dans leurs sillons, j’attends sur le côté de scène mon moment, sans savoir quoi dire, ni le son ni la manière de leurs vies au-dehors de la piste, nerveux, serrant mon T-shirt acheté là, j’avais 19 ans quand je tombais dans leur art, j’ai là, en attendant, 19 ans a nouveau, et mon regard de surprendre ce moment intime d’un classeur qui se ferme dans l’arrière-cour des magies.

Le reste reste pour moi, en dedans, question d’avoir de temps en temps le temps de 19 ans. J’ai ressorti depuis les vinyles, j’y dépose désormais l’oreille différente de celui qui a eu accès aux pages du classeur, aux plantes de l’herbier et a la vie hors piste de ces trois messieurs, étrangement, rien ne change, tout est là, la fumée, les lueurs, les petites bombes et les grandes caresses, écrit depuis le début, et on lace dans nos crânes le carton du classeur, pour avoir a lire souvent. On écoute comme avant, en regardant devant.

Devant, c’est aussi ce "Happy E.N.D.", petit cadeau intime, travail tout en nuance sur cette chanson, visions intimes qu’ont eu neufs grandioses penseurs sonores sur le dernier album des freres terribles de l’obscurité quand les producteurs de Depeche Mode, Siouxie, Cure et autres pointures, je cite, Stephen Hague, John Fryer, Gareth Jones, Sean Beavan, Chris Kimsey, Steve Osborne, David Allen et surtout, puisque mes gouts sont miens, les versions, ou plutôt les apprentissages, puisqu’il s’agit ici d’apprendre d’une chanson plus que de prendre cette chanson, le point de vue de mon grand mythe, Dave Bascombe, et ce "Where men sit" de Peter Walsh d’occuper encore plus de place dans nos recoins intimes, de montrer des facettes reflétées a l’infini, d’ouvrir des angles là où les angles morts, de donner encore plus de nourriture a ces Gargantuas que sont les auditeurs de T21, cherchez-le, cherchez-le et savourez-le, il y a là des chemins a prendre pour les concerts de l’an 2020, ou plus loin encore.

Claudia Alva L. Fotógrafa Profesional

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