Le chaos a une beauté, n’en doutez jamais, le chaos est un art qui a sa propre beauté, pour normes l’anarchie et la folie, mais des normes quand même sans lesquelles le chaos serait défaite et non victoire. Le chaos a une naissance et une fin, un destin qui se tisse en à-coups, en virages soudains, en morceaux de temps brisés et recomposés sans arrêt, dans un ordre désordonné, dans un rythme sans compas. Pour que le chaos soit réel et non inaudible, ce qui le rendrait inutile, il faut y mettre la biographie, la géographie et l’anatomie d’un, l’encercler, le limiter, a une personne, un univers, un son, une idée. Pour que le chaos soit mélodie, il faut être ce chaos, connait tes ennemis, disait Sun Tsu, et aime tes alliés, de ce choc, naitra la beauté. Rabih vient de là, de lui-même, de sa profondeur, de sa mémoire, de sa terre. Rabih fait de la musique une psychanalyse du chaos, de ces nœuds de mémoires, de ces mosaïques imparfaites puisque ce morceau n’allait pas là, puisque cet espace était d’ailleurs. Il faut avoir du poids dans les phalanges et savoir en lâcher le lest quand personne ne s’attend a l’envol, il faut surprendre en sachant par cœur le sursaut, c’est cela, la beauté du chaos, et c’est une sensation totalement et exclusivement humaine. Et si le chaos a pour adjectif d’être violent et criant, ici, il découvre sa nouvelle définition, le murmure. "Murmuration" est un essai de connaissance, une introspection savante, un coup de cœur de Rabih, membre du groupe d’électro rock "Badbone party" et qui se lance en solo, et cette expression de soliste est plus profonde dans son cas, peu de fois en effet, on peut trouver une musique tant a l’image de son musicien. Tout au début peut paraitre incompréhensible, le titre "Murmuration ! Etant une introduction crue et rude dans ce monde, mais cette porte a sa raison d’être, et son ampleur ouvre une route a mille voies. Cet instrumental griffe et cajole, serpente sans point de départ ni d’arrivé, se perd en nous et réapparait dans nos nuques, comme un murmure inattendu, un murmure qui avoue, nomme, explique le pourquoi des bouleversements, la raison de chaque éclats, le pattern du désordre. Etrangement, ce morceau enveloppera tous les autres, on retrouvera son essence dans les sept autres astéroïdes, une présence qui vous surprendra, mais qui explique chaque pourquoi des détours, des angles, des chocs. Dans chacun de ces thèmes, Rabih s’explique dans son monde inexplicable, d’une voix souterraine, entre Nick Cave et Hugh Cornwell, oui, il y a des histoires, des vécus dans ces tohu-bohus, des influences autant de patries que de sons, il y a des raisons a ces arythmies, n’y a-t-il pas des pourquoi a nos vies, au moulage de nos faits et gestes, qui nous dessinent ? Comme tout essai, comme tout disque tant personnel, il y a des obstacles a la compréhension, ces titres ne sont pas toujours aisés a l’écoute, ceci n’est pas crée pour les dance-hall de samedis soirs, mais pour les salons clos de nos demeures, et l’obscurité pour mieux percevoir les images, parce que du chaos nait le monde, de l’accident nait l’art. Bien sur, cela a du rituel primitif et d’une vision encore floue d’un futur, c’est un voyage inachevé en quête d’on ne sait encore quoi, c’est un strip-tease intime d’on ne sait encore qui, mais qui excite, qui attire, et tant chaotique qu’on doit s’y retrouver, ici ou là, dans un son, un tournant, un effet, une gifle ou un silence. Rabih Gebeile, accompagné de sa guitare, d’une boite a rythme et d’un looper engendre une immensité malgré l’intime, bribes révoltées de ses idées, de ses envies, chansons de méandres, mélodies de cassures et jointures, points de sutures et veines a vifs, et une certaine idée de comment est l’existence, un sacré labyrinthe, beau comme un chaos.