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Dans la photo centrale du livret qui accompagne votre premier album, Julien Bouchard, vous avez la main droite sur la bouche, le regard malicieux, dans la posture de l’enfant qui sent qu’il vient de faire quelque chose qui devrait lui valoir le regard des autres. Avec cette tête de cinéma (oui Julien, j’en suis persuadé, vous être notre Vincent Gallo à nous – la mégalomanie en moins), ce regard entre détachement et aspiration à la mélancolie, vous incarnez la quintessence du cool. Derrière vous : des papillons naturalisés dans des cadres – insecte de la belle liberté –, et puis vous, en barde planant, pas hipster, ni baba cool, juste mélodiste qui par ses créations tente de supplanter en musique la beauté du vol de ses ailes multicolores.

Pour ce disque, vous avez choisi de résider dans un appartement (en Belgique, je crois, mais je peux me tromper ; car se tromper, finalement, c’est déjà essayer d’avoir raison – « si loin de toi ») que vous avez transformé en home studio rudimentaire. Seul avec vous-même (« m’enfermer sur moi-même », est-il dit), vous avez ouvert la porte aux amis, à votre fille, afin qu’ils jouent avec vous aux papillons (vivants, les papillons), afin qu’ils battent des ailes en votre compagnie, et fassent de ces battements d’ailes les souffles qui se propageront dans ces mélodies.

J’ai longtemps buté sur le premier titre de Songs From La Chambre, tube imparable, chanson à vous faire aimer la solitude, quand celle-ci enfante de chansons aussi douces et agréables que du coton. Pop song parfaite, "100 regrets" pose le décor et laisse le spectateur tellement ébahi qu’il ne bougera plus de là, s’imaginant jouer avec des cerfs-volants en forme de papillons sur une plage d’Ostende. Il m’était impossible d’aller plus loin, de ne pas me mêler au chœur qui vous accompagne, sur des « ohhh » et des « ahhh » qui font que, grâce à vous, j’ai presque réappris à respirer. "Stolen Love" a fini par arriver à ses fins et à m’attraper, ce qui sera la deuxième longue étape. Nouveau titre qui irradie ; avec en bonus cette façon, tout en détachement et précaution, de chanter, dans un timbre tout à la fois pur et dilettante ; un timbre qui happe (le filet de la mélodie n’ayant plus qu’à finir par nous agrippés). "Hand Guns" et les autres attendront leur tour, comme des bandes son d’un film imaginaire qu’Arthur Penn aurait réalisé avec vous comme acteur principal. La gorge pourra bien se nouer à l’écoute de "Si Loin de Toi", titre qui cache bien son jeu, mais mal sa prouesse (la métaphore maritime comme un acte poétique de premier ordre, comme un appel au large avec la bravoure qui remplacerait l’acte gratuit du fanfaron).

Mais vous n’oubliez pas non plus vos origines musicales : ces 90’s, période charnière, période laboratoire (pour "Fear", les fioles datent de cette époque) sans le retour immédiat qui est notre Golgotha actuel (cruel présent qui tue le temps), période bénie des papillons, j’en suis persuadé. Vous nous faites voyager dans le temps et dans l’espace, nous offrant une danse insulaire ("Blind Kids at The Stadium"), durant laquelle vous proposez encore des merveilles, comme un charmeur de serpents qui ne connaitrait pas ses pouvoirs et, ainsi, n’en userait guère. Nous balader à vos côtés est comme un voyage dans des nouvelles de Jorn Riel, entre histoire et légende, entre mélancolie infinie, tristesse profonde et sourire bienfaiteur. A peine avons-nous terminé cette danse imaginaire que "Hungry Men" (peut-être la plus belle chanson du disque) nous terrasse, ramassés alors par "Party Freaks" et son gimmick entre rue d’un Tokyo ancestral transposée dans un Seattle sous une grisaille inquiétante mais inspirante.

J’ai tellement adoré me planter face à vos chansons que la conclusion de l’album est un parfait alibi pour moi. Oui, j’ai décidé de « prendre le temps », chose que vous avez fait pour écrire ce disque, juste assez, avant de rendre les clefs de l’appartement que j’imagine, lumineux pour les mélodies, s’ouvrant sur un horizon fortement influencé par un ciel changeant mais jamais totalement uniforme. Et à l’image de cet insecte du paradis, vous avez touché du doigt et de la voix ce qu’est le beau, sans malice, mais avec un énorme talent.

Une campagne Microcultures est ouverte pour une sortie en France de ce superbe album.

http://www.microcultures.fr/fr/project/view/sortie-en-france-de-songs-from-la-chambre-par-julien-bouchard