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Au moment où s’apprête à sortir l’ultra explosif Genuine Feelings, deuxième album / consécration des Nantais Von Pariahs, rencontre, dans un café du onzième, avec Sam et Théo (respectivement chanteur et guitariste du groupe). Ces derniers parlent ici boxe, vélo, Primal Scream, Stade de France et… David Bowie.

ADA : Genuine Feelings est plus rude, plus méchant, je trouve, que Hidden Tensions. Comme si vous aviez voulu retranscrire sur cet album toute votre folie scénique. Etais-ce volontaire de votre part ?

Sam : Oui, je pense que tu as raison. Nous sommes partis sur un enregistrement live. Rien que le fait de se retrouver tous les six dans une pièce et de jouer ensemble correspond bien au son que tu décris. Pareil au niveau des paroles : j’écrivais en direct. Selon ce que le groupe jouait, j’essayais de capter l’humeur dans laquelle nous nous trouvions, les gars et moi. Une expérience enrichissante ! Et puis, avec le temps, les gars savent comment rebondir les uns par rapport aux autres. C’était hyper vivant et riche… En fait, je me pose plus de questions maintenant, en interview, que lorsqu’on faisait de la musique.

ADA : L’album est donc plus instinctif en raison de sa méthode d’enregistrement ?

Sam : Nous avons passé de nombreuses journées dans notre studio de répètes à un rythme bien établi, de 10h à 19h, pour que les morceaux soient déjà achevés au moment de l’enregistrement. Le premier album était un peu une compilation de notre travail issu des quatre précédentes années ; celui-ci, niveau musique et paroles, a été conçu de façon effectivement instinctive.

ADA : Genuine Feelings est habité par la violence.

Théo : C’est vrai : la violence est un élément central du disque. Mais cette violence rejoint la façon dont-on avait abordé le live sur la tournée de Hidden Tensions. En concerts, les gens trouvaient un aspect sauvage qui n’était pas présent sur l’album, d’où leur frustration. Pour eux, cette sauvagerie était un atout. Du coup, sur Genuine Feelings, on a essayé de sonner le plus fidèlement possible à ce que l’on peut développer sur scène. De même, je pense que dans nos vies, certaines choses ont fait que notre musique, ainsi que les thèmes abordés, sont devenus plus violents. On ne souhaite pourtant pas que cette violence soit dérangeante…

Sam : On la souhaite plus communicative.

Théo : Exactement.

Sam : On souhaite faire du bruit et faire bouger les gens. Cela passe par un mur du son shoegaze, par une rythmique un peu funk, avec une basse / batterie hyper solide, un piano qui tabasse, des percussions, et un chant direct.

ADA : À La Maroquinerie, en mars 2014, vous sonniez effectivement plus sauvage. Sur album, comme annoncé par le titre, la tension était cachée mais présente. La violence ressort donc ici. J’ai pensé au Trompe Le Monde des Pixies : très dur, très direct, mais avec un côté pop derrière le mur du son. Cet aspect pop, vous teniez à le conserver quoi qu’il arrive ?

Sam : Je pense que cela vient de ma culture et de mon éducation. Mes parents n’écoutaient pas de choses très trash. Musicalement, ils sont assez conservateurs. Et donc, en pop anglaise, je fus béni ! Si j’étais né au Venezuela, cela aurait été différent… La pop colle bien à notre univers : ce côté mur du son qui peut te déstabiliser mais qui possède des mélodies et une ligne de chant plus… fédératrices ?

Théo : C’est vrai qu’on aime beaucoup le foot, on a écouté pas mal de trucs hardcore lorsqu’on était ados, ou des groupes de pub rock anglais qui possèdent des refrains fédérateurs. Ce qui alimenta sans doute notre culture pop…

ADA : En gardant toujours un rapport intime avec l’auditeur…

Théo : On possède une facette introspective, je crois. Notre volonté n’est pas de faire des tubes de stade…

Sam : On a quand même des potes qui nous disent qu’on fait du rock de stade : « alors, les gars, vous jouez quand au Stade de France ? » (Rire)

Théo : Il y a certains refrains que l’on a voulu un peu fédérateurs, mais, au final, cela se fait ou pas. On ne peut jamais savoir si les gens vont s’y reconnaître. En tout cas, il y avait cette énergie au moment de la création. Après, dans les couplets, Sam va plus s’adresser à l’auditeur, il parle à la première personne, il construit un dialogue.

Sam : En répètes, quand je chante, je parle à mes potes. Sur le moment, j’espère qu’ils le comprennent.

ADA : Tu t’adresses toujours à quelqu’un au moment des prises voix ?

Sam : Ouais, ouais ! Si je fais une chanson d’amour, je m’adresse en premier à ma meuf puis à toutes les autres filles.

Théo : Et aussi à tous les mecs !

ADA : Lors des premières chroniques consacrées à Genuine Feelings, on a parlé de U2 à votre sujet. Vous en pensez quoi ?

Sam : Je kiffe l’album Boy. Et il y a des tubes de U2 que j’adore.

Théo : On passe souvent « I Will Follow » en DJ set.

Sam : Je peux mater une vidéo de U2 dans un stade avec 50 000 personnes à fond les ballons et avoir des frissons.

Théo : Le son des premiers U2 était plus rugueux, c’est ce qui nous plait. Le groupe n’avait sans doute pas les moyens de produire des trucs ultra travaillés, d’où un aspect rentre-dedans qui se ressent…. En fait, on a vraiment écouté U2 à partir du moment où certaines chroniques consacrées à Hidden Tensions établissaient la comparaison.

Sam : Qu’est-ce que ça veut dire « ça fait U2 ce que tu fais » ? Dans quel sens le prendre ?

ADA : Cela renvoie au mot « fédérateur » que vous employiez précédemment.

Sam : C’est positif ? Parce que je connais les Français, ils ne sont pas toujours positifs. (NDLA : Sam est originaire de Jersey.)

ADA : Généralement, ceux qui n’aiment pas U2 n’en parlent pas. Donc, dans votre cas, c’est plutôt positif.

Sam : Cool !

Théo : Et puis, les gens nous comparent à ceux qu’ils veulent. Je ne serai jamais en désaccord avec l’avis d’autrui car cela signifie que cette personne s’est approprié notre musique.

Sam : Du moment que la référence lui parle, voilà l’essentiel.

ADA : Et puis, je trouve que sur cet album, vous vous êtes débarrassés de vos influences originelles. On vous sent plus libres…

Sam : Durant la composition, on ne pense à aucun groupe en particulier ; mais il y a toujours des choses inconscientes qui surgissent. Les filles de Savages parlaient d’influences fantômes : avant de monter sur scène, elles font une heure de rituel pour se vider l’esprit, par exemple... En même temps, je dis cela mais nous avons découvert l’album Stinky Fingers des Stones, et j’ai quand même l’impression de l’avoir pas mal écouté durant l’enregistrement…

Théo : Les influences sont présentes, tu peux les accepter ou pas. Tu te positionnes en équilibre entre la réappropriation et la redite. Quand tu fais de la musique, tu es un peu « troubadour » : tu incarnes, d’une certaine façon, la parole de « l’histoire de la musique », une sorte de prisme à travers lequel toutes les choses qui t’ont marqué finissent par passer, même si tu les reproduis à ta manière… Pour Genuine Feelings, au moment de notre première session studio, on a enregistré six morceaux ; et deux, parmi l’ensemble, se distinguaient. Ils possédaient une cohérence, avec un rythme (comme disait Sam) funk limite baggy sound, une guitare shoegaze et une autre plus bluesy (l’une avec énormément d’effets, l’autre quasiment pas), puis une voix à l’influence anglo-saxonne par-dessus. Cette formule s’est ainsi imposée. Quand j’ai écouté ces deux morceaux, j’ai pensé que nous avions trouvé notre son. On a donc essayé d’écrire douze titres qui ne se ressemblaient pas trop mais qui avançaient néanmoins dans cette direction.

ADA : On ne peut plus dire : Von Pariahs se situe dans le sillage de tel ou untel.

Théo : Cela fait plaisir à entendre.

Sam : L’audience risque d’être paumée si tu n’arrives pas à nous mettre dans une case ! Plus sérieusement, la musique doit être vivante. Comme David Bowie, on ne sait pas trop ce que l’on fait d’un album à l’autre, mais on ne peut pas s’ennuyer.

ADA : Puisque tu parles de Bowie… Vous étiez fans, j’imagine ? (NDLA : l’interview fut réalisée trois jours après le décès du Thin White Duke.)

Sam : Ouais, super fans ! C’est l’un des chanteurs auxquels je me réfère la plupart du temps, avec Lou Reed et Iggy Pop. Les trois Dieux du rock !... Je suis cependant heureux que Bowie ait pu sortir son dernier album avant de mourir.

ADA : Vous avez écouté Blackstar ?

Théo : Je l’ai trouvé super bien. Bowie possède cette capacité à faire des morceaux qui peuvent paraître un peu… prévus. Par exemple, sur Blackstar, on trouve une intro qui te donne l’impression d’être dans un film de cul : un saxo avec une basse hyper ‘chorusée’ et une caisse claire très années 80, et le morceau se module, fonce vers une ambiance différente jusqu’à devenir classe…. Pour moi, la boucle est bouclée. Bowie était un homme moderne alors qu’il détient une carrière de quarante années.

ADA : D’autres artistes vous ont donné envie de faire de la musique ?

Sam : Moi c’est Théo et Guillaume (le batteur) qui m’ont aiguillé. Je les ai vus en concert avec leur premier groupe de punk : j’avais 14 / 15 piges, ce qu’ils faisaient n’était pas terrible mais ils m’ont donné envie d’être sur scène et de m’exprimer.

Théo : Pour moi, Iggy Pop. « I Wanna Be Your Dog », que j’ai entendu pour la première fois vers l’âge de 13 ans, est un morceau parfait… Excepté peut-être le fade out à la fin – mais c’est le manque de bol !

ADA : Et en ce moment, vous écoutez quoi ?

Théo : Un groupe de Norvégiens nommé Yung. Pas trop mal même s’ils n’ont pas beaucoup de sons disponibles, punk froid avec un côté grandiloquent à la Echo & The Bunnymen.

Sam : Je suis assez fan d’une radio basée à Seattle, KEXP. Et je suis tombé récemment sur le groupe Car Seat Headrest (que l’on peut traduire par « repose-tête de voitures »), un trio américain avec un chanteur guitariste de 22 ans, des sons assez noisy, des mélodies douces… Je crois que j’aime bien ce mélange entre guitares très fortes et douceur… Attention : dans le groupe, on kiffe le shoegaze des années 90 ! D’ailleurs, on n’entend jamais parler d’Autolux, qui est pourtant vachement cool.

Théo : Un groupe shoegaze un peu minimaliste sur les bords.

Sam : Mais qui tabasse !

Théo : Avec une production aux petits oignons, ultra léchée mais qui bonifie leur énergie. Oui : Autolux fait l’unanimité au sein de Von Pariahs !

ADA : Vous avez certainement été marqués par des groupes anglais issus de la fin 80 / début 90 : Ride, Happy Mondays, Stone Roses ?

Sam : Ouais… Un disque ressort particulièrement : Screamadelica de Primal Scream.

Théo : Les mecs voulaient faire des hits…

Sam : Et raconter un album sur l’ecstasy, aussi bien dans les paroles que dans les vibrations.

Théo : Dans les intentions, Primal Scream aurait pu arriver à un truc très putassier, c’est-à-dire se positionner dans une mode acid house. Mais ils l’ont alliée à leur son rock de base, comme un croisement. C’est à la fois un coup de chance et peut-être de génie.

ADA : Ils étaient bien défoncés, également…

Théo : C’est clair que les drogues permettent de voir différemment la musique.

Sam : Pas besoin de drogues pour faire de la musique : mieux vaut tomber à vélo !

ADA : Tu fais référence à la chanson « Bike Crash » sur Genuine Feelings ?

Sam : « Bike Crash », c’est vraiment l’histoire de ma chute de vélo ! Complètement défoncé, je suis rentré d’une soirée, et en vélo je me suis pris dans les rails du tramway à Nantes. Je me suis réveillé, je ne sais plus combien de temps après, en me frottant la gueule contre le bitume. J’entendais des voix. Une expérience assez psyché. Et le lendemain j’ai débarqué en répètes, prêt à faire de la musique. Mais cela fait du bien de se faire mal, parfois… Comme dans la boxe, que Théo et moi pratiquons : il ne faut pas aimer se prendre des coups mais…

Théo : Accepter de se prendre des coups.

Sam : Voilà, accepter de se faire mal.

ADA : La boxe : une bonne métaphore de Genuine Feelings

Théo : Complètement. Par exemple, je ne faisais pas de boxe avant cet album-ci. Et comme, à la base, je compose les morceaux, cette violence devait ressurgir. Même si cette violence a toujours fait partie de nous : à certains moments, on a tous envie d’exploser. Le rock, c’est également cela : la violence imprévisible sans le côté vicieux. L’animalité de la musique selon les êtres humains qui la composent. Ce thème nous parle.

Genuine Feelings (Yotanka)

Merci à Vincent Bazille et Jean-Philippe Béraud