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Quand on évoque la musique synthétique, plus communément la combinaison de particules électroniques, de sonorités déviantes, de voix déformées, le périmètre stylistique que l’on attribue à une oeuvre et à son auteur, n’échappe que rarement aux sempiternels raccourcis. Chez Maria Violenza, la musique a une toute autre signification, elle est la revanche des hérétiques, face à l’immobilisme de la pensée, elle est matière à mutation, échappant à toutes les caractéristiques d’un quelconque revival. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Scirocco daté de 2018, une suite de compositions bricolées à partir de loopers, de toms, de synthés, de guitares, la panoplie idéale qui incarne une cold wave minimale, sacrément insolente dans le texte. De la pulsation au monosyllabisme il n’y a qu’un pas. Synth punk à boucles, expulsant les souffrances et les frustrations d’une génération abstraite, et pourtant bien réelle, Maria s’est confiée au détour d’un concert, sur sa vision de la musique et son ampleur dans le cercle des musiques indépendantes. Maria a notamment tourné avec de nombreuses personnalités underground ( Urinoir Désir, Jessica 93). Son label, Kakakids situé à Genève, propose un catalogue d’artistes anticonformistes.

ADA : Bonsoir Maria, es-tu la réincarnation de la vierge électrique ?

Maria : Oh la la ! (rires) Quelle étrange question ! J’ai aucune idée de comment se sent la Vierge. Mais en vrai, je ne suis la réincarnation de personne.

ADA : Comment te décrirais-tu en tant qu’artiste ? Quelle est ta mission sur terre ?

Maria : Plutôt comme la représentation géographique de la Sicile, avec son histoire et bien entendu ses références culturelles qui ramènent à des choses très éclectiques. J’ai pris conscience de cela parce que je me retrouve à faire des morceaux qui sont tellement différents les uns des autres. En fait, je fais ce que je veux et je pense que c’est plutôt comme ça que je me vois. J’ai beaucoup puisé dans mon vécu, je l’ai recyclé et ça me représente plutôt bien

J’ai commencé à jouer en racontant des anecdotes personnelles mais en même temps, au fil des années, je me rends compte que les gens me considèrent comme un modèle, par exemple comme la plupart des nanas qui veulent se lancer dans la musique en solo, comme une sorte de représentation de courage et le fait d’avoir beaucoup d’instruments analogiques. Il y a des gens qui me disent " je veux être comme toi dans la musique", ça fait plaisir. C’est pas une mission mais plutôt une responsabilité.

ADA : Longtemps cantonnée à la pop 80, la scène indépendante Italienne connait une vague sans précédent, et s’exporte à l’international, comment expliques-tu ce renouveau ?

Maria : Tu sais, je viens d’un petit village proche de Palerme, où la musique était très marginale, dans les années 90, et du coup je ne sais pas comment répondre à cela si ce n’est que j’ai vécu dans l’univers des squatts, dans le milieu punk, c’est ça l’unique réponse !

ADA : Tu as participé avec Usé, Messine et Noir Boy Georges à deux splits, et en 2018 tu as sorti Scirocco, il en ressort au delà du coté synthwave, une approche beaucoup plus mélancolique et bruitiste. Quelles sont tes influences ? Et ton premier album coup de coeur ?

Maria : Je dois dire que c’est Nafi de Noir Boy Georges qui m’a vraiment inspiré, il a une manière d’écrire les textes qui est très crue, très réaliste et c’est cela qui m’intéresse en fait, les gens qui parlent d’eux, qui racontent les choses du quotidien, et ça il le fait bien, il le transmets de manière tragique, romantique, comme un drogué en fait. Donc Nafi il te donne envie de raconter des choses de la vie, en général je suis fan de mes potes, j’aime pas forcément un disque, mais plutôt la musique des gens que je considère comme des amis, qui m’a formée, j’ai pris tout ce qu’ils m’ont apporté et je l’ai regroupé dans mon art.

ADA : Quels sont les instruments que tu utilises en studio et quels sont ceux qui se retrouvent sur scène ?

Maria : Il y a peu de différence, j’ai tendance à proposer exactement la même chose en live que sur disque, à part sur un morceau enregistré dans un gros studio d’un pote qui fait de la techno, il avait de supers synthés, des boites à rythmes incroyables, on a fait quelques ajouts : doubler les grosses caisses, des notes sur quelques synthés, mais pas plus que ça. Techniquement les morceaux sont absolument pareils. En tant que spectatrice, j’aime l’idée que la prestation d’un artiste soit assez proche du travail éxécuté en studio.

ADA : Tu as beaucoup mentionné la Sicile dans tes influences, et pour y revenir, je trouve que quand je te vois en live, j’ai l’impression que c’est de la cuisine, petit à petit tu ajoutes des ingrédients, et tout prend forme progressivement.

Maria : C’est vrai que c’est quelque chose qui revient souvent, on me dit "te regarder, t’écouter et jouer c’est comme quelqu’un qui fait des recettes, le fait d’ajouter des sons et après on voit le produit final", je trouve que c’est une belle image, parce que j’aime bien cuisiner, beaucoup même, je suis Sicilienne, je pense beaucoup à la nourriture et au partage, avec mes potes, comme un bon repas ensemble, comme la musique en fait ! Ceux sont des couches, des strates, qui montent et forment quelque chose. Un son isolé c’est quelque chose de presque incomplet dans le processus de composition, mais une fois, le tout assemblé forme une sculpture sonore.

ADA : Le catalogue du Label Suisse KakaKids s’est enrichi d’artistes undergrounds, envisages-tu la sortie d’un format vinyle ou cd prochainement ?

Maria : Le dernier vinyle est sorti il y a plus d’un an, et après le covid, j’ai eu un gros moment de vide créatif, comme si mon cerveau s’était sur off. D’ailleurs, je reviens à la question d’avant, j’ai ajouté un truc tout nouveau, pour substituer les éléments de batterie sur scène, un pad, avec des sons électroniques. Et pour les nouveaux morceaux, que je vais faire, je cherche à intégrer la boîte à rythmes que j’ai toujours eue, et ce fameux pad. Il y a un processus de création un peu différent, mais la logique c’est toujours la même, comme des recettes de cuisine, mais en changeant l’ordre des ingrédients !

ADA : Le No Future n’a jamais été aussi d’actualité, vivons nous dans un hologramme du passé ?

Maria : Si tu m’avais posé cette question il y a quatre ou cinq ans, je t’aurais dit oui. Mais maintenant, j’ai 46 ans, et je commence à apprécier l’évolution, le changement des choses. Et puis j’ai perdu un pote très cher à mon coeur, il s’est suicidé, justement parce qu’il a cru à cette histoire de No future, que la vie c’est de la merde. Et ça m’a beaucoup fait réfléchir, au fait que l’existence est quelque chose de fragile et de difficile, mais je pense que nous qui vivons dans le monde de la musique, nous qui l’a faisons, vous qui l’écoutez, on a une chance incroyable, on a un monde différent, et il faut qu’on garde cela, qu’on commence à voir ce qui nous entoure d’une autre manière. Je ne sais pas si ça peut nous amener vers un avenir, mais il faut y croire pour que ce soit possible. Je suis arrivée à cette conclusion et cela m’aide à vivre un peu mieux. C’est une question de choix. La musique a toujours cette capacité à nous faire oublier les mauvais moments.

Propos recueillis par Maeva Lesly

Maria Violenza

Photo crédit : Dylan Gauthier



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