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Voici le temps des éclipses revenu, ces instants comme ralentis. A la terrasse des cafés, à la fraîcheur des mois de mars, cette frénésie à jamais freinée. Cette pénombre qui lentement s’installe, nous enveloppe comme un drap, comme un linceul opaque.

Ces éclipses comme des phases de recueillement, comme des étapes.

Prendre conscience de l’imminence de la fin des mondes, savoir que pour le prochain soleil voilé, nous aurons rejoint les ossuaires anonymes. Savoir que parfois la mémoire jaillit des mélodies silencieuses. Chercher éperdument des objets comme des témoignages de ce que nous fûmes, de ce que nous sommes, de ce que nous serons.

Alléger nos poches lourdes de nos lueurs inutiles. Rire au visage du faux prophète qui scande des Armageddon brûlants.

Car tout est discontinue, continue.

Nous sommes des êtres de peu de certitudes.

Regardez cette belle jeune fille aux rêves prometteurs qui un jour, comme les autres, fera le festin des vipères.

Ola Flottum, désormais seul à bord de la barque The White Birch, est l’exact reflet de ces instants. N’avez-vous jamais imaginé vos instants en musique ? N’avez vous jamais mis en scène votre vie ?

Alors que l’horizon se brouille, que la nuit accompagne le jour sans lune, la musique du norvégien, baignée de clair obscur et de doute se dilue dans l’attente taiseuse.

Le soleil réapparaitra t’il ? La terre basculera t’elle dans le vide ? Les océans se noieront-ils dans la voie lactée ?

Les quelques rares élus, les peu nombreux choisis, savent combien les chocs caressants de ’Star is just a sun" , de " Come up for fair" ou encore son projet parallèle Portrait Of David sont de ces œuvres pleines et graciles qui ne se partagent pas. Ces constances au milieu des roses des vents anarchiques.

Dix ans qu’Ola Flottum ne nous avait pas donné de nouvelles, une éternité . Sa participation à la B.O de "Oslo 31 août", mon film de l’année 2011, cette errance bergmanienne d’un jeune homme à la dérive dans les rues d’Oslo.

Ce travelling saisissant comme un instant de grâce, cet homme au petit jour enlacé à une femme belle sur un scooter qui traverse une ville endormie.

On se remit à espérer à la faveur de ce " Lamentation" reprenant à peu de choses prés les affaires là où nous les avions laissé. Nous savions qu’il y aurait un nouvel album de The White Birch mais rien ne nous préparait au choc que nous allions subir.

Nous avons bien fait d’attendre. Certes, les ingrédients sont les mêmes, la voix en falsetto éraillée d’Ola Flottum, les guitares alanguies mais la sape du temps est passée par là.

A l’image du jeune homme devenu homme puis père, la musique de The White Birch depuis toujours évanescente accepte d’être pleinement fragile car cette voix et son auteur ont connu les désillusions, pris conscience des significations des priorités.

J’ai toujours aimé les êtres toujours à la bordure de l’imminence du naufrage, entre la parenthèse de l’angoisse et les terrains vagues des bonheurs à venir. Ces êtres là ont ce regard lucide sur eux-mêmes, sur nous. Ils ont tant à apporter. Il nous faut des phares pour nous aider à nous repérer dans les brumes, il nous faut des Ian Curtis, des Léo Ferré,des Bill Callahan, des Thomas Feiner, des Mark Hollis, il nous faut les splendeur des Atlantis d’Ola Flottum.

Musique d’épure, musique à l’os. Seule l’émotion vraie sans pathos compte. Faisons fi de la virtuosité des uns, de la pudeur des autres. Mettons à distance kes postures, mettons à distance les distances comme des étendues qui nous séparent et nous irritent.

La musique d’Ola Flottum a grandi , s’est délesté de certaines scories parasites. C’est une oeuvre en constuction d’un être en construction, désarticulé entre la nostalgie du petit garçon qu’il fût et la terreur du vieillard qu’il sera.

C’est la chaleur des violons, la saturation de la guitare qui se fait muette, la voix grave, tourbière des plaies et des cicatrices.

Regardez les ces hommes, ces femmes, ces enfants qui attendent le retour du soleil avec cette crainte impatiente. Regardez les ceux-là qui craignent la nuit. Regardez les qui s’éblouissent aux reflets de la mer à perte de vue. Regardez les agenouillés vers des cieux vides. Laissons les cloches sonner, laissons les printemps menacer.

Chez ces êtres des bordures, il y a toujours cette prescience du tremblement avant même le son , avant même la perception. "The Weight of Spring" est de ces œuvres fondamentales, capables à partir d’une goutte de vos larmes de constituer un double de vous même, un être plus réussi.

Cet album est une merveille absolue, divine équation de fragilité et de silence. Il ne faudra pas oublier les voix féminines de "The Weight Of Spring" comme le trés Cohenien "The Weight Of Spring" aux effluves du "Take This Waltz" du canadien ou la voix sublime de Susanna Wallumrod sur "The Hours".

Le piano cristallin , la grâce des arrangements, la mesure anarchique des sentiments .

Quand dans huit décennies reviendront le temps des éclipses, nous sortirons de nos abris humides, de nos maisons enfouies. Nos pas nous mèneront vers les plages désertes. Nous nous allongerons dans la chaleur du sable alors que les astres perdront leurs axes. Lentement, nous nous disperserons dans les reflets mordorés, nous serons de grand silence, nous serons de ces mélodies, nous serons les murmures derrière la voix d’Ola Flottum. Nos lits seront faits de galets, nos couches seront ocres comme l’argile. Nos matins seront nos nuits, nos printemps , nos obscurités sans fin...Nous nous lèverons et regarderons les horizons aux mille lunes.

https://www.facebook.com/thewhitebirch




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