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Ambiance de veillée funèbre quelque part dans le sud des Etats-Unis, une chapelle à moitié en ruine, un cimetière laissé à l’abandon, un cercueil simple mais largement fleuri, un cortège interminable dans les rues de la Nouvelle-Orléans, au ralenti le balancement régulier et léger de ces corps pourtant massifs, de ces têtes chapeautées, l’esprit d’Alan Lomax plane sur ce convoi qui prend son temps pour accomplir la fin du parcours, et puis cette chanteuse, cette âme singulièrement éraillée, ce grain vibrant, cette voix dont on ne sait pas vraiment si elle vient du blues originel, de la soul profonde ou d’encore plus loin, des entrailles à vif de ces terres contrastées et souffrantes, cette voix brûlante qui, entre deux jets de braises incandescentes, balance parfois des éclairs givrés sans prévenir, gospels gothiques, tenus en l’air par des cuivres qui se lamentent si joliment avant d’interpeller la mort froidement, de la prévenir que tout n’est pas terminé, que tout n’est pas à sa place, le deuil chaud, les émotions qui vont et viennent, se percutent sans logique, sans manières, la tristesse si facilement larmoyante qui se réchauffe de rires francs, des sourires esquissés et sages qui affrontent des visages fermés, gelés, le chœur des pleureuses, habitées, hantées par les frasques et la déraison des esprits défunts, et toujours cette voix qui égratigne, s’insinue loin en nous, voyage dans nos vaisseaux, cherche à provoquer nos tripes assoupies par une vie trop routinière, trop matérielle, trop connectée, trop plastique, trop informatique, pas assez vivante et déjà presque morte, et toujours, accompagnant la longue caravane mortuaire, cette voix de soul retenue, sombre et pourtant accueillante, qui couvre les lamentations communes et mineures des esprits étroits et aigris, elle pourrait chanter comme ça sans fin, les yeux mi-clos, bougeant à peine, bien ancrée en terre, elle pourrait chanter ainsi une vie entière, plusieurs peut-être… Et pourtant, au fond de notre estomac chaviré, un léger frisson, à peine perceptible mais bien réel nous suggère qu’il règne un je-ne-sais-quoi de fragile dans l’air moite de ces rues désertées, d’incertain, d’éphémère, et qu’il faut en profiter, maintenant. Maintenant.

Je n’ai aucune idée de ce qu’est la « Doom Soul », étiquette avec laquelle débarque Al Spx alias Cold Specks pour son deuxième album. Je sais que certaines chansons ne sont pas sans reproches. J’ai parfois pris peur au détour de certains morceaux subitement enrobés d’une pop un peu facile, comme si Kim Carnes, au mieux (Bonnie Tyler, au pire) était soudain sortie de ce cercueil qui chemine dans les rue humides de la Nouvelle-Orléans. Oui certains effets de productions sont probablement inutiles et certains essais peu concluants. Mais j’ai peu d’inquiétudes sur la suite de l’histoire de cette jeune fille déterminée et déjà sacrément culottée. Nul doute que la route, même un peu sinueuse, même si elle emprunte des chemins de traverse, la conduira vers une offrande, une épure, une abstraction, que cette voix si singulière trouvera la voie du dépouillement, de l’ellipse car c’est la meilleure façon d’affronter ses démons. Se présenter face à eux nu comme au premier jour.

« A season of doubt » clôt justement cet album qui est plus une affaire d’ambiance, de voix, de tripes que de songwriting, mais qui contient de sacrées promesses et de nombreuses certitudes pour les saisons à venir.




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