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Mon rapport au gouffre de Padirac est né d’une frustration, une frustration ancienne...

Août 1977, je n’ai pas encore sept ans. Nous sommes en vacances avec mes parents et mon frère sous le soleil brûlant du Lot. Nous arrivons non loin des portes de la ville fortifiée de Rocamadour. Au détour d’un chemin, d’une route, mon frère aîné de deux ans plus âgé que moi, déchiffre laborieusement sur une pancarte : " Gou...ffre ... de... Pa...di...rac...." Je me rappelle encore mon excitation à épellation de ce nom mystérieux par mon frangin. Je savais ce que voulait dire gouffre. En effet, peu de temps, j’avais visité les profondeurs de la terre en voyant cette adaptation surannée de Jules Verne par Henry Levin avec un James Mason au charme de Dandy anglais

Je m’imaginais déjà plongeant dans les profondeurs, découvrant des Atlantides englouties, traversant des mers intérieures souterraines, affrontant en guerrier intrépide et forcément victorieux des monstres préhistoriques... Enfant, quand l’excitation de l’imagination me gagnait,très vite, je me mettais à chanter à tue-tête des hymnes épiques de combattant épiques mais ma Walkyrie ce jour là fût vite interrompue, je ne me rappelle plus comment mais mes fantasmagories d’enfant trop rêveur, trop lunaire furent tues brutalement. Je ne me rappelle plus les mots de ma mère mais je me rappelle qu’ils sonnèrent comme une sentence définitive... Trop cher... Trop de monde... Trop piège à touristes... Trop d’autres choses à faire... Cette frustration là, je m’en rappelle encore aujourd’hui.

Sans trop savoir pourquoi, ces gouffres m’attiraient. Depuis, j’ai traversé ces territoires étranges mais sans ce petit supplément de monde, de pensée magique propre à l’enfant. Ces mondes d’en bas, ces lieux de silence et d’obscurité n’en finissent pas de me fasciner.Avec "Le Gouffre de Padirac, Edouard-Alfred Martel et l’incroyable découverte", je retourne à cette excitation inaugurale de cet été 1977.

Tout commence en 1938 quand un jeune journaliste passionné de spéléologie décide de dresser le portrait d’Edouard-Alfred Martel, pionnier et père de l’art de l’exploration des profondeurs terrestres... Ce dernier touché par l’enthousiasme du jeune homme accepte de bonne grâce de se raconter. Le vieux monsieur commence ainsi son récit :

"Les romans de Jules Verne m’ont très tôt donné le goût de l’aventure. Il venait alors de créer un nouveau genre littéraire, le récit d’aventures géographiques et scientifiques... L’époque de ma jeunesse était foisonnante d’inventivité... Nous étions curieux de découvrir notre terre... Imaginez l’automobile, le téléphone, l’ampoule électrique, la photographie naissaient, les voies ferrées couvraient de plus en plus de distances et je ne vous parle pas des sciences, des mathématiques, de la chimie, de la géographie et j’en passe... C’est simple, à cette époque, nous pensions que tout devenait possible... Je rêvais d’être explorateur... Je devins ami avec Louis De Launay, géologue de renom... C’est au lycée Condorcet que nous nous sommes connus.... Nous passions alors notre temps à gravir les sommets les plus hauts ou à descendre dans les avens les plus profonds... Cette passion nous a naturellement conduits dans "Le trou du diable", ce que vous appelez aujourd’hui le Gouffre de Padirac...".

Ce trou sans fond connu depuis toujours par les habitants des environs, parfois vénéré, souvent craint, la faute à l’obscurantisme et la superstition. Il fût habité un temps durant la guerre de cent ans puis encore sporadiquement au fil des âges... On l’exploita en en extrayant du salpêtre. En 1889, Edouard-Alfred Martel sera celui qui sera allé le plus loin dans le gouffre de Padirac en découvrant sa rivière souterraine.

Qu’y a t’il de commun entre un Amerigo Vespucci, un Colomb, un Galilée, un Edouard-Alfred Martel ou un Neil Armstrong ? Peut-être cette même envie d’aller par delà l’horizon, de plonger toujours plus loin dans l’obscurité pour y découvrir de nouvelles perspectives, de nouvelles tentations ? De dépasser la peur des mythes, ces légendes qui nous éloignent de la vérité de ces ailleurs attirants. Ces lieux-là sont toujours des espaces frontières entre profane et sacré. Le gouffre de Padirac ne déroge pas à la règle...

Connaissez vous l’histoire de Saint-Martin sur sa mule ? Le diable lui lance un défi, s’il parvient à sauter par dessus l’abime, il lui cède les âmes des paysans damnés qu’il s’apprête à conduire en enfer... D’un bond prodigieux, Saint Martin parvient de l’autre côté et laisse dans la roche une empreinte de sabot qui serait encore visible aujourd’hui... Vaincu et vexé, le diable disparaît au fond du gouffre...

Il faut les voir traverser ces entrailles froides sur "Le Crocodiles", cette barque de bois, passer le lac de la pluie, la grande Pendeloque, le rétrécissement du pas du crocodile, le lac des grands gours.... Ces images là dans ces grottes sans âge vous renverront à coup sûr vers d’autres mythes, celui d’Orphée combattant les eaux froides du Styx...

Depuis 430 000 visiteurs descendent dans le gouffre chaque année pour se procurer un petit frisson, un retour à une forme de primitivisme, un retour aux peurs essentielles, une tentative pour essayer de retrouver cette adrénaline des pionniers...

"De ces impressions si vives, on ne se lasse jamais... L’impression est fantastique, on se croirait au fond d’un télescope ayant pour objectif un morceau circulaire de ciel bleu, les effets de lumière sont extraordinaires et particulièrement changeants..."

Côté dessin, l’académisme n’est jamais très loin mais n’y voyez pas un défaut, il apporte un charme suranné à l’ensemble qui parfois ramène aux travaux de Benêt, l’illustrateur des "Voyages extraordinaires" de Jules Verne... Le trait de Lucien Rollin est vif et nerveux en réponse au scénario elliptique et riche de Laurent Bidot...

En passant de page en page, petit à petit, j’ai tu cette frustration de ce mois d’août 1977... D’ailleurs comme le dit Edouard-Alfred Martel :

"Réaliser dans l’âge mûr une pensée de jeunesse est je crois, la définition la plus exacte qui ait été donnée au bonheur..."

http://www.glenatbd.com/bd/le-gouffre-de-padirac-tome-1-9782723495806.htm




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