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Stigman ? Qui est-ce ? Stigman c’est un projet solo, pop rock indie, en anglais, aux influences littéraires et cinématographiques, mélancolique et intimiste, développé depuis 2010 par le belge (Namur) François Borgers (musique, textes, chant, réalisation de vidéos/en live : guitares, beat box, projection de ces vidéos). « Stigman » c’est le personnage central du livre d’Henry Roth, écrivain new-yorkais, « Mercy of a Rude Stream » (« A la merci d’un courant violent »), roman autobiographique sur l’enfance, la perte de l’innocence, la transgression.

François a accepté de se prêter à l’exercice du titre par titre :

J’ai enregistré l’album entre janvier et juin 2013, chez moi, sur un enregistreur numérique 6 pistes. De manière très simple : deux pistes pour les voix, deux pistes pour les guitares et deux pistes pour les beats, arrangements électro et nappes de synthé. J’y ai mis des influences musicales (pop rock indie, lo-fi, folk anglo-saxon, musiques arabo-andalouses, musiques de films), des influences cinématographiques (Bergman, Tarkovsky, Casavettes, Pialat, …), influences littéraires (Henry Roth, Russel Banks, Cormac Mcarthy et de nombreux poètes) et aussi et surtout les influences de mes rencontres et de ma propre expérience de vie, pour tenter de développer mon propre style, mon propre univers : une musique intimiste, mélancolique, avec une recherche d’espace et de lumière mais aussi avec des aspects bruts, directs et plus sombres. Dans mon travail je pars essentiellement d’émotions, de sensations personnelles, de sentiments intimes et d’images (je réalise d’ailleurs des vidéos que je diffuse lors de concerts, que vous pouvez voir sur le net). Pas évident d’y mettre des mots mais je vais tenter de dire deux ou trois choses sur les morceaux de l’album.

"Play With You" :

L’album s’ouvre sur ce titre, un titre que j’ai voulu assez ouvert, accrocheur, « catchy ». J’y parle du jeu avec l’autre, dans les relations amicales et amoureuses, de la possession, de sexe. Tout cela avec l’idée qu’il faut partager et ne pas perdre de temps. Avec derrière, la présence-absence fantasmée de la femme.

"Blind" :

Plus lo-fi, plus sombre, avec un riff de guitare saturée et direct, assez carré, je suis parti pour l’écriture de l’image d’un prisonnier en fuite, un fugitif recherché et en proie à ses propres démons (on a en a vu dans les rubriques faits divers, le cinéma et la littérature – je pense à « Un monde parfait » de Clint Eastwood ou à « Cavale », le livre de l’écrivain belge Jean-Claude Pirotte). L’idée, c’est la fuite, l’insécurité mais finalement une mise en mouvement perpétuelle ; je voulais que le morceau traduise ça et qu’il « avance ». C’est le point de départ. A partir de là, j’aborde des thèmes plus intimes, la culpabilité à laquelle on n’échappe pas, l’incommunicabilité et mon aveuglement devant certaines situations.

"Take Care Of Me" :

Au morceau « Take care of me », je pourrais associer le morceau « Secrets ». Ils sont directement adressés à celle avec qui je vis depuis toutes ces années, à tout ce que l’on a traversé, le bon, comme le mauvais et à tout ce que l’on vivra encore ensemble. J’y parle de la réciprocité, de nos erreurs, du fait que l’on se trompe dès que l’on prend le risque de vivre quelque chose, mais que ce n’est pas grave, si on prend soin l’un de l’autre. Et puis, pour moi il faut que son alter ego puisse garder son côté insaisissable et c’est très bien que je n’aie pas encore découvert tous ses secrets.

« What’s Done Cannot Be Undone » :

Ce qui a été fait ne peut être défait), deux versions, l’une plus acoustique, l’autre plus rock. Je parle de l’irréversibilité de certaines de nos actions, de nos choix, de certains événements que l’on vit. Avec une dimension tragique, dans la séparation, la mort, la faute, quand on ne peut pas revenir en arrière, la cassure est là et c’est trop tard. Cela peut fortement modifier le cours de votre vie et vous renvoyer à votre solitude radicale. Ce sont les thèmes, mais à côté il y a tout le côté émotionnel, les événements personnels qui m’ont amené à écrire cette chanson. Ceci dit, il existe aussi de belles choses irréversibles ; un événement heureux intervient, il est unique, il ne peut être reproduit dans les mêmes conditions mais il est ineffaçable, quelque part absolu. Personne ne pourra vous l’enlever. Les chansons servent aussi à capter ces événements et à leur donner une part intemporelle.

"Kids" :

Comme son nom l’indique aborde l’enfance. J’imaginais un adulte qui fait un peu le point sur sa vie, qui observe le monde extérieur et réfléchit à ses propres expériences relationnelles, qui relativise les échecs comme le font les adultes, mais qui est renvoyé à la radicalité, la force de l’enfance qui balaie tout sur son passage. Des forces que j’espère pouvoir garder un peu en moi, la naïveté et le désir de l’enfant qui veut tout, sans penser à la mort.

"Ivan" :

C’est une courte intro.c’est un sample du film d’A. Tarkoksy « L’enfance d’Ivan ». On entend juste la voix d’Ivan , pendant quelques secondes. Ce film m’a profondément marqué par ses thèmes, sa mise scène, sa photo, ses acteurs et il nous livre le plus beau final qu’il m’ait été donné de voir dans un film. Et puis quels thèmes : la perte de l’innocence, l’idéal de l’enfance perdue (comme dans le roman d’Henry Roth), détruit par la guerre, un monde d’adultes déshumanisés, l’onirisme pour s’en échapper. L’intro d’« Ivan » préparait parfaitement le morceau suivant « Life in hand ».

"Life In Hand" :

Dans ce morceau, on peut comprendre qu’il s’agit d’un père qui parle à sa fille et lui dit qu’il faut qu’elle prenne sa vie en mains et qu’elle ne doit pas la gâcher. Le morceau parle de la sphère familiale, des tensions au sein de la famille et des rapports d’autorité, du fait qu’il faut peut-être un moment donné en sortir et prendre des risques et tenter quelque chose. Mais on n’en sort jamais vraiment et on ne peut pas vraiment imposer à l’autre un « modèle » de vie ; et puis, réussir, rater sa vie, ça veut dire quoi ? Chacun fait comme il peut. Autre hommage au cinéma et à un autre film qui m’a marqué, « Monika » d’I. Bergman, qui aborde le désir amoureux, innocent, la naissance d’un couple et sa mort après sa confrontation à la réalité quotidienne. Cela part d’une romance un peu naïve, sensuelle, un amour d’été sur une île dans la région de Stockholm, et ça se termine par Monika qui largue son gentil mari avec ce fameux regard de défi qu’elle lance à la caméra, pendant plusieurs secondes, un regard qui prend à parti le spectateur et qui remue. Ce plan a apparemment influencé pas mal de cinéastes, dont J. L. Godard. Et puis l’actrice qui joue Monika, Harriet Anderson, est fantastique dans ce film, elle a quelque chose d’envoûtant. J’ai essayé de mettre un peu de ça dans le morceau.

"Kingdom " :

Ce morceau est né après avoir vu dans les médias des images violentes de la guerre, de réfugiés, en Irak, en Lybie et en Syrie. Le chaos, la destruction, des familles qui fuient à la recherche d’un abri... Le morceau est assez noir, avec un beat répétitif, presque obsessionnel, mais il y a aussi une forme de douceur, de bienveillance. Musicalement, il y a une inspiration flamenco, dans la succession des accords. J’en reviens aussi à des thèmes plus intimes : l’incommunicabilité, une lutte intérieure pour en sortir et le désir que l’autre puisse entrer dans mon univers.

"Come" :

revient sur les sentiments de l’enfance, l’évasion, les vacances, la mer, et également l’intranquilité et un sentiment de tristesse qui peuvent survenir après des journées parfaites. « Come », d’inspiration flamenco, est plus ensoleillé qu’« Open seas » qui renvoie à la mer du nord, la seule que je connaisse vraiment.

"Open Seas" :

C’est Ostende, une ville qui dans mon enfance avait ce côté « splendeur passée » d’une ancienne station balnéaire royale, très mélancolique et aussi un peu décadente, une identité qu’elle a malheureusement un peu perdue aujourd’hui. Une mer du nord qui me renvoie à la lumière, au vent, au jeu, mais aussi à des sentiments plus angoissants : une immensité menaçante, des couleurs grises, vertes et des ferry-boats et tankers complètement esseulés et perdus dans cette immensité…Avec aussi quelques fantômes, Marvin Gaye qui fait son jogging sur la plage d’Ostende...

"Tell Me The Moon" :

Le final, c’est « l’Invitation au voyage ». Ce morceau a été écrit pour ma fille, Lou. Il y a aussi un petit clin d’œil à « Objectif lune » d’Hergé qui était une de mes BD préférées. Là encore, c’est un morceau assez intime, qui évoque des sensations et des sentiments personnels, comme par exemple la peur d’être séparé des siens.

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