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Parfois il est dur de rencontrer ses héros intimes, ses icônes de l’histoire personnelle... On peut être déçus de se rendre compte qu’ils sont trop humains, on peut être déçus de se rendre compte qu’ils ne sont pas assez....

Quand je rencontre pour la seconde fois Kurt Wagner un peu plus longuement dans une rue de Rennes après un concert de son groupe, Lambchop, c’est à quelqu’un de très humain, de très humble que j’ai affaire... Aussi quand je lui propose dans un anglais hésitant et intimidé de faire une interview, je vois dans son regard un amusement simple qui présage d’une réponse positive de sa part...

L’interview ne pourra se faire ce soir là s’excuse t’il car Lambchop doit prendre un avion pour Helsinski sur Paris au petit matin mais il me propose aussitôt de le contacter par mail...

Il est peut être nécessaire de préciser maintenant que c’est également grâce à l’aide précieuse de Matthew Swanson, l’adorable guitariste que j’approche le Boss à casquette du groupe.

J’offre au passage aux membres du groupe un panier rempli de spécialités bretonnes, j’aperçois d’ailleurs le regard gourmand de Tony Crow observant les paquets de crêpes, la confiture au beurre salé.

Nous nous quittons après une chaleureuse poignée de mains...

Le lendemain, je reprends contact avec Kurt Wagner pour ce qui sera le premier d’une petite série d’échanges qui aboutira à cette interview...

Alors installez vous dans votre canapé, lancez un disque de Lambchop, "Is A Woman" pourquoi pas ? Et entamez cette lecture de cette rencontre avec le leader de Lambchop.

ADA. Kurt, cela fait vingt ans que Lambchop est apparu sur la scène musicale... Si nous revenions un peu en arrière sur la genèse du groupe, ses premiers pas et sa première incarnation, Posterchild...

Kurt Wagner. Vingt ans, c’est long, à ce moment là tout était bien différent, pour nous personnellement mais aussi musicalement parlant. Tout était possible, à vrai dire, au début tout ce que nous voulions c’était de faire de la musique ensemble pour le plaisir de se retrouver et d’enregistrer nos tentatives créatrices. Ces enregistrements se sont développés au fil des années et sont devenues de plus en plus ambitieux. Via nos experimentations nous avons essayer de faire de notre musique le reflet d’une liberté appartenant a cette période. C’est seulement au début des années 90 que nous avons pris la décision d’enregistrer notre premier single. La vérité, c’étatit qu’être ensemble et avoir la possibilité de faire quelque chose comme la musique que nous aimions tant, était facile, agréable, naturelle pour nous. Nous souhaitions pouvoir continuer de cette façon, sans vraiment se mettre à rêver d’autre chose et donc encore moins d’une carrière.

ADA.Vous vous rappelez vos tout premiers souvenirs musicaux qui ont peut-être d’ailleurs votre travail ?

Kurt Wagner. Ma mémoire est assez confuse en général et aujourd’hui n’échappe pas à l’habitude.Je me souviens qu’étant enfant j’écoutais les vinyles de mes parents et regardais les performances des groupes des années 60 a la télé. Ceci s’ajoutant a mes cours d’orchestre classique au début de ma scolarisation.

ADA. ET Si nous revenions sur chacun de vos disques. En 1994, vous sortez votre premier album sous le nom de Lambchop, "Jack’s tulips". D’ailleurs pourquoi Lambchop ? Au lieu de perpétrer une tradition Country, vous ne vous coupez pas de racines terriennes mais y réinventer des formes magnifiques de neurasthénie...

Kurt Wagner. Le nom "Lambchop" (Côte d’agneau en Français) est la trouvaille de Marc Trovillion, un des membres fondateurs de Lambchop. Nous revenions d’un déjeuner quand Marc qui était à l’arrière de notre van a commencé a répéter le nom encore et encore. Nous avons ri , mais le nom est resté. Plus tard, j’ai demandé a ma future femme ce qu’elle en pensait, j’ai remarque que sa bouche formait un beau sourire quand elle prononcait le mot "Lambchop. Rien que pour cela et que cela semblait être une excuse suffisante, nous avons conservé le nom, il est vrai assez ridicule et atypique (Rires...) . Et puis nous avons pensé que le nom était un nom plutôt étrange et de ce fait personne n’essayerait de nous en faire changer ou de nous le piquer.

ADA. Vous êtes violoncelliste de formation à la base mais aussi issu d’une école d’arts... Vous êtes sculpteur et peintre...

Kurt Wagner. Vous avez raison. J’ai étudié la guitare et le violoncelle durant toute ma scolarité jusqu’à la fin du lycée pour être précis. C’est naturellement que j’ai voulu ensuite faire de la musique comme celle que j’entendais à la maison. En parallèle, je voulais aussi peindre et dessiner, une autre de mes passions moins connues. C’est pour cela que j’ai entamé des études dans une école d’Arts... C’est là que j’ai découvert ce média artistique qu’est la sculpture. Mon intérêt pour le jeu avec la matière a vite grandi. La sculpture me parlait davantage car avec la matière, les combinaisons sont infinies... On ne travaille pas de la même manière l’argile ou le marbre... Quand on travaille la matière, on se doit de considérer et l’environnement et l’objet.

ADA. Aviez-vous le sentiment d’être en décalage avec la scène de Nashville ?

Kurt Wagner. Dans ma prime jeunesse, cela ne m’intéressait guerre mais en grandissant, j’ai commencé à apprécier le patrimoine musical de ma ville natale, Nashville. J’ai réalisé que je pouvais aller piocher des éléments dans ce son- là mais en essayant d’y apporter d’autres tonalités... Le son originel de Nashville, c’était une autre génération, pas la mienne. C’était une autre époque révolue pour laquelle j’ai un profond respect et un attachement viscéral mais je voulais rester dans mon époque, l’exprimer en musique, utiliser le medium pour parler de notre maintenant.

ADA. Pourriez- vous nous parler de Michael Enright ? de Richard Brautigan ? David Dunlap ? De ces personnes qui vous ont permis de vous constituer en tant qu’artiste ?

Kurt Wagner. Bien sûr... (Silence...) Ils ont été très importants, fondateurs mais ils ne sont pas les seuls.... Michael Enright (Un peintre de ses amis et auteur de la pochette d’"Oh Ohio" ()) par exemple, c’était un génie total, c’est le premier qui m’a montré qu’en parlant avec son cœur et ses expériences, on peut créer une œuvre d’art.

David Dunlap m’a appris à peu prés la même chose , partir d’images du quotidien, de ces petits moments de tous les jours pour en faire une expérience unique .

Richard Brautigan, je l’ai connu à la fin de sa vie dans un vieux bar du Montana... Je me rappelle encore de mon impatience à l’idée de le retrouver pour l’écouter se raconter et m’imprégner de ses histoires et de sa personnalité mélancolique... Richard, c’était un sacré personnage !!!

ADA. C’est avec "How I Quit Smoking" que je vous ai découvert en 1996 avec des titres comme "Theone" ou "The Man Who Loved Beer" d’ailleurs repris par David Byrne sur "Growing Backwards".

Ce qui est effectivement tout de suite remarquable, c’est votre écriture très ancrée dans le réel, dans le moment du quotidien, comme la peinture naturaliste d’une scène de vie...

Kurt Wagner. C’est vrai, dans la vie , vous savez, il y a tant à voir, à sentir, à ressentir. C’est ces petits moments qui nous connectent les uns aux autres et qui j’espère rend ma musique accessible.C’est mon seul objectif, rien de lourd, juste recréer cette connexion entre nous, rien de plus.

ADA. En 1997, sort "Thriller" comme un changement de cap dans la tonalité musicale du groupe tant du côté des textes que dans les lignes mélodiques plus énergiques... Pour exemple "Your Fucking Sunny Day" ou Hey Where’s Your Girl" ... Y apparaît également un nom, F.M Cornog d’East River Pipe.

Kurt Wagner. Oui, c’est vrai que le son de Lambchop a évolué à cette époque-là, nous avions l’envie de partir vers des orientations volontairement plus Pop... Et puis il y avait Fred Cornog qui travaillait tout seul sur son album à ce moment là, dans son deux pièces avec un vieux sept pistes analogiques... On a tout de suite compris qu’on était sur la même longueur d’ondes... Par contre, il n’avait jamais joué Live et l’idée l’effrayait... Alors avec les autres membres de Lambchop, on s’est dit que ce serait chouette de reprendre ses chansons histoire que le public découvre enfin sa musique et le grand auteur qu’il est .On se disait aussi que ce serait génial de faire un album ensemble, cela ne s’est jamais fait, allez savoir pourquoi... Mais on y pense encore et on en rêve souvent... C’est sûr, on le fera un jour mais quand ? Dieu seul le sait...

ADA. Vous sortez également l’EP "Hank"

Kurt Wagner. Oui, on l’a enregistré en un jour, un seul petit jour... On n’avait pas la choix, on travaillait tous à l’époque moi comme ponceur de parquets, donc on a profité du premier jour férié où nous pouvions tous être disponible... Ce fut donc un 4 juillet... Ce jour là , nous avons mangé notre dinde dans un studio (Rires...)

ADA. En 1998, c’est "What Another Man Spills", un de mes albums préférés de vous. Y apparaît cette voix en Falsetto que l’on retrouvera par la suite sur "Nixon". Cet album me semble un bel exemple de votre modestie avec plusieurs titres de F.M Cornog et une reprise de et avec Curtis Mayfield. D’ailleurs, Peut -on s’attarder un peu sur Curtis Mayfield ?

Kurt Wagner. On peut apprendre beaucoup en reprenant la musique d’autres personnes. Pour nous, cela relevait du processus d’apprentissage mais aussi de rendre hommage à des artistes que nous connaissions parfois et dont nous adorions le travail... Curtis était l’un d’eux ainsi ou James Mcnew de Yo La Tengo, un autre chanteur brillant en Falsetto et un grand grand Songwriter. Pour revenir à Curtis, quand on a repris sa chanson, "Give Me Your Love", on voulait voir jusqu’où on pouvait repousser nos limites alors que nous n’étions qu’un petit groupe obscur de Rock Indé pour initiés. C’était le deuxième album qu’on faisait avec Mark Nevers en tant qu’ingénieur du son et guitariste occasionnel en studio...Il s’est vite rendu indispensable en homme de l’ombre... Il nous a apporté son talent à créer ce son riche et complexe qui nous a permis un peu d’échapper à un certain son des années 90 pour avoir notre identité sonore propre et particulière... Avant Mark, on travaillait en analogique, avec deux magnétos à bande connectés en même temps sur lequel nous avons enregistré nos premiers titres.... Avec l’arrivée de Mark, tout cela a changé... On a pu travailler et mixer dans des studios incroyables mais on les réservait le week-end car c’était moins cher et qu’en plus nous étions tous disponibles à ce moment-là (Rires...)

ADA. Pour beaucoup, cet album aux tonalités déja Soul annonce "Nixon", votre album suivant. Pourtant "Life #2" ou "N.O" vont chercher plus du côté de la Country...

Kurt Wagner. C’est vrai mais ça a toujours été présent dans notre musique... Nous avons toujours intégré cette influence musicale aux chansons qui le demandaient.... Pour "Hank" comme cela semble évident, c’était le cas. "How I Quit Smoking" était un album où je réglais mes comptes avec mes influences country mais avec ce petit plus du contexte dans lequel je l’ai énregistré... Ou prenez mon projet "Kort" avec Cortney Tidwell, ces vieux standards de Country, c’est ce que j’ai fait de plus Country à ce jour... Je devais bien cela à ma ville.

ADA. En 1999, vous sortez "Chester" avec Josh Rouse, une collaboration à quatre mains où Josh Rouse a composé la musique et vous les textes... A l’époque, vous avez fait beaucoup de collaborations. Curtis Mayfield, Josh Rouse, Morcheeba, Zero 7, Vic Chestnutt et "Bernadette And The Salesman". Aujourd’hui, vous semblez vous être recentré sur vous-même à l’exception du projet récent "Kort" avec Cortney Tidwell ou vos travaux de parolier et d’arrangeur pour Tim Burgess des Charlatans...

Kurt Wagner. Ce que j’ai toujours voulu être, ce n’est pas peintre, pas sculpteur même si c’est très important pour moi mais parolier, c’était au dessus de tout, raconter des histoires, recréer des moments avec quelques mots.... Quand Josh m’a proposé ce projet, j’ai plongé car c’était la première fois que je pouvais assouvir ce rêve... Des paroliers, je trouve qu’il n’y en a plus beaucoup aujourd’hui dans la musique Pop... Je trouve cela dommage car c’est presque comme un manque de respect pour la musique... Bon et puis le concept de collaboration, c’est super important pour nous, c’est comme un moteur... C’est une grande part de ce que nous sommes, que ce soit sur scène avec les membres du groupe ou avec d’autres artistes.... D’ailleurs, je crois que l’on a cela en commun avec des personnes comme Howe Gelb ou Yo La Tengo... On a cette même approche.... On avait cela aussi en commun avec Vic Chestnutt ... (Soupirs....) C’est une manière comme une autre de partager un moment, une expérience avec des amis, un peu comme aller à la plage tous ensemble...

ADA. En 2000, sort "Nixon" considéré par beaucoup comme votre chef d’œuvre avec "Is A Woman". Est-ce dû à cette impression de synthèse de l’ensemble de votre discographie ? Un album qui convoque tout autant Lee Hazlewood, Leonard Cohen, Burt Bacharach...

Kurt Wagner. C’est vrai... Peut-être... C’était un de ces moments où tout semblait aller pour le mieux, nous avions acquis des connaissances techniques, nous avions la capacité de réaliser la moindre idée folle qui pouvait nous passer dans la tête ou de prendre n’importe quelle direction que nous envisagions... Je crois bien que c’est à ce moment là aussi que j’ai commencé à prendre conscience que nous avions un public qui écoutait notre musique et qui semblait l’apprécier.... Un public qui nous suit toujours d’ailleurs... Ca était une grande source d’inspiration pour moi... Bon je sais cela peut paraître cliché comme cela en le lisant mais c’est vrai, c’est énorme quand tu te rends compte qu’il y a des gens qui écoutent ta musique, qui achètent tes disques, qui attendent tes albums... C’est juste énorme et très très touchant...

ADA. Sur "The Book I Haven’t Read", on retrouve un emprunt au "Baby It’s You" de Curtis Mayfield.

Kurt Wagner. C’est vrai... J’ai cité ce bout de chanson comme un clin d’œil, un au revoir à Curtis qui venait de disparaître... D’ailleurs, j’ai une anecdote à ce sujet là... A l’époque, j’ai voulu entrer en contact avec l’entourage de Curtis dans l’idée de partager le bénéfice de cette collaboration avec eux... Ses proches et ses collaborateurs étaient très (trop) protecteurs de son oeuvre à cette époque là... Tout est devenu assez compliqué mais finalement on a fini par trouver un accord.... Je voulais simplement faire au mieux, faire la bonne chose dans le respect de la mémoire de Curtis... Apparemment ce que j’ai fait avec ce morceau, c’est ce qu’on appelle un "Bootleg"... J’ai découvert le mot à ce moment là... (Rires....) Bon finalement tout est rentré dans l’ordre et j’ai pu sortir le titre tel quel !

ADA. A l’époque de "Nixon", vous ouvriez pour Yo La Tengo que vous avez déja cité plusieurs fois dans la discussion....

Kurt Wagner. C’est vrai... Nous le faisions depuis un moment déjà... Notre première fois avec eux, c’était durant ma lune de miel avec ma femme et le groupe... On était à peine mariés avec la bague au doigt et nous étions déjà sur les routes à ouvrir pour eux.... Ils ont été et sont toujours très importants pour moi, pour le groupe... Leur inluence, leur soutien et leur amitié surtout nous a formé nous, Lambchop, en tant que groupe et je suis sûr que sans eux nous n’aurions pas pu achever tout ce que nous avons fait et obtenus jusqu’à présent.

ADA.2002, changement de cap avec le sublime et dépouillé "Is A Woman" avec des titres bouleversants comme "I Can Hardly Spell My Name", "Caterpillar" ou "My Blue Wave"....Ce qui est remarquable dès la première écoute, c’est l’omniprésence du piano de Tony Crow, autour duquel se construisent les morceaux.

Kurt Wagner. C’était le premier album avec Tony à nos côtés... Il nous avait accompagné sur "The Petrified Florist" sur "Nixon"... Avec "Is A Woman", on a voulu poursuivre l’expérience plus loin, sur la durée d’un album... Avec son arrivée, l’identité sonore de Lambchop a changé... Je crois bien qu’il ne s’en est pas rendu compte, qu’il ne l’a pas réalisé à l’époque mais plus tard avec le recul, il est devenu évident que Tony nous apporté un son plus riche qui a su se développer grâce à lui.... Pour moi, il y a eu un avant et un aprés Tony Crow.... Notre son a changé complètement...

ADA. Pourrions nous revenir sur Mark Nevers ?

Kurt Wagner. Comme je vous l’ai déjà dit, la contribution de Mark à Lambchop est très importante.Dés son arrivée dans le groupe, nous avons senti que nous nous trouvions dans une position unique, celle d’avoir au sein du groupe un ingénieur du son qui connaissait chacun d’entre nous par coeur dans nos failles, nos possibilités, nos capacités et nos envies... C’est un créatif né qui sait rendre le son naturel et excitant... Je ne connais personne comme lui capable de capturer le son (le son acoustique en particulier) et le rendre aussi beau dans ses nuances... Il a ce qu’on appelle un don , un don rare.... Si il y a quelque chose dont je suis fier et doublement fier, c’est de travailler avec lui et aussi de contribuer à mettre en avant son travail remarquable... D’ailleurs il est aujourd’hui reconnu par de nombreux artistes... Il a été formé dans la pure industrie musicale de la Country et pendant des années il a fait un boulot alimentaire de tâcheron sur de la musique qu’il n’aimait pas... Mais cela a été pour lui un apprentissage qui lui sert aujourd’hui.... Se pencher sur un son de manière objective, de travailler sur un son pour ce qu’il est et non pour le style qu’il représente...