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La musique de Lambchop est reconnaissable immédiatement. C’est une qualité, et c’est aussi tout le problème de ce onzième album. On aimerait prêter à Kurt Wagner, 55 ans, âme du groupe, l’aptitude empirique d’affiner son art vocal et la délicatesse de son jeu de guitare, mais il ne bénéficie pas d’une marge énorme : ses premiers disques étaient déjà géniaux. Sa voix était tout aussi sublime il y a vingt ans, et ce joli trémolo sur la guitare vintage qu’il a trouvée dans quelque pawn-shop de Nashville sonne certes toujours aussi bien... mais pareil qu’avant.

Si vous découvrez le groupe avec Mr. M, je vous envie. Il sera sans doute important à vos oreilles, vous le chérirez comme je chéris leurs premières sorties, How I quit smoking et Thriller en tête. C’est le sacerdoce de Lambchop. Lors d’un récent concert, agacé par un spectateur qui réclamait des "vieux morceaux", Wagner a rétorqué : "tu veux dire des trucs du début du dix-huitième siècle, des fugues et tout ça ? C’est vrai que c’était chouette." L’humour de Kurt Wagner.

Ça me rappelle une réponse géniale de Bill Callahan, à qui l’on demandait son plat préféré : "le réchauffé, mais assez parlé de mon dernier album." Seulement voilà : dans la réalité, Smog/Callahan a su constamment trouver de nouvelles pistes, révéler des parts inexplorées de ses obsessions au fil des albums, alors que Lambchop, à l’exception d’une poignée de disques captivants sortis dans les années 2000 où le groupe fouillait ses aspects soul, est immobile. Beau, mais immobile.

A plusieurs reprises dans Mr. M, pourtant, on y croit un peu. La fin de Gone tomorrow (http://www.deezer.com/track/16419264), très belle, plonge dans un rêve de chanson. Le charley digne de la Motown et les cordes noyées dans l’éther sont rafraîchissantes... mais il faut garder les yeux fermés. En les ouvrant, on découvre un groupe un peu trop "session", un peu grimaçant, gimmickant. Ça se mord la langue, si vous voyez ce que je veux dire. Limite ça se regarde en hochant la tête. Mr. Met est une chanson faussement aérienne, malheureusement plombée par ses "plans" musicaux. Il n’y aurait rien à sauver si deux choeurs féminins salvateurs n’y apparaissaient pas de temps à autres (http://www.deezer.com/track/16419265). La remarque vaut pour tout le disque.

On n’a pas jugé utile d’alléger l’album, qui dure une heure, de deux instrumentaux joliment plan-plan. Sans doute les a-t-on considérés comme indispensables à l’hommage que Mr. M constitue à feu Vic Chesnutt, ami de Wagner qui n’était pas le dernier dans l’ingrate discipline de la mélancolie professionnelle. Nice without mercy (http://www.deezer.com/track/16419267) : en voilà, une jolie chanson. Avec une grille d’accords proche de Theöne (http://www.youtube.com/watch?v=QmjDMpToJH4), l’un des titres magnifiques de Lambchop... sorti en 1995.

Trop de cohérence, trop d’unicité : alors qu’on approche de son dénouement, le disque devient presque pénible. Les cordes sont trop souvent immergées dans une réverbération faussement originale, le son de contrebasse a un beau relief, mais toujours le même. J’ai bon espoir qu’un jour prochain, Wagner redonne à Lambchop la flamme qu’il mérite. En attendant, j’écoute Your fucking sunny day (http://www.deezer.com/track/16673725).