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Disons-le tout de go : « Meandres », le nouvel album d’Imagho, est une merveille absolue. En treize chansons (pièces ?), le lyonnais convie l’auditeur à un voyage extatique au carrefour du jazz, de l’expérimental, du classique et du folk (pour faire court). Disque intime (à la fois pour son auteur comme pour le conquis), « Meandres » s’adapte à toutes les humeurs : ni mélancolique, ni faussement joyeux, le nouvel album d’Imagho propose un baume suffisamment apaisant pour correspondre à chaque heure de la journée. Sans doute car, au cœur de ces compositions complexes bien que limpides à l’écoute, se dévoile une sérénité qui fait du bien, une sensation paradisiaque qui permet à l’auditeur de littéralement se vider l’esprit (ce qui est très rare en musique). On n’écoute pas « Meandres », on s’y laisse partir ; comme une main féminine nous caressant les cheveux en nous disant que tout ira bien…

Plutôt que de chercher à maladroitement définir un album qui échappe à toute classification comme à la moindre tentative analytique, nous avons proposé à Jean-Louis Prades Imagho une sélection de chansons à commenter, cela afin de mieux comprendre les origines de « Meandres » et l’ahurissant travail sonore ici mis en œuvre, également pour revisiter le parcours de son auteur (des années metal jusqu’à la découverte du post-rock) et sonder ses goûts musicaux ainsi que ses réticences. Avec générosité, méticulosité et disponibilité, c’est peu dire qu’Imagho a répondu à toutes nos attentes…

ADA : Mark Hollis – « A Life (1895 – 1915) »

Imagho : Je fais partie de ces gens, nombreux, qui ont vécu comme une révélation l’arrivée de « Spirit Of Eden ». J’adore également « Laughing Stock », ces deux disques ont changé mes attentes en matière de musique rock… Mais je crois que je préfère encore le disque de Mark Hollis. Je suis passé par le jazz et j’écoute également beaucoup de musique orchestrale moderne (Debussy, Ravel, Dutilleux…). J’entends très souvent des groupes pop et rock utiliser les instruments du jazz et du classique (cordes, cuivres, bois, contrebasse) et sonner malgré tout comme des groupes pop/rock ; l’apport de ces instruments étant limité à des couleurs, comme une parure, voire un déguisement. Ici, on sent que ces instruments sont au cœur de la musique, ce n’est pas plaqué, il y a de l’air, de l’espace, les vents et cordes ne sont pas des petits plus pour donner un coté classieux à une musique qui resterait banale. La production de ce disque est une référence pour moi. Je ne l’ai pas consciemment eu à l’esprit au moment de produire « Meandres », mais je comprends pourquoi à son écoute tu as pensé à Mark Hollis. Sans le vouloir je suis venu un peu sur les mêmes terres, avec la même dynamique, les mêmes sonorités, toutes proportions gardées bien entendu…

ADA : Hood – « September Brings The Autumn Down »

Imagho : Hood a été un autre groupe qui a beaucoup aidé à délivrer le rock du volume sonore. J’ai beaucoup aimé « The Cycle Of Days & Seasons » mais je m’en suis lassé. Je n’accrochais déjà pas à tous les albums à l’époque, et je n’écoute plus vraiment Hood aujourd’hui. Je sais que cela paraitra étrange à beaucoup mais je ne peux pas l’expliquer, d’autant que je reste accroché à Talk Talk et Mark Hollis. Peut-être que les disques d’Hollis et de Talk Talk ont un caractère plus acoustique traversé de zébrures d’électricité pure, alors que la musique de Hood est une musique amplifiée, adoucie par l’acoustique : les proportions sont inverses. Je me souviens que le larsen qu’on entend au début du titre m’avait marqué, j’aimais l’entendre, il servait de balise dans l’album. C’est étonnant de voir à quel point certains détails prennent de l’importance pour certains auditeurs, sans qu’on sache pourquoi. Je trouve les voix qui se fondent en arrière plan moins bien amenées que celles qu’on entend dans « A Life », et le field recording (les cloches) est assez peu pertinent. Je préfère vraiment l’approche de Mark Hollis, plus subtile.

ADA : Tortoise – “I Set My face To The Hillside”

Imagho : Je n’avais pas acheté cet album à sa sortie, je crois que je l’avais gravé mais n’en suis plus certain. Je redécouvre donc ce titre au moment où j’écris, et je crois que je vois où tu veux en venir avec ce choix. Guitare + field recordings, c’est un peu la marque de fabrique d’Imagho. En réalité, il y a un seul morceau sur « Meandres » avec des field recordings, qui sonnent d’ailleurs vraiment beaucoup comme ceux que l’on peut entendre sur ce morceau de Tortoise, très sales, comme issus d’une bande magnétique abimée, avec une drôle de stéréo. Comme j’ai sorti un mini-album uniquement composé de field recordings et de guitare en 2009 (« The Travelling Guild », sur lequel je joue des improvisations de guitare dans les lieux où j’ai posé mes micros), j’avais envie d’autre chose cette fois-ci. Je n’ai pas souhaité repartir en arrière et intégrer des fields à des morceaux qui s’en passaient très bien. Je n’ai d’ailleurs pas fait beaucoup d’enregistrements en extérieur depuis 2009, je n’avais pas une banque de field recordings passionnante à ma disposition. J’ai donc uniquement utilisé un vinyle de bruitages pour diaporamas sur « We Got Company », une piste qui s’intitule « ambiance plage, voix d’enfants, lointaines » et me suis limité à cet apport.

ADA : Brian Eno – “By The River”

Imagho : Je ne suis pas un très grand connaisseur des albums « pop » de Brian Eno. Je suis fasciné par les multiples facettes du bonhomme et prends beaucoup de plaisir à écouter « Another Green World » et « Before & After Science » mais je suis plus à l’aise avec son travail ambient, en solo ou en collaborations (« The Pearl » avec Harold Budd, l’album avec Cluster, les disques avec Fripp, la bande son pour « Apollo »). J’aime particulièrement « Music for Films », son album le moins composé, qui contient des fragments, des ébauches, à l’opposée de « Before & After Science » qui est très écrit et maitrisé. Je me demande en revanche ce qui t’a fait penser à « By This River » dans mon disque. Les voix murmurées de « Angel » ?

ADA : Bill Callahan – “Too Many Birds”

Imagho : Je dois reconnaitre que je connais mal Callahan, qui n’est pas mon premier choix quand je cherche une voix posée sur une guitare. J’écoute plus volontiers Richard Buckner, Mark Kozelek, Mark Eitzel, Johnny Cash, Lee Hazlewood, Lambchop, pour ne citer que ceux auxquels je pense naturellement. Je n’ai pas de raison particulière : à l’écoute, je me dis que la voix de Callahan est vraiment magnifique, la musique aussi. Mais même si je possède cet album, je ne pense pas souvent à l’écouter… Je mets plus facilement un Cat Power récent pour écouter ce genre d’americana. Là aussi, je me demande quel rapport a ce titre avec « Meandres » : il n’y a pas de solo de violon dans « Meandres », il n’y a d’ailleurs quasiment pas de solos du tout, sauf quelques phrases (notamment dans les deux premiers titres). Je me limite au maximum, n’étant pas du tout amateur de prolixité musicale chez les autres.

ADA : Wilco – “At Least That’s What You Said”

Imagho : J’ai adoré Wilco pendant deux mois. A l’époque de « Hotel Foxtrot » un titre était paru sur une compile des « Inrocks » ou d’un autre magazine, et j’avais beaucoup, beaucoup aimé. Puis l’album m’a un peu déçu, puis j’ai écouté le live, puis j’ai regardé des vidéos, puis j’ai lu des interviews et chaque étape n’a fait que m’éloigner du groupe. Je ne ressens donc pas grand chose à l’écoute…

ADA : The Sea & Cake – “Glad You’re Right”

Imagho : Je ne connaissais pas The Sea & Cake avant de faire leur première partie à l’Epicerie Moderne, et je dois dire que je ne connais toujours pas. Je suis quelqu’un d’assez tendu avant de jouer et qui décompresse pas mal après, ce qui en général me prive du plaisir d’écouter les autres groupes parce que je suis très peu réceptif. Je n’ai donc pas vraiment écouté leur concert et n’ai pas parlé aux membres du groupe, même à Archer Prewitt qui a pris la peine de venir deux fois me féliciter. Depuis, j’ai écouté son album solo « Wilderness », qui m’a renversé. C’est un si bon disque et j’aurais pu lui dire tout le bien que j’en pense, je regrette beaucoup d’avoir raté cette rencontre. Je n’ai en revanche toujours pas comblé mes lacunes en ce qui concerne The Sea & Cake. Je découvre donc ce morceau, qui me fait penser à une version rock de Gastr Del Sol. Je n’ai pas grand-chose à en dire, je découvre… Sur un titre de Gastr Del Sol, j’aurais été plus bavard : je suis grand, grand fan de leur musique, qui m’a beaucoup influencé pour Imagho. « Camoufleur » faisait d’ailleurs partie des disques que je mettais sur les enceintes du studio pour comparer avec mes mixes. Ce n’était d’ailleurs pas la meilleure idée tant ce disque sonne merveilleusement. Disons que j’ai tenté de m’approcher de cette production…

ADA : Dominique A – « Je Suis une Ville »

Imagho : Ce titre est mon préféré de Dominique A, qui est lui-même (à égalité avec Alain Bashung) mon chanteur francophone préféré. Il n’y a pas de lien entre cette chanson et « Meandres » ; en revanche ce morceau a nourri le virage que je prends depuis quelques mois en intégrant le chant français à la musique d’Imagho. J’ai déjà chanté dans divers projets (Baka !, Sketches Of Pain, Secret Name, Fovea) mais toujours en anglais et jamais d’une façon qui me satisfasse. J’ai tenté d’intégrer du chant en anglais à Imagho mais mon accent approximatif ne passe pas du tout dans cet univers apaisé. Il pouvait faire illusion quand je hurlais dans la noise de Sketches Of Pain mais pas dans Imagho. J’ai quand même fait une version acoustique de « Tilted » sur le tribute au « Beaster » de Sugar chez ADA, puis dans la foulée je me suis inscrit à un tribute Dominique A sur le net. Ce fut une révélation : j’ai tout de suite été à l’aise avec le chant en français, à ma grande surprise car ce n’est pas du tout mon univers. J’adore Dominique A mais il fait partie des rares français que j’écoute (j’ai plus été bercé par les anglo-saxons). Je ne pensais pas me sentir « chez moi » dans « Je Suis une Ville ». J’ai franchi le pas après avoir fait cette reprise, puis j’ai commencé à écrire des textes, ce dont je me sentais incapable auparavant. Je propose aujourd’hui des sets « chantés » (« parlés » serait plus juste) à 75% en concert, dont une version à l’os de « Je suis une Ville ». Si je chante aujourd’hui, et si j’y prends tant de plaisir au point de préparer un EP chanté pour 2014, c’est donc grâce à cette chanson, et aussi, soyons francs et assumons nos influences jusqu’au bout, à l’album « Qui Donne les Coups » de Philippe Poirier

ADA : Daniel Darc – « Le Seul Garçon Sur Terre »

Imagho : Je connais très mal sa carrière, hormis Taxi Girl. Je découvre donc ce titre. Sur le plan de l’instrumentation, au premier abord c’est un peu tout ce que je n’aime pas : raide, sans relief, uniforme. Difficile de savoir si c’est un choix de production (une version « cheap » du son clinique de Wire ?) ou si les moyens étaient plus que limités. Les guitares ne me plaisent pas, et le solo n’arrange rien à l’affaire. Cela me fait penser aux albums rock de Gainsbourg, complètement ruinés par les arrangements et la production. Le charme opère pourtant, la chanson me plait, je la réécouterai et irai voir plus loin. C’est là tout le mystère de la musique, et ce qui en fait toute sa beauté : on ne sait jamais quand, et par quoi, on va être touché…

ADA : Alain Bashung – « Légère Eclaircie »

Imagho : J’adore Bashung pour plein de raisons et notamment pour le don qu’il avait de s’entourer et de mettre en valeur les arrangements qu’on lui proposait. « Novice » est mon album préféré. J’ai longtemps cru que Bargeld, Newman et compagnie étaient venus enregistrer ensemble tant le résultat est homogène ; mais il semble que chacun ait été approché pour donner des arrangements à envoyer à la production. En gros, Blixa Bargeld, Colin Newman et Phil Manzarena ont cachetonné sans peut-être vraiment connaître Bashung. J’adore le coté tribal de ce titre, la rythmique primaire mise en avant et le texte ambivalent. Un ami avait qualifié « Je Suis une Ville » (la version originale) de « très français », ce que je n’ai pas vraiment compris. Si « très français » veut dire « qui ne rocke pas comme savent le faire les anglais et les américains », alors « le Seul Garçon sur Terre » de Daniel Darc est très français et ce Bashung est très européen. Pas étonnant qu’il y ait le guitariste de TC Matic dans l’histoire.

ADA : Rodolphe Burger – « Et Cetera »

Imagho : De la paire fondatrice de Kat Onoma, je suis beaucoup plus fan de Philippe Poirier ; en tout cas de son album « Qui Donne les Coups », véritable influence du versant « chanté » d’Imagho. Pas que je cherche à faire la même musique mais les ambiances, les textes, le phrasé, je les ai tellement entendus et appréciés qu’ils ressortent un peu dans mes morceaux. J’en suis au point où je me dis consciemment après une nouvelle composition « ça ne fait pas trop Poirier ? », comme je me disais avant « ça ne fait pas trop Frisell ? ». Les influences sont importantes ; je suis autant mélomane que musicien, mais il faut savoir s’en détacher. Et parfois c’est un travail conscient, un « ménage » qu’il faut faire dans sa propre production. Burger, j’apprécie la qualité de son travail, à chaque écoute je me dis que c’est bien, du bon boulot sur tous les plans. Mais j’oublie dès que j’ai fini l’écoute.

ADA : Mona Kazu – « L’Eau »

Imagho : Mona Kazu est le groupe de mon ami Franck Lafay, avec qui j’ai démarré le duo Baka ! il y a quinze ans. C’est le musicien avec lequel j’ai joué le plus longtemps. Baka ! n’est d’ailleurs pas mort, mais nos autres projets nous empêchent de nous y consacrer. Mona Kazu est un groupe plutôt electro-rock, ils sont trois (Priscille Roy et Stephane Gellner en font partie). J’aime particulièrement « L’Eau », titre vraiment à part dans leur album, avec une belle ambiance très sombre, pas de rythmique, pas de format chanson (encore que chez Mona Kazu le format des chansons est loin du format couplet / refrain habituel). C’est plus un moment musical, une atmosphère, proche de ce que je propose avec Imagho, une immersion dans un lieu et un temps arrêté qui donne à voir des images. Ça ne joue pas sur l’énergie, sur l’entrain, sur l’accroche, cela s’adresse à une autre part de l’auditeur, une part plus proche de la rêverie, de l’oubli de soi.

ADA : The Talking Heads – « Electric Guitar »

Imagho : Bel exemple de groupe auquel je suis venu en suivant la trace d’un guitariste, en l’occurrence Robert Fripp que j’avais pisté un peu partout, chez Bowie, en solo, chez Peter Gabriel et donc chez Talking Heads. J’adore cet album de Talking Heads, bien au-delà de la présence de Fripp que l’on n’entend que sur « I Zimbra ». « Fear of Music » est froid, glacial, désincarné, dur et anguleux comme la plaque de tôle qui forme la pochette. C’est mon album préféré du groupe. J’ai utilisé une phrase du texte pour en faire le titre d’un album d’Imagho uniquement composé de sons de guitare électrique retravaillés (« Someone Controls Electric Guitar »). La guitare est un peu le porte drapeau du rock pour les gens de ma génération. À quatorze ans je n’ai pas voulu devenir musicien, j’ai surtout voulu tenir une vraie guitare dans mes mains pour remplacer la guitare en carton que j’utilisais devant la glace de ma chambre. La musique est venue après, et bien plus tard. Je ne pourrai pas me passer de guitare, dans ma vie comme dans ma musique. Mais je sais maintenant la poser pour jouer d’autres choses, pour arranger les morceaux (batterie, piano, orgues…), également pour écrire des morceaux sans guitare comme « We Go Company » sur « Meandres » (piano et orgue traité).

ADA : The Cure – « 10 : 15 Saturday Night »

Imagho : Je suis totalement passé à coté de The Cure quand c’était la folie Robert Smith dans mes années collège et lycée. J’écoutais du heavy metal, et tout ce qui n’en était pas n’avait aucune valeur à mes yeux. Je suis donc venu vers The Cure plus tard, ce qui n’est pas plus mal car j’y suis venu par goût et non en suivant la hype. C’est un groupe fondamental pour moi ; et plus ça va, plus je suis attiré par le dépouillement de leurs premiers disques. Je suis assez ambivalent avec la notion d’arrangements : j’aime la luxuriance sans ostentation, « L’Imprudence » de Bashung par exemple, ou « Pet Sounds » des Beach Boys, mais je suis maintenant tout autant touché par l’expression directe d’un groupe de rock enregistré en conditions live. « Unknown Pleasures » de Joy Division, « Fire of Love » de Gun Club et les trois premiers albums de Cure me remuent profondément. « Meandres » est plutôt arrangé, j’ai ajouté beaucoup de sonorités à celles de mes guitares : des orgues des années 70, du piano, du mellotron, du fender Rhodes, de la contrebasse, du vibraphone, des tas de bidouillages faits avec de vrais magnétos à bandes, des réverbes jouées avec un ebow posé sur les ressorts, des bassines d’eau avec des trucs dedans, ou même des « percussions » faites en soufflant dans mes poings fermés. Je me suis beaucoup amusé en faisant ce disque, mais maintenant qu’il est sorti j’ai envie d’autres choses. Le EP chanté en est une, un album de duos joués en direct en est une autre. En ce moment, j’ai envie d’une expression plus spontanée, plus live…

ADA : Neil Young – “Sugar Mountain”

Imagho : Neil Young a beaucoup fait dans ma décision de chanter. Je n’ai jamais aimé ma voix, mais comme j’ai toujours voulu chanter j’ai continué, bien que non satisfait du résultat. Je repensais alors à Neil Young et à sa voix de canard et me disais que s’il avait pu chanter, je pouvais aussi. J’oubliais évidemment deux éléments importants : son immense talent d’auteur et son don naturel de guitariste (pertinent aussi bien en électrique qu’en acoustique). « Sugar Mountain » est un pur bijou d’americana, ce creuset dans lequel on peut fondre le blues, la country, et tout ce qui est typiquement américain, avec la folk, pour donner cet hybride. J’essaie pour ma part, n’étant pas américain, de ne pas marcher dans ces traces-là : cette musique m’a bercé, parmi d’autres, et elle a une énorme force d’attraction, mais ce n’est pas MA musique, je suis un étranger dans l’americana. J’essaie donc de trouver une voie un peu à part, nourrie de ce songwriting, sous sa forme naturelle ou sous la forme instrumentale qu’un Bill Frisell développe depuis dix / quinze ans et qui me touche beaucoup, mais sans tomber dans l’appropriation. Je ne sais pas si Imagho est plus européen, je ne joue pas une musique folklorique, j’essaie tout simplement de mélanger pas mal de choses et de ne pas me raccrocher à une tradition. Je dois reconnaitre cependant qu’avec le temps je joue de plus en plus souvent des grilles d’accord simples, issues des musiques des années 60 telles que « Sugar Mountain », et que l’americana gagne du terrain dans ma production.

ADA : Nick Drake – “Place To Be”

Imagho : Nick Drake, notamment sur « Pink Moon », incarne le musicien ultime pour moi, celui face auquel je me mesurerai tout le temps et qui sera toujours aussi loin. C’est l’économie de moyens (une guitare, un stylo, une voix), la virtuosité sans frime, l’émotion, la personnalité jusque dans le choix de ses signatures rythmiques ou dans les sujets des chansons (« One Of These Things First » par exemple)… Seul le « Rock Bottom » de Robert Wyatt me fait autant d’effet que Nick Drake. J’ai de la chance de ne pas avoir été écrasé par l’admiration sans borne que je lui voue, le sentir si immense ne m’a jamais empêché de créer mes propres musiques… J’ai longtemps cherché à avoir le même son de guitare que lui, j’avais lu qu’il avait une Guild M20 en acajou. Quand mon ami Gordon Paul m’a montré sa Guild D25M, toute en acajou aussi, je l’ai essayée pour voir si elle aurait le même son. J’ai été conquis immédiatement. C’est cette guitare qu’on entend tout au long de « Meandres ». Ce qui est drôle dans cette histoire c’est que Nick Drake ne se servait pas de sa Guild en studio, ce n’est donc pas elle que l’on entend sur ses disques mais une Martin D28 si l’on en croit les biographes, et cette Martin n’est pas en acajou… Je ne reviendrai pour autant pas en arrière, j’adore ma Guild même si elle me fait mal aux mains (le manche est rond et épais et me donne des crampes à la paume de la main droite).

ADA : Chelsea Wolfe – “Feral Love”

Imagho : Je crois que c’est Franck Lafay qui le premier m’a parlé de Chelsea Wolfe, et j’ai immédiatement accroché. J’aime la noirceur de sa musique, la profondeur du son, le décorum metal décalé de son apparence (les plumes noires de son gilet dans les vidéos, le bracelet de force clouté revisité et réduit à sa plus simple expression). Je ne sais pas la part de pose là-dedans. Disons que je ne sais pas à quel point elle joue et à quel point elle est vraiment barrée, mais j’aime vraiment beaucoup sa musique. J’avais apprécié le fait que son second album soit acoustique, et je suis enthousiaste sur la teneur plus expérimentale et électronique de « Pain is Beauty » (même si, je pense, quelques titres plus faibles se sont glissés dans le tracklisting). Je l’ai ratée quand elle est passée à Lyon, et je le regrette. J’aime particulièrement le fait que sa musique puise ses racines dans le metal mais qu’elle soit en dehors de cette esthétique, qu’elle propose quelque-chose de totalement personnel : le metal c’est bien, mais il faut savoir en sortir. En tant qu’ancien metalleux, je reste sensible à certaines expressions de cette musique, en général les plus extrêmes : je suis amateur de black metal (Immortal reste un groupe que j’écoute vraiment très souvent) mais je suis totalement hermétique aux barnums, poses et discours liés au genre. Je n’appréciais que la noirceur et l’énergie véhiculaient par le metal quand j’ai découvert le jazz, et je suis sorti du jazz quand j’ai découvert la noise. Et maintenant je ne sais plus trop où j’en suis, j’ai de plus en plus de mal à répondre à la question : « qu’est ce que tu joues, comme musique ? ». Je crois tout simplement que je n’ai fait que me rapprocher de mon vrai « moi » de musicien.