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Le nouvel album de My Bloody Valentine est disponible en vinyle (avec un vrai mastering analogique, comme le précise le groupe sur son site) - le CD est offert avec. En numérique, on peut choisir l’échantillonnage, y compris un format identique à la qualité CD. Pour son retour, le groupe a bien fait les choses.

On espérait autant qu’on redoutait ce troisième album de My Bloody Valentine, des revenants dont l’épuisement aurait pu être légitime, après vingt-deux années de course à l’arlésienne. Je vous rassure immédiatement : mbv est monumental, c’est un grand disque saignant et digne, où le groupe irlandais légendaire évite l’écueil de la machine à remonter le temps. C’est plutôt la machine à multiplier le temps que Kevin Shields et son groupe auront inventé en 2013.

On est immergé dans une familiarité grinçante dès la mélodie obsédante du titre d’ouverture, She found now (ah, les accords de guitare tordus). mbv, c’est l’anti-unheimliche. Le goût du liquide amniotique musical. Mais légèrement différent, parce que cuisiné à la fois avec les épices d’hier, et les techniques moléculaires d’aujourd’hui.

Aucune fausse note dans ce mbv : chaque mélodie est belle à pleurer (Only tomorrow ; If I am), chaque solo de guitare est incroyable. Dans la texture sonore, cet album est plus clair, mieux défini dans les aigus que les deux premiers. Le groupe en tire parti : dans le passage instrumental de Only tomorrow, on a l’impression que la guitare va faire imploser la membrane de son (probablement ses) ampli(s). L’explosion toutes les dix mesures, le temps du coda de guitare, est jouissive. On sent la frénésie du groupe à jouer, c’est incroyable. Le fade out arrive à point nommé, pile au moment où l’on aimerait que la tourne dure des heures et que le morceau suivant nous brise la cage thoracique à son tour. Vous adorez ça, forcément. Pour aimer My Bloody Valentine, il faut être un peu masochiste. Il faut aimer qu’on vous colle la gueule sur le tableau tout juste fini de peindre. Les régions du cerveau où les connexions ont lieu à l’écoute de My Bloody Valentine doivent être les mêmes qu’avec une drogue dure.

La construction de mbv est elle aussi un coup de maître : heureusement qu’il ne commence pas avec Who sees you, dont le début et la structure auraient presque été trop typiques. Mais comme équivalent des autres morceaux 3 ("Cupid come" et "Touched") dans les codes chronologiques de la discographie du groupe, la chanson est parfaite. La fin abrupte est elle aussi une réussite absolue. Viennent alors trois morceaux chantés par Belinda Butcher. Un enchaînement pensé diaboliquement, comme les phases graphiques d’une peinture dont on serait trop près pour la distinguer au premier coup d’oeil, alors que ce qui se trame dans cette région du disque est peut-être le plus beau creux d’album (à entendre comme ’chute de reins’) que j’aie jamais entendu sur un album.

Is this and yes et ses accords de clavier qui pourraient être de Stereolab est une chanson impressionniste - celle qu’on aimera retrouver à partir de la cinquantième écoute. Dans sa continuité, If I am et New you contribuent à l’étrange familiarité de mbv : impression d’entendre complètement en 2013 un morceau complètement écrit en 1992. My Bloody Valentine a inventé la téléportation simultanée en deux époques et géographies différentes : mbv est un disque de super héros.

In another way procède du même parcours émotionnel et intellectuel chez l’auditeur : exactement ce qu’on espérait, et redoutait de ne pas trouver. Cette musique n’est pas de son époque ; elle n’est pas au-delà de ses marqueurs temporels non plus (personne ne peut l’être, même Super mbv), mais elle est ubiquitaire, présente simultanément dans plusieurs temps, manières de faire, philosophies.

Les deux chansons qui referment mbv me rappellent l’impression de rupture radicale dans l’histoire musicale que j’avais eue à la première écoute d’In Utero. Mais je pense que mbv ne sera jamais un classique, toujours un disque revêche, mauvaise tête, résolument britannique dans son refus de faire partie.

Limpidité comme Isn’t anything, bruitisme d’aspirateur à neutrons comme Loveless : mbv, ce sont les deux premiers albums de My Bloody Valentine en fusion atomique, avec la présence indispensable des outils actuels d’enregistrement et de mix. Autrement dit, mbv, c’est de la chimie.




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