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Odd

— c’est vraiment un morceau d’ouverture. Il ne raconte pas l’histoire jusqu’au bout, il est tout en points de suspension. Très simple à la base, c’est souvent le morceau par lequel on commence les répétitions ou les concerts. Il nous met les pieds dans une ambiance qu’on aime explorer, et qu’on sait faire sonner. Comme pour tous les morceaux de l’album, les trois guitares ont été jouées et enregistrées ensemble, dans la même pièce, parce que nous voulions retrouver ces harmoniques étranges qui émergent de leur coexistence. Bien sûr, par rapport à Blank, qui ouvrait notre premier album et qui a apparemment marqué comme morceau d’ouverture, Odd est un peu moins original ; mais il ressemble à la musique que nous aimons faire et entendre, tout simplement.

A dawn for Lanark

— le thème est tiré d’un projet avorté de BO pour le livre « Lanark », d’Alasdair Gray. Dans ce passage, le héros, Lanark, profondément mélancolique et timide dans un Glasgow imaginaire et perpétuellement nuageux, hésite entre rester avec une fille qui lui plait, ou courir voir l’aube qui apparaît parfois quelques secondes à l’autre bout de la rue. Il choisit l’aube, court à perdre haleine, mais arrive trop tard. Quand il se retourne, la fille est partie dans un bus, et il reste là, sans but, sans rien. J’ai retrouvé en 2006 ce motif de guitare, quelque part sur un vieux minidisc, et c’est devenu, sur un 4 pistes à cassette, ce morceau qu’on a ensuite complètement redimensionné à cinq. On voulait vraiment faire passer l’hésitation, puis la course désespérée, enfin le désarroi. Ce qui explique cette construction bizarre et ce rythme asymétrique, qui laisse entendre en permanence une pulsation. Les programmations de Charlie (Cyann & Ben), dans l’arrière-plan, ont apporté un regain de tension qui épaissit l’énergie naturelle du morceau.

Something you can’t hide

— au départ, il y avait ce thème au banjo qui nous plaisait beaucoup, mais autour duquel on n’arrivait pas à construire une chanson. On a pas mal tâtonné, failli abandonner, et puis c’est arrivé peu de temps avant l’enregistrement. La ligne de chant n’a pas fonctionné tout de suite, il fallait l’adapter à nos dernières idées d’arrangement. Du coup, nous avons enregistré sans avoir de recul sur ce morceau, en nous fiant à nos impressions. Je pense qu’avec un peu plus de temps, la ligne de chant, les paroles et surtout la fin du morceau auraient été plus intéressants. D’ailleurs, depuis, nous avons trouvé une fin qui nous plaît davantage, et qui est mieux taillée pour la scène.

Fell Off The Grid

— pour l’anecdote, le nom de code de ce morceau était « FOG », à cause de la sensation nébuleuse qui s’en dégage, en particulier dans la longue introduction. Fanny a réussi à écrire un texte qui donnait un sens à ce titre provisoire, ce qui est assez fort ! Ce morceau, dont j’avais fait une maquette 4 pistes, prend vraiment toute son ampleur en groupe, parce qu’il repose sur la texture, l’épaisseur, l’attente… Nous voulions éviter d’en faire un cliché post-rock, pour nous c’était avant tout un écrin pour une chanson, et Fanny a trouvé cette ligne de chant au placement complètement étrange, qui lui donne vraiment sa raison d’être. C’est le genre de morceau qui, s’il reste instrumental, est agréable (bien que difficile) à jouer mais fastidieux à écouter. En concert, nous jouons une version différente, plus radicale, qui laisse bien la voix se poser dans la deuxième partie.

Pale or blue

— c’est un des morceau les plus anciens sur cet album, nous le jouons depuis la sortie de l’album précédent je crois, c’est à dire depuis trois ans. J’ai proposé la ligne de guitare qu’on entend dans l’introduction, tout le reste est venu en une seule répétition je crois, comme si ça devait sortir d’un coup depuis longtemps. Et depuis, nous essayons toujours de jouer ce morceau en nous souvenant de cette urgence, qu’il ne faut pas confondre avec précipitation. En préparant l’enregistrement, nous envisagions de lier la batterie à des impulsion électroniques, mais Vincent (Leservoisier), l’ingénieur du son, nous a convaincu de garder plutôt l’énergie rock et parfois « borderline » de ce morceau. Et, comme toujours, il avait raison. Vincent est autant musicien que metteur en sons. Il a l’intuition de ce qui fait l’âme d’un morceau, il ne cède pas aux modes, il n’applique pas de recette, il s’intéresse à ce qui fait la spécificité de chaque groupe. Je ne sais pas si c’est rare, mais je sais que c’est précieux.

Where you are

— voilà un morceau qui m’est venu d’un seul coup, le banjo et le chant en même temps, un soir de spleen alors que je traversais une période vraiment difficile. Cette chanson, dans sa forme initiale, est très sentimentale, mais j’assumerai toujours ça. Il m’est difficile d’en parler, mieux vaut, pour vous, l’écouter, et pour moi, la jouer. Ceci dit, pour ce qui est du groupe, c’est un morceau que nous aimons mais pour lequel nous avons des regrets, en matière d’enregistrement : nous pensons l’avoir joué trop vite, trop appuyé, trop lyrique parfois. Sur scène, ou en répétition, nous essayons de lui donner de l’ampleur mais en gardant une certaine retenue, une certaine pudeur. C’est difficile à faire en studio devant des micros…

She’s drawing

— je me souviens de la première répétition, sous la neige à Grenoble, au cours de laquelle ce morceau a pris forme. Au début, ça sonnait quand même très « post-rock », version Mogwaï, et ça n’a pas facilité les choses pour la ligne de chant. D’ailleurs, c’est le morceau sur lequel j’ai eu le plus de mal à trouver le ton pendant les prises de son. Vincent pensait à un placement très court, un peu comme Léonard Cohen, qui se poserait sur le contre-chant très planant de Fanny. Mais j’ai eu du mal à me défaire de mes habitudes de répétition, le résultat est timide. Du coup, la voix est un peu sous-mixée, ce qui donne à la version enregistrée un côté énigmatique, flottant, qui finalement fonctionne bien dans cette énergie qui va crescendo...

Naked in a crowd

— Là encore, j’avais cette base banjo-chant qui nous plaisait comme telle, et il fallait trouver les bons arrangements qui porteraient ce morceau sans en faire une ballade sirupeuse. J’espère qu’on y est arrivés… Aujourd’hui, on tenterait sans doute de jouer ce morceau encore plus près du trognon, en privilégiant le dépouillement. Charlie a apporté une petite touche mélodique très pécieuse sur la dernière partie, qui nous manque maintenant quand nous la jouons…

Goodbye

— c’est un bon morceau de fin, je crois, pas seulement à cause de son titre, mais surtout à cause de sa tonalité, mélancolique, en demi-teinte, qui passe du majeur au mineur et déboule sur une soudaine violence. Là encore, c’est issu de ce projet de BO du roman « Lanark ». Il illustre la toute fin du roman, lorsque Lanark, qui a vieilli, qui va mourir, regarde avec un mélange de sagesse, de résignation et de spleen, la fin d’un monde dans lequel il s’est débattu pour se trouver en paix avec lui-même. Le thème de guitare qu’on entend dès les premières mesures existe depuis longtemps, enregistré sur un bout de cassette en 2003. J’aurais aimé mettre cette ébauche en morceau caché, mais comme le titre est déjà très long, on a préféré ne pas le faire. Pour la petite histoire, ce morceau est vraiment le cousin de « What have we done », qui fermait notre premier album : même accordage, même tonalité, et une couleur assez semblable je crois… J’aime bien qu’il y ait, comme ça, des échos d’un album à l’autre, pour qu’ils paraissent frères d’une même famille…