Réunion au sommet entre le guitariste californien Ben Chasny – membre émérite de Comets On Fire, collaborateur occasionnel de (entre autres) Current 93 et (avant tout) prolifique instrumentiste sous l’alias Six Organs Of Admittance (dont le dernier album, Time is Glass, est sorti en début d’année) – et le producteur électro Shackleton, anglais basé à Berlin friand de projets parallèles, avec notamment Ernesto Tomasini, Vengeance Tenfold et Anika. Allons-nous assister à un improbable crossover entre folk psychédélique et bass music ? En sept amples et aventureuses compositions (pas un morceau en dessous des sept minutes), Jinxed by Being fait la part belle aux climats tortueux, aux arrangements crépusculaires et aux harmonies à bout de souffle, à l’instar de l’inaugurale prière païenne The Voice and the Pulse, chant spectral et pouls sous-cutané dédaléen, invocation nocturne teintée de carillons et de ponctuations voyageuses, dans un Orient fantasmagorique, un Orient porteur de mantras, tel celui de l’étiré Open Your Heart, qui voit une guitare folk concassée, des nappes synthétiques bourdonnantes et des samples éthérés illustrer un programme certes hippie mais tout à fait sensé (open your mind, open your soul, etc.). Plus loin, The Grip of the Flesh, mélopée slow metal western médiévale, joue au ralenti des motifs hypnotiques de guitare acoustique et des collages sonores disruptifs, maintenant une tension dark qui – sur la fin, enfin – éclate, magistral : Shackleton et Six Organs Of Admittance font décoller un Jinxed by Being jusqu’ici plutôt sage. Malheureusement, la suite – atmosphère dense mais nébuleuse – est accessoire, au point d’en devenir pénible et d’interroger la pertinence d’un tel disque, ainsi que les intentions de leurs auteurs : en conséquence, j’ai mentalement téléphoné à Ben et Sam pour leur demander quel serait le meilleur contexte pour écouter Jinxed by Being. En voiture la nuit sur une route départementale du centre Finistère ? Défoncé au spliff vaseux, à mi-chemin entre le cosmos et un canapé Ikea ? Dans un sous-marin hanté ? « Nan, mec. Pour kiffer la vibe, il fallait être avec nous en studio, au moment où on a composé cette musique. On planait tellement qu’on ne se souvient de rien, et c’est ça qui est bon, mec. » Bah oui, j’oublie souvent que la plupart des œuvres ne sont géniales qu’au moment de leur création. Pense-bête dont il faudra se souvenir absolument.