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Misère. La lose atomique. Le printemps est là, empli de promesses qu’il ne tiendra pas, robes, arbres et oiseaux chantent, je soupire : je devrais être aux Buttes Chaumont avec ma bedonnante bande d’amis quadragénaires aux tee-shirts délavés Pixies / Joy Division / Britney Spears (porté par le pseudo-décalé de service) en train de siroter du vin blanc bio et m’esclaffer de tout (le cynisme a remplacé l’humour) et admirer les photos qu’ils ont prises durant leur séjour à Cuba (« Tu comprends, là-bas, les gens vivent avec rien, quelle résilience, ils sont t.e.l.l.e.m.e.n.t. chaleureux »), mais non.

Non. Il y a que je n’ai pas d’amis (ça sert à quoi ?), et qu’en plus, chez ADA, personne ne veut se coltiner la chronique du nouvel album de The Smile, publié en janvier dernier sur le label XL Recordings, dans une allégresse générale qui certainement me facilitera la tâche (copier, coller, basta).

Deux mois. Deux mois que, dans la liste des disques à ausculter, Wall Of Eyes me fait de l’œil (ah ah) (ié soui drôle), du charme, ou un peu pitié, petit bonhomme, tu sais, je suis probablement sur terre l’individu le moins outillé pour évoquer l’œuvre de Thom Yorke et ses amis, tant Radiohead, dont par ailleurs je reconnais l’infini talent, me laisse indifférent. En trois actes, l’indigeste preuve :

1993. En terminale, au lycée Pierre Guéguin, le Porzou, Concarneau. Établissement le plus mauvais de Bretagne, selon les divers classements publiés par la presse nationale, au plus grand dam du proviseur, qui portera plainte. Je commence à jouer de la guitare, Creep fait un carton dans les charts et dans les cœurs des filles, je m’efforce de l’apprendre, je veux briller au coin du feu. En vain. C’est toujours le type qui joue Stairway To Heaven qui gagne. Je décide de me lancer dans les haïkus : « Les gouttes de pluie, noires, s’écrasent sur la vitre / J’en ai autant dans les yeux / On entend maintenant le tonnerre, majestueux. » Pas un franc succès.

1997. Cité universitaire de Kergoat, Brest. Partout, dans chaque soirée, chaque fookin’ soirée, quelqu’un passe OK Computer, un cauchemar. « Ouais mec, c’est la musique de William Shakespeare’s Romeo + Juliet, le film est fabuleux, Baz Luhrmann est un putain de génie, il va tout déchirer !!! ». L’époque où les OST, de Pulp Fiction à Trainspotting en passant par Dead Man (ronflements), vous assomment les oreilles. Et John Carpenter, c’est du poulet ?

2011. Le bac à soldes d’un supermarché à Verdun. Un euro le disque. J’en achète une palanquée, dont un In Rainbows à la pochette abominable, paru quelques années auparavant dans un brouhaha moderniste, puisque d’abord proposé uniquement en téléchargement, plus ou moins gratuitement. Gros coup marketing, succès total, ode à la liberté, était-ce compatible ? Surprise, je m’entiche d’une petite moitié de l’album, que j’écoute surtout dans la voiture, la nuit, tandis que semi-bourré l’on me promène sur les routes de province (je ne conduis pas – mon apport, en tant que passager, ce sont les conseils - « Ralentis !!! » - et la musique).

Pour ne rien gâcher, jamais je n’ai assisté à un concert de Radiohead : en 2009, je me suis rendu à Londres pour voir My Bloody Valentine, et La Tête De La Radio jouait le lendemain, pourquoi ne pas faire coup double ? Il n’y avait plus que des billets (pas trop chers) pour les personnes en fauteuil roulant et leurs accompagnateurs. Avec mon frère cadet, on s’est dit qu’on pourrait louer un fauteuil roulant, mais rien qu’à imaginer la scène où l’un d’entre nous, archi bourré, oubliant de faire semblant, se lèverait pour hurler sa joie à l’écoute d’un super solo de guitare de Jonny Greenwood, on s’est sentis mal. A la place, on a fait un barbecue sur le balcon et tiré à la carabine à plombs sur les bagnoles en contrebas de l’immeuble, dans le quartier de Kensington, et c’était bien plus cool (ou craignos, you choose).

Là, vous vous dites : mais zut, flûte, double zut, il veut en venir où le père Alix ? Il va en parler, de Wall of Eyes, ou quoi ? Bah oui, bande de coquins qui savez que je suis capable de chroniquer des disques que je n’écoute pas, je vais en parler, mais franchement, si je reprends ce qui a déjà été écrit ailleurs, ici et là, sur ce fameux Wall of Eyes, comment être plus dithyrambique que les lucides lèche-bottes de service ?

Florilège laudateur : « Ce sont les yeux grands fermés mais les oreilles pleinement ouvertes qu’il convient d’aborder ce disque aussi captivant qu’émouvant » (Mowno) / « Somptueux » (France Info) / « Un des plus beaux disques de l’année » (Rolling Stone) / « Une mosaïque de mille idées » (Benzine) / « Supérieur au premier, ce qui est tout un exploit » (Le Canal Auditif) / « (…) redouble d’ambition et surprend en tutoyant les sommets en matière d’ambient paranoïaque » (Les Inrockuptibles) / « Un album somptueux, entre grâce et fragilité » (Télérama).

Soupirs. Pendant que j’écris, que je VOUS écris, mes amis quadragénaires s’égayent aux Buttes Chaumont, entre griserie et légèreté, je devrais les rejoindre, si seulement ils existaient.

Allez, le jour décline, autant décliner avec lui, en espérant que le second album de The SmileThom Yorke, Jonny Greenwood et Tom Skinner, batteur du groupe Sons of Kemet – ne va pas me péter le moral.

Empreint d’une légèreté ambivalente, dans un mood acoustique entre chien et loup, teinté de tropicalisme tout autant que de psychédélisme soyeux, Wall Of Eyes ouvre le bal : la mélopée vocale, répétitive (une des marottes de Thom Yorke, se contenter de couplets, moi j’adhère, parce qu’en pop la tyrannie du refrain fait des ravages, pousse au crime, à l’indigestion, à l’endormissement), sert de guide-file à une chanson qui drive tout droit vers sa conclusion, nous laissant sur notre faim, mais il y a que c’est doux et beau, un peu comme un catalogue de vacances dont nous contemplerions les photographies en sepia sans avoir les moyens de rallier les paradisiaques lieux offerts à nos envies émues.

La ligne droite, certes, mais jamais Thom Yorke et ses ouailles ne sont aussi forts que lorsqu’ils ondoient ou tournoient, quoi de meilleur que des compositions ourlées de circonvolutions ? En ce sens, Teleharmonic creuse le sillon, à coups de sonorités électroniques planantes et d’arrangements foisonnants – flûte synthétique, basses répétitives, percussions exotiques –, comme s’il s’agissait d’évoquer une cage, d’en ouvrir la porte battante et d’admirer les oiseaux chamarrés s’enfuir avec grâce.

Et les guitares électriques ? Sur Read The Room, évoquant le Blonde Redhead des débuts, elles virevoltent, scintillent, dissonent puis se fondent dans une mélodie pop malheureusement anecdotique, jusqu’au retour d’un lyrisme mâtiné de passages hypnotiques bâclés. Mouais. L’enflammade promise n’est pas au rendez-vous, début d’une mauvaise impression que j’aimerais taire : les compositions me paraissent faibles, voire inexistantes, les structures copiées collées, okay, s’agirait-il d’un opus semi-improvisé ?

Je veux dire, The Smile se pointe en studio en mode « Ouais les dudes, j’ai quelques idées, on va voir ce que ça donne », mais ça ne donne rien, ça sonne paresseux : Thom est si bon qu’il peut chanter l’annuaire (et ne s’en prive pas), Jonny est si bon qu’il peut jouer l’annuaire (et ne s’en prive pas), très bien, mais l’alchimie en prend un coup, sauf à se retrancher derrière le mirage de la musique free, qui me paraît être le grand phantasme des rockeurs complexés.

Parce qu’un morceau comme Under Our Pillows, au-delà de ses motifs de guitare et sa percée kraut, c’est : blablabla et double blablabla de blablabla. Enfonçons-nous : si l’on met de coté l’abject (et traditionnel) jeu de piano de Thom Yorke (coupez-lui les doigts !!!), la sirupeuse ballade Friend Of A Friend n’est rien d’autre que la broadwaytisation lounge de musiciens qui souhaitent déborder du cadre, phénomène classique observé mille fois ailleurs. Je vous épargne et passe sur l’ignoble I Quit et ses sons synthétiques MIDI, le final Musesque de Bending Hectic et l’ectoplasmique You Know Me !, je décroche, vous aussi, je le sens, alors concluons.

Il faut prendre Wall Of Eyes pour ce qu’intrinsèquement il est – un reader digest de rock psychédélique vaguement expérimental, sans fil directeur ni colonne vertébrale, à l’image de l’époque flemmarde que nous vivons –, parce tout en lui affirme qu’il n’est rien d’autre que le plaisir qu’ont les trois musiciens de The Smile à jouer ensemble, sans contraintes (financières) ni carcans (l’attente du public) et c’est, pour Thom et ses potes, un véritable luxe : super chill, The Smile nous sourit et nous fait un doigt (d’honneur).




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