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Bug du soir, espoir. Avant de me lancer dans l’écoute de la bande son du film Rudy, ne sachant de quoi il retourne puisque jamais entendu parler (mais bon, je suis peu cinéphile), j’en googlise bêtement le titre et tombe nez à nez avec un Rudy éponyme sorti en 1993, starring Sean Astin, qui joue une sorte de gentil benêt rêvant d’intégrer une équipe universitaire de football américain, atteignant à force d’abnégation son objectif superfétatoire (quelques minutes de gloire puis retour à la case départ), réalisation mièvre à souhait signée David Anspaugh, qui m’avait néanmoins attendri (oui, j’ai vu ce navet atomique) (j’aime les obstinés) (et les navets) et que par la suite j’avais oblitéré de ma mémoire. Sean Astin, c’est Bob dans Stranger Things, le gars qui donne des conseils pourris. Deux ans plus tard, le Rudy de Peter Timm, frère de lait inconscient d’un Babe qui allait relancer la carrière de George Miller, narrait les aventures d’un cochonnet espiègle bousculant la routine d’une famille allemande, mais à l’instar de notre Rudy sportif, au niveau des dates, vous vous en doutez, ça ne colle pas, on reste dans les 90s. Alors bon sang, de quel Rudy parle-t-on ?

La Rudy mise en scène par la réalisatrice britannique Shona Auerbach – qui revient dans le game presque vingt ans après Dear Frankie (avec Emily Mortimer et Gerard Butler) – est une adolescente coincée dans un village, en quête de repères et de perte de repères (l’adolescence, quoi), dont les pérégrinations n’ont pas atteint les rives hexagonales, trop occupées à distiller – l’argent public aidant – comédies navrantes, pseudo films d’auteurs et constats sociologiques creux. En conséquence, je n’ai pas visionné Rudy, et il m’apparaît délicat de me lancer dans la chronique de sa bande sonore, sauf que d’autres avant moi l’ont fait et que, par ailleurs, l’œuvre du compositeur Akira Kosemura, remarquée en ces pages, notamment avec 88 Keys et True Mothers, mérite que l’on s’y attarde, d’autant plus depuis la parution récente de Seasons sur le vénérable label Decca, place le Japonais au cœur d’une hype amplement méritée.

Et donc, aveugle, les oreilles aux aguets, je me laisse traverser par les très courtes pièces qui constituent la trame délicate d’une bande son où les instruments paraissent saisis sur le vif, joués du bout des doigts, laissant entendre frottements, souffles et coups, le piano en tête, maître instrument qui pourrait se suffire à lui-même, nimbé dans une belle réverbération entre aube et aurore, saccades, arpèges, ponctuations, accords au bord du souffle et notes picorées de la main droite, gammes mineures, inflexions nocturnes, toujours simple, presque naïf, mais parfois offre un écrin à des sons plus expérimentaux, voire des motifs menaçants, comme sur Stolen, qui gronde et semble clore un chapitre, que Coventry prolonge avec une saisissante beauté. Bien plus tard, Lost se fera le climax grimaçant et bruitiste de la destinée chaotique de la jeune Rudy – on s’imaginera sans peine qu’elle s’est pris un mur en pleine face, mais que ses forces vitales restent intactes (Running). Au gré des 31 pistes de cette magnifique et si émouvante élégie, sans rien savoir des protagonistes du film, nous vivons, ressentons, partageons, extrapolons, déduisons et, par empathie (la grande force de la musique), espérons des lendemains meilleurs, car telle est la pente naturelle de l’humain.

Je me souviens avoir chéri le travail de John Cale sur La Naissance de l’Amour, quand bien même je n’ai vu que bien plus tard, et sans fascination particulière, le film de Philippe Garrel, parce qu’il portait en lui une narration à même de nourrir les esprits les moins fertiles. Il en va ainsi de la bande sonore de Rudy, que l’on ne regardera certainement jamais, mais qui à elle seule, grâce au remarquable ouvrage d’Akira Kosemura, donne vie – à la marge, puisque dans ma tête - à tout un tas de récits imaginaires, poignants et sensibles, qui se dérouleront au creux de nos âmes avides : bug du soir, (très belle) histoire.




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