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Un soir de printemps, Giovanni Dal Monte, dont j’avais avec grand plaisir chroniqué en août 2022 l’ambitieux Anestetico, a attiré mon attention sur son album de reprises, portant sur le répertoire de l’inestimable Billie Holliday qui, avec Ella Fitzgerald et Mahalia Jackson, a accompagné mon adolescence, pourtant dévolue à Joy Division, The Cure et Depeche Mode, groupes dont la mélancolie se nourrissait de blues, musique universelle parce qu’évoquant cette fichue sensation de marcher à côté d’un autre qui est nous mais qui nous effraie, car insatiable, incontrôlable, inconsolable.

Petit pas de côté. Quand on me sollicite pour une chronique, je réponds rarement : tant de disques paraissent, et sachant qu’une chronique me coûte au minimum une heure de mon temps libre - après une journée de bureau anesthésiante et autres obligations chronophages, lorsque je me penche sur un disque, c’est au détriment de dizaines d’autres que je n’écouterai jamais, aussi merveilleux soient-ils. Sorry, les amis.

Sauf que les travaux de La Jovenc, alias Giovanni Dal Monte, on les suit depuis 2017 et l’album Mater (« Le mur est ouvert, mais il est presque dynamité »), et que ces derniers mois l’Italie nous a régalés de disques passionnants, alors autant ouvrir grand les mirettes, d’autant plus lorsque l’on sait qu’Alessandro Petrillo (aka Nei Shi) accompagne ce projet à haute valeur ajoutée, soit la relecture de dix titres puisés dans l’immense répertoire de la Lady in Satin, dont l’existence douloureuse mériterait à elle seule – entre addictions, amours merdiques et emprisonnements – une dizaine de passionnants paragraphes.

Le traitement réservé aux compositions de la native de New-York, s’il est parfois expérimental, respecte textes et mélodies, sens du groove et sad game à l’appui. Après un Don’t Explain en guise de brillante fausse piste lynchienne (Brian Eno meets Antony and The Johnsons), la suite s’avère classique (I’m a fool to want you, Big stuff) ou sépulcrale (Lady sings the Blues, comme rafistolée par The The), mais toujours la voix, au grain ample, grave et souple, fait mouche, à tel point qu’elle devient le centre d’attraction de Gardenia (Ten contemporary songs in homage to Billie Holiday) : les yeux fermés, on la suivra jusqu’au bord du précipice.

Jazz et électronique s’entrechoquent sur Come rain or come shine tandis que l’épuré Lover Man se drape de claviers délicatement abrasifs. Pus loin, Ain’t nobody business if I do et ses samples nous téléportent dans un club de Harlem des années trente, duquel le spectral Strange Fruit nous tire les deux pieds devant, pour nous propulser dans un cercueil de nappes vrombissantes, et il faudra une petite délicatesse folk (I’ve Got It Bad (and that ain’t good)) pour nous permettre de reprendre nos esprits. Un grand merci à La Jovenc & Nei Shi pour ce road-trip jamais passéiste, qui ravive, avec amour et inventivité, le répertoire d’une artiste majeure du siècle dernier, dont l’aura traverse les époques et continue de nourrir notre imaginaire collectif.




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