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Plaisir de revoir Michel Cloup, en pleine journée promo Ici et Là-bas (qui marque sa première collaboration avec le batteur Julien Rufié). Drôle, réfléchi, détendu, intransigeant mais humble : Michel à la cool. Un mec bien, as usual.

ADA : Avais-tu une vision précise de l’album ou bien la rencontre avec Julien t’a-t-elle aiguillé ?

Michel Cloup : Je possédais déjà la vision du disque. La rencontre avec Julien, ainsi que notre travail en commun, a poussé le disque dans ses retranchements, dans des envies personnelles qui ont bien collé avec son jeu et ses goûts. Au départ, j’avais l’idée de faire un album plus long – non pas quarante minutes comme les précédents mais plutôt soixante –, musicalement plus varié, avec des formats courts (bien que l’on y trouve quand même des chansons longues). Globalement : quelque chose de plus ramassé et arrangé. Je souhaitais également explorer des choses que j’aime mais qui n’étaient pas forcément présentes sur les derniers disques. Notre Silence et Minuit Dans Tes bras tendaient vers l’uniforme. Ce n’était pas un défaut, j’ai pris du plaisir à les faire, mais tout y était cohérent. Là, j’avais envie de faire un disque partant dans des directions opposées. D’abord pour changer, ensuite car ce parti pris collait aux textes.

ADA : Le fond s’est-il adapté à cette idée de forme ?

Michel Cloup : Un peu, oui, car le disque raconte des choses différentes. Et puis il y a ce côté à la fois intime et « politique » (même si ce n’est pas de la chanson engagée), très personnel et ouvert sur l’époque. Musicalement, cela me laissait beaucoup plus de libertés.

ADA : Beaucoup disent qu’il s’agit de la dernière partie d’une trilogie…

Michel Cloup : Plusieurs personnes m’ont dit ça, oui. Il y a peut-être du vrai car chaque disque possède un thème qui est décliné : Notre Silence s’articulait autour de la perte, Minuit Dans Tes Bras autour de « l’amour », Ici et Là-bas se situe dans un domaine identitaire… On peut donc l’interpréter comme cela. Des gens soutiennent qu’il s’agit peut-être de la fin de la trilogie. Je leur réponds : « Ecoutez, je prends note et puis on verra, hein ! » (Rire)

ADA : En même temps, l’album peut également se voir comme un nouveau départ…

Michel Cloup : Aussi, oui. Il y a déjà l’arrivée de Julien et le départ de Patrice ; ce qui fait évoluer le son, mine de rien… De toute façon, j’ai l’habitude des nouveaux départs, ça commence à en faire beaucoup (Rire) ! Je ne sais même plus où se trouve le départ et l’arrivée !

ADA : Le lien entre les trois disques se trouve peut-être dans leurs aspects autobiographiques. Sauf que celui-ci est d’avantage encré dans le monde.

Michel Cloup : Complètement. Dans mon questionnement intime, j’ai réalisé que j’étais dans des interrogations malheureusement assez actuelles – par rapport à ces histoires d’origine, essentiellement. Et puis ce retour en Italie à bouleversé des choses : je me suis retrouvé prêt à partir vivre ailleurs tant je n’en pouvais plus de la France, de ce dilemme « je m’en vais, je reste ». Ce sont des choses que j’ai personnellement vécu : tu en as marre de ton pays, tu veux faire quelque chose d’autre ailleurs ; et paradoxalement, quand tu passes un peu de temps dans ce fameux ailleurs, tu réalises que tu n’y as pas non plus ta place, qu’il va falloir se la trouver, et tu reviens ensuite chez toi, dans cette France où tu ne te sens plus très bien car tu n’aimes pas ce qu’elle devient… Bon, je réduis tout ce qui est raconté dans le disque mais il y a cette idée. Et à un moment donné, je me suis dit : « c’est marrant, tu lis des articles, des interviews, tu rencontres des gens qui sont dans un même questionnement lié à la génération, aux origines, à l’identité. » Cela m’a donné envie de raconter ma propre histoire, qui pourrait résonner avec ce que peuvent traverser, de façon différente, d’autres personnes… L’idée consistait donc à partir de moi puis d’essayer d’être le plus sincère et honnête possible, pour que les gens puissent s’approprier le truc, pour que mon histoire (comme sur les précédents albums) résonne avec l’auditeur jusqu’au point de rencontre. Mais loin de moi l’idée de faire de la chanson engagée. En effet, on me parle déjà beaucoup de politique par rapport à l’album. Ici et Là-bas raconte une histoire et se place dans une époque, aujourd’hui, mais les chansons ne sont pas engagées.

ADA : Je n’emploierai pas le mot « engagé » pour définir l’album…

Michel Cloup : Oui mais tu sais, certains prennent des raccourcis rapides… La chanson engagée ne m’intéresse pas vraiment. Ce n’est pas trop ma came…. Tout dépend de ce que tu entends par « chansons engagées », mais il y a quand même beaucoup de charlots et de lieux communs. Je pense qu’aujourd’hui, juste dire « ça c’est bien, ça c’est mal, il y a les gentils et les méchants, nous sommes les gentils et vous êtes les méchants », ce n’est pas très intéressant. Le problème est plus vaste : on est tous un peu gentil, un peu méchant, tous un peu con, tous un peu perdu, tous un peu brillant… Enfin, presque tous ! (Rire)

ADA : Après, la chanson engagée, ça n’a jamais été ton truc. Tu ne fonctionnes pas comme cela.

Michel Cloup : Non, non. Mais bon : pour beaucoup, la « politique » dans le rock est un gros mot. Encore plus aujourd’hui, finalement. Car tout est dépolitisé, la musique est devenue un simple divertissement qui ne raconte plus d’histoires. Elle ne fait que reprendre des codes et des clichés qui ne servent qu’à vendre des fringues ou des voitures. Certains racontent encore des histoires ; mais, à mon goût, il n’y en a pas assez. Cela m’a beaucoup manqué, ces dernières années. Voilà pourquoi Sleaford Mods m’a fait du bien : de l’énergie, quelque chose de vrai. Tu peux ne pas comprendre toutes les paroles, mais tu devines le fond.

ADA : L’absence d’histoires, cela te manque particulièrement en France ?

Michel Cloup : Nous ne sommes pas les plus mal lotis, je trouve ! C’est à un niveau global.

ADA : Beaucoup préfèrent peut-être le slogan à l’intime…

Michel Cloup : Après, pourquoi pas ? Personnellement, j’aimerai bien entendre une chanson engagée qui soit… bonne. Mais elles retombent trop souvent sur des ficelles, sur un côté simpliste qui n’a plus lieu d’être. L’époque est tellement complexe… Il faut tout dire plutôt qu’affirmer ce qui nous arrange. Si on continue à faire semblant de parler mais à ne pas tout dire, on ne va pas beaucoup avancer. Bien sûr, la musique ne changera jamais la société – je n’y crois guère depuis longtemps – ; mais elle peut faire du bien. C’est déjà ça, non ?

ADA : Oui !... Depuis trois albums, tu te positionnes de plus en plus en tant que fils et père.

Michel Cloup :Ce n’était pas aussi fort avant, effectivement. Quand tu as des enfants qui grandissent, tu es dans une position de transmission, donc de père ; mais aussi de fils car tu fais un petit retour en arrière. Tu n’échappes pas à ton enfance. Pour moi, ces thèmes deviennent importants. Et puis les enfants, en tout cas les miens, sont vachement en demande…

ADA : Ce positionnement père / fils, depuis trois albums, a un peu modifié ta façon d’écrire, je trouve…

Michel Cloup : Parce que j’évolue dans ma vie. Cela possède une influence sur ce que je raconte, je crois. J’aime bien ça, chez les artistes : sentir qu’il s’agit toujours de la même chose mais que des petits trucs changent… Quand tu prends Smog dans les années 90 et Bill Callahan aujourd’hui, il s’agit du même mec mais tu as pourtant l’impression d’une personne différente. Quand tu suis son parcours, c’est pourtant cohérent.

ADA : Tu es également le genre de musiciens qui aiment se remettre en question. Par nécessité ?

Michel Cloup : Par envie. Par nature. Il faut être excité par ce que tu fais, il faut un peu chercher le danger. Si je sortais un nouveau disque en ayant l’impression de toujours faire la même chose, la musique en pâtirait bien sûr, et puis je ne serai pas satisfait. Car finalement, le schéma se répète : tu te poses, tu écris, tu enregistres, tu repars en tournée, puis tu te poses à nouveau, tu écris, etc. Rentrer dans un truc qui ronronne ne m’exciterait pas.

ADA : Comment s’est déroulé l’enregistrement, avec Triboulet ?

Michel Cloup : Avec Triboulet, on a beaucoup bossé en live (guitares, batterie, voix). En fonction de ce qui était bon sur les prises, on reprenait ou pas. Une moitié a donc été enregistrée en live avec quelques overdubs de guitares. J’ai également refait quelques voix car certaines n’étaient pas réussies. On a eu plus de temps que sur les précédents disques : trois semaines, ce qui était beaucoup plus confortable mais nécessaire car il s’agissait du premier avec Julien. Je savais aussi que les morceaux allaient être un peu plus arrangés, et je ne voulais pas enregistrer dans l’urgence (comme auparavant). Ce n’était pourtant pas du luxe car, même en possédant trois semaines, ce fut intense. Et puis le disque allait durer vingt minutes de plus, ce qui n’est pas rien…

ADA : Et comment se déroulent les concerts ?

Michel Cloup : Avec Julien, nous n’avons donné que quatre concerts. Cela va démarrer avec la sortie du disque mais pour l’instant nous sommes très contents… Julien est quelqu’un qui travaille et répète beaucoup, seul souvent – même si nous avons pas mal bossé ensemble car il fallait mettre en place une cohésion musicale. Il est aussi stakhanoviste que je le suis.

Je jouais avec Patrice depuis quinze ans, il y avait donc un côté… (Il claque des doigts)… comme ça ! Et avec Julien, nous avons presque atteint cela en travaillant à peine un an tous les deux. Pour un résultat homogène, compact… Après, nous sommes toujours en rodage.

ADA : Les concerts Génération X ?

Michel Cloup : C’était chouette, très cool ! Bonne ambiance. Quatre projets différents mais chacun fait son truc. On a tous la quarantaine passée, donc pas question de compétition ou quoi que ce soit. Tout le monde apprécie le travail des autres. C’est vraiment l’idée d’une soirée globale réussie. Et on rigole beaucoup !... C’était également agréable de voir l’impact sur le public : j’étais surpris de constater que les gens pouvaient tenir presque trois heures, sans pause entre les groupes. Certains sortaient fumer des cigarettes, mais il n’y avait pas de gros mouvements de foule selon les projets. Le public restait attentif, présent… Ce n’était pourtant pas évident. Au départ, je pensais que cela allait être plus difficile, ne serait-ce que pour la pause clope…

ADA : Au Petit Bain, je ne me souviens pas être sorti fumer, c’est dire !

Michel Cloup : C’est pas mal ! (Fou rire)… C’était chouette, au Petit Bain. Je craignais pourtant l’effet réchauffé. J’avais appelé plein d’amis parisiens qui s’étaient déplacés au Canal 93 mais qui ne pouvaient pas venir ce soir-là. Durant l’après-midi, j’ai eu une montée de stress en me disant « putain, y aura personne ! ». Nous n’avions aucune idée des préventes, et je ne demande jamais tellement c’est aléatoire (tu as parfois 15 préventes et 300 personnes, et parfois 150 préventes et 150 personnes !). Et puis en fait, non : le public était présent.

ADA : Sinon, en ce moment, tu écoutes quoi ? Tu as des coups de cœur récents ?

Michel Cloup : En fait, je n’écoute pas grand-chose car je n’ai pas trouvé grand-chose. Je pensais déjà que 2015 était une année difficile pour la musique, et j’ai l’impression que 2016 est pire encore. Mais là, en sortant de la période d’écriture et d’enregistrement, je n’ai pas eu le temps d’écouter beaucoup de musique. J’essaye de me remettre aux choses nouvelles… Mais c’est compliqué. Je trouve qu’il existe un flot sonore constant ; mais j’ai l’impression, avec les jeunes groupes, d’écouter quelque chose de parfois bien fait mais que je connais déjà. En même temps, durant les années 90, j’aimais des choses qui me paraissaient nouvelles parce que je ne connaissais pas encore les trucs d’avant ! Je possède également une frustration : les sorties récentes ne me parlent pas beaucoup. Là, j’ai envie d’un disque qui ne soit pas qu’esthétisant, qui ne se contente pas de reprendre un style musical… J’ai besoin d’être touché autant par la musique que par la personnalité de l’artiste. Par exemple, parmi certains musiciens anglo-saxons, je comprends la moitié de ce qu’ils racontent, mais pourtant ça me parle. J’en reviens à Sleaford Mods : leurs disques sont erratiques, mais j’accroche… J’aime surtout les vieux de la vieille qui continuent à sortir des disques : pour certains c’est très bon, et pour d’autres c’est moins intéressant… Le problème étant qu’aujourd’hui, avec cette profusion de musiques, tu passes obligatoirement à côté de choses excellentes. Il y a tellement à écouter que tu en perds forcément beaucoup.

ADA : En parlant des anciens, tu as écouté l’ultime Bowie ?

Michel Cloup : Je ne l’ai écouté qu’une seule fois, en roulant dans le van, mais je l’ai trouvé pas mal. Autant j’aimais quelques titres mais pas la production ni les musiciens du précédent, autant j’aime ici le jeu du batteur, l’omniprésence du sax, deux ou trois titres dont « Lazarus ». Effectivement, Bowie n’est pas parti en laissant derrière lui son disque le plus pourri. Je pense qu’il s’agit de son meilleur depuis longtemps – même si j’ai un peu lâché Bowie au cours des années 2000.

ADA : Et Bruit Noir ?

Michel Cloup : J’ai beaucoup aimé. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est raconté, mais je ne suis pas certain que Pascal soit d’accord avec tout ce qu’il raconte ! J’aime car Pascal, lui aussi, est reparti dans une forme plus courte, plus rythmée. Il y a une grosse différence avec le dernier Mendelson, qui est un album génial mais difficile : un aspect plus moderne, des titres moins étirés, beaucoup d’humour noir bien grinçant…

En tant qu’auditeur, j’aime autant l’option nébuleuse qu’une musique plus évidente. Cela procure du bien, aussi. Quand tu en as marre d’écouter des pop songs, tu peux t’immerger dans des morceaux de vingt minutes, et inversement. Pour moi, c’est pareil mais de manière différente.

Photos : Manuel Rufié

Merci à Jean-Philippe Béraud