Quand la poésie rencontre une des versions du post-rock (car oui, il y a autant de versions que de groupes), le résultat ne peut être qu’une explosion d’émotions toutes plus intenses les unes que les autres. Enablers l’a bien compris et maîtrise d’une main experte la force du son et des mots dans leur nouvel album, "the rightful pivot" sorti en février 2015 (déjà !). Chaque titre est comme un nouvel acte d’une pièce de théâtre, qui construit un univers sombre et tendu, parfois planant, notes après notes, mots après mots. La musique évoque tour à tour le meilleur de June of 44 ou Slint, sans être dans l’imitation tant le caractère bien trempé des guitares de Joe Goldring et Kevin Thomson transparaît à chaque instant : les ambiances créées par ces entrelacs, nappes, harmoniques, arpèges, portées par la rythmique souple mais précise de Sam Ospovat donnent tout l’espace nécessaire au spoken word envoûtant de Pete Simonelli. Sa voix grave si caractéristique vous cajole d’une caresse puis vous achève en vous poussant, phrases après phrases, à vous réveiller et à faire face à la réalité la plus brutale annoncée par des hurlements dont on ne se remet pas. Durant les presque 10 minutes de "Look", le morceau de bravoure du disque, la musique se fait répétitive, hypnotique, les vagues successives et impressionnistes laissent imaginer le paysage qui défile derrière la vitre d’un train. "Enopolis" qui clôt l’album démontre toute la maîtrise d’un free-rock ambitieux, libéré des structures et des codes.
Il faut bien l’affirmer clairement : les 8 titres de l’album prouvent que le groupe californien sait indubitablement créer des morceaux qui vous prennent aux tripes. Mais c’est en concert que prend toute la dimension d’Enablers : la gestuelle du chanteur finit de vous convaincre qu’il ne sert à rien de lutter, vous n’échapperez pas à la douce folie distillée. Et c’est bon et c’est beau, et l’on se laisse malmener avec plaisir dans ce tourbillon frénétique et hypnotique.