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Il y a cet instant où la lumière semble impossible de renaître, nos mains sont vidées de mains et quelque part, les indices d’angles, de tournants, de direction semblent ne plus avoir de sens ni de valeur. Le fil d’Ariane qui nous avait servi jusque-là à ne pas se perdre dans des méandres nommés inconnus, nommés sans dictionnaires, se coupe au cutter de l’absence, cet instant où tu es parti, et de fils on passe à être l’un, le suivant, celui qui est obligé de grandir, pour aller plus loin que l’ombre. Il a fallu grandir, Stigman, il a fallu grandir comme François Borgers et étirer sa musique par-delà l’absence, aller chercher ce son entre rage et la tendresse défaite sur le lit des jours. Je t’envie, je t’envie énormément, et non seulement comme j’envie tous les musiciens, mais surtout parce que tu laisses à l’absent un hymne, comme une carte ouverte, tu laisses un héritage à celui qui est parti, moi qui n’ai laissé que mes mots au mien (les mots s’usent plus aisément que les sons). Je t’envie pour avoir cette fragilité d’avoir créé autant de photos de familles que de titres, moi qui dois les chercher dans des albums rangés, toi qui les as en toi. Je t’envie pour la merveilleuse manière que tu as eu de parler, puisqu’il s’agit, même en musique, de parler, d’évacuer autant qu’on garde, d’évoquer autant qu’on pleure, d’avoir cette naturalité, ce sens du simple qui lui donne l’ampleur de père, de continuer dans ce style qui m’a fait t’apprécier (« Tell me the moon » est un écho infini dans ma boite crânienne) tout en allant plus loin que toi, plus loin que lui, à cet endroit où s’embrassent vos deux êtres, éternellement. Bien sûr, les premiers pas sont plus durs et le cœur est au rock (« Change your world »), puis on sent venir et rester cette chaleur sur nos peaux, et la musique se fait berceuse de mots (« February 15 », ritournelle d’images super huit), petits contes racontés les soirs où la pluie sur les carreaux faisait peur et qu’on avait besoin de sa proximité comme d’un soleil (merci pour mes sens, avec « Too close to the sun »), et puis revient la mémoire dans toute sa beauté, celle du passé aux sourires qui reviennent toujours (« Like father like son » est une pop lumineuse que Ian Broudie aurait enviée). Je t’envie François autant que j’envie Stigman d’avoir élevé ce moment si cruellement fort aux cimes du cœur, pour avoir réussi à exorciser la nuit pour en faire un jour, et d’avoir dédié ces perles parfois songeuses, parfois tristes, cherchant le sourire entre murs et cliquetis, à cet absent gravé dans tous les sillons de cet infini « Fathers » et d’avoir eu l’art de poser tes notes sur ces jours, et bien que de Clapton à Glasvegas en passant par tous les autres ont créé des perles pour leurs pères, je dois avouer que la tienne est une œuvre ciselée dans le vrai, le naturel, et au-delà de tous ces artistes (j’y ajoute The mission UK pour que vous voyez un peu la variété et l’ampleur de ce thème d’« aime », d’ « aimer » et d’« à jamais »), elle a le don d’être aussi belle qu’un dialogue banal entre un père et son fils, de ces dialogues qui mettent des lueurs dans les yeux du petit cent ans plus tard encore. Oui, je t’envie autant que j’adore ce disque né de maux et fait de beau, sans être requiem, sinon un pas de plus dans sa lumière.