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  • 30 octobre 2015 /
    Stigman
    Fathers titre par titre

    réalisée par gdo

J’ai commencé l’écriture de « Fathers » lors des derniers mois de la vie de mon père et l’ai poursuivie après son décès en février 2014.

Amoureux de littérature et de cinéma, mon père avait beaucoup d’humour et un style très « british ». Elégant, mélancolique, sentimental et secret.

Il nous a appris à ressentir.

Avocat puis juge à la fin de sa carrière, il est notamment l’un des trois magistrats qui a jugé M. Dutroux en Cour d’Assises. Ce procès l’avait fortement marqué.

Mon père était aussi un bon vivant, un fumeur invétéré et il en a payé le prix fort.

Change your world (part 1)

Tout l’album est conçu comme une histoire, un dialogue, du fils à son père, du père à sa fille, de l’enfant à ses parents, des parents aux enfants. Un hymne aux absents et à ceux qui sont toujours présents.

Ce premier titre évoque des retrouvailles entre deux proches. Le problème est que l’un va très mal et l’autre voudrait le sauver, ce qui va s’avérer compliqué… Finalement, l’histoire dit qu’il est très difficile de changer l’autre, on peut juste l’aimer et le réconforter.

Don’t deprive yourself of being happy

Le père parle à sa fille. Malgré les drames, la vie continue, et il ne faut pas se priver d’en profiter.

Au fait c’est ma fille, Lou, que vous voyez sur la pochette de l’album. Tout l’artwork a été réalisé par le photographe Olivier Calicis à partir de photos que j’ai prises d’elle lors d’un voyage en Malaisie.

Real lady

A côté des pères, il y a aussi les mères. Quand j’étais gamin, je faisais un cauchemar récurrent où je voyais ma mère se transformer en quelqu’un de peu recommandable, son double machiavélique, la méchante mère qui veut abandonner ses enfants… J’étais content de me réveiller et de voir la vraie. Il y a des réminiscences de ce cauchemar dans le morceau.

Le cadre, cela pourrait être un tableau de Hopper, « Nighthawks » par exemple, le plus célèbre. L’actrice, ce serait un personnage féminin qui m’a marqué au cinéma, « Une femme sous influence », « Sue perdue dans Manhattan » ou « Wanda ». Isabelle Huppert dans « La Dentelière ». Sans oublier « Alice ne vit plus ici ». Elle a voulu prendre le large, comme ma Real lady…

My dad has gone away

Dans « Little big man » d’Arthur Penn, le vieux chef indien dit cette réplique formidable à la fin du film : « C’est un beau jour pour mourir ». Puis il part seul dans la montagne pour vivre ses derniers moments.

J’aime cette idée de partir se ca cher pour mourir, de se retirer dans sa propre solitude, ultime, par pudeur, pour ne pas perturber la vie de la communauté. C’est l’élégance suprême.

Look at the ceiling

Une nuit d’insomnies, le plafond blanc de ma chambre à coucher s’est transformé en écran de cinéma et j’y ai vu défiler les images du passé. J’aurais aimé que, comme dans La rose pourpre du Caire, les personnages sortent de l’écran et viennent jusqu’à moi ;

Cela ne s’est pas produit alors j’ai imaginé.

I’ll never send my love to hell

Une chanson d’amour : « Je n’enverrai jamais mon amour en enfer ».

Deep end

L’expression « to be thrown in at the deep end » veut dire en français « être mis tout de suite dans le bain ». C’est un peu ce qui nous arrive quand on « débarque » sur terre.

Lucrèce, le poète latin compare le nouveau-né à un naufragé. On m’en avait parlé à l’école. Ces mots du « De Rerum Natura » sont restés gravés en moi :

« Et l’enfant ? Comme un marin par les flots cruellement

Rejeté, il gît par terre, nu, incapable de parler,

Sans secours pour vivre, dès qu’aux rives du jour

La nature en travail hors du ventre maternel l’a vomi.

De vagissements lugubres il emplit l’espace,

Justes plaintes quand la vie lui réserve tant de maux »

Family Life

Une bluette expérimentale sur le sens de la famille.

C’est aussi un film de Ken Loach sur la maladie mentale. Une critique radicale de la psychiatrie.

« C’est une famille comme les autres. Une famille anglaise vivant dans la banlieue ouvrière de Londres, le genre d’endroit qui fascinera toujours ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. Il y a le père, la mère et la fille, Janice. La fille aînée, elle, s’en est sortie (de la famille). Janice vit mal. Et personne ne comprend, surtout pas ses parents qui « l’aiment », qui l’ont « bien élevée ». Comme elle l’explique à son psychiatre, elle a pourtant eu « une enfance heureuse ». Mais aujourd’hui, elle est « mauvaise » (Libération, octobre 1996)

We have died so many times

J’avais en tête le « Requiem » de la poétesse russe Anna Akhmatova. Je m’en suis inspiré. Je dois avoir l’âme un peu slave…

« Vois ces deux montagnes, de même

Nous serons toujours séparés,

Mais par cette étoile que j’aime

Offre-moi ton salut doré.

Ce cœur ne répondra jamais

A mon appel...tout est fini ;

Mon chant s’envole dans la nuit

Où tu n’es plus, toi que j’aimais... »

Ferbruary 15

Une date que je ne pourrai oublier.

Dans l’album, j’ai voulu que ce titre soit instrumental, c’est le seul de l’album. L’auditeur peut y mette ce qu’il veut, voir ses propres images défiler.

J’aime beaucoup l’idée de G. Mazel dans la chronique d’ADA d’une « ritournelle d’images super huit ».

Too close to the sun

Le mythe d’Icare revisité, pour devenir « la chute du père ». Marcher au fond des mers et brûler ses ailes en volant trop près du soleil.

Dédale avait prévenu son fils Icare de ne pas s’approcher trop près du soleil dans sa fuite, la chaleur pouvant faire fondre ses ailes faites de cire. Icare, grisé par le vol, oublia l’interdit du père et prit feu…

Like father like son

Les ressemblances entre parents et enfants. « Le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre » comme disait l’autre.

Un ami peintre, Thierry Robrechts, dont le soutien et les conseils sont très importants dans mon travail, me disait qu’en écoutant ce morceau, il se revoyait dans la cuisine familiale, avec ses parents, les papiers peints seventies, la table en formica … c’est exactement ça.

Change your world (part 2)

Mon histoire de pères se termine par le titre d’ouverture de l’album, en acoustique. C’est ma façon à moi de dire « Au revoir », en douceur.

Dois-je ajouter qu’on ne t’oubliera pas, Michel ?

Photos de Olivier Calicis