> Critiques > Autoproduits



Il y a de cela très longtemps, trois fois rien à l’échelle de l’humanité, j’avais parlé d’un disque de Emmanuel Mailly comme d’une expérience unique et déroutante, ne pouvant sans un certain lâcher-prise parler de cette musique. Car si Emmanuel Mailly est professeur de mathématiques dans la vie où il faut payer les factures, il propose avec sa musique de construire une grammaire qui générerait des inconnus que des équations seraient bien incapable de résoudre.

Dans ce carcan supposé, Emmanuel Mailly propose une direction presque antinomique. Si le champ du possible semble au premier abord consanguin avec le plus petite cellule du corps d’une paramécie, Emmanuel Mailly ouvre grand le champ du réel, l’emmenant même dans les grands espaces, et quoi de mieux que l’Ouest américain et ses étendues où seuls les chevaux perçoivent ce que l’horizon cache, pour promener cette musique.

Ce sont donc des westerns que nous propose Emmanuel Mailly, des scènes possibles dans des temps différents, des espaces aux tailles diverses. On entre dans ce disque, au figuré comme au propre, « Entre » étant le premier titre. Enregistrement improbable d’une tribu indienne ? Construction d’une ligne de chemin de fer dans un far West qui fait sortir de terre des villes ? Tout est suggéré, entre pureté et poussière. Un décors posé il est temps de présenter des personnages qui évolueront dans celui ci. Ce sera avec « Blues Two ». Un guitariste au stetson bien accroché semble entamer une sorte de valse futuriste avec une indienne qui elle danse en chassant les traces avec ses pieds. Le Blues est tout aussi riche que la pierre que le chercheur d’or cassera pour trouver une pépite. Emmanuel Mailly est un riche chercheur d’or. Il est l’heure alors d’aller se coucher avec « It’s pouding outside » chanson de fin de soirée. Mantra sans souffle mais avec l’âme rompu à la triste dureté de la vie.

Le réveil se fera dans une forme de futur, le temps de « Red Moon » Un robot dont les rouages auraient grippés son bon fonctionnement, tente de rivaliser avec un Ry Cooder buriné. Il en ressort une pièce électrique qui essaye de se fatiguer, de tendre vers l’épuisement pour arrêter. Comme si Mogwaï croisait le fer dans un John Ford cogné par le soleil. Réveil singulier, et suite dans des « Dirty Boots » sur le plus roots des morceaux, le plus inquiétant, le plus aventureux, comme un épisode de Twin Peaks jumelé avec Deadwood.

Après les déflagrations, il est temps de se mettre à la recherche de la note pure (Blues Solo New) la quête du silence qui accompagnera le mieux les sons. Un morceau lancinant qui refuse de se lancer véritablement dans une boucle qui pourrait être interminable. Le blues est ici dans des éprouvettes.

Après le blues c’est au jazz de mettre des éperons (Mingot Jazz). Le cheval pourra alors se cabrer, devenir un histrion plutôt qu’un simple animal rudoyé par des hommes.

Arrive alors « Lefthander », le titre le plus étrange, le plus caverneux, le plus spongieux, comme une lente et longue avancée dans un tunnel sans fin. On pourra sortir exsangue de ce titre hypnotique dans sa version la plus élastique. Tels des papillons de nuits se fracassant contre une lumière artificielle, nous sommes attirés par le bruit, ces battements d’ailes, sans nous apercevoir que le cowboy partait.

Car oui le cowboy part (Cowboy’s going out), la démarche assurée, la guitare tranchante accrochée dans le dos, le piano se chargeant d’amener le générique de fin, comme ces vieux films muet, le the End clôturant un générique pendant lequel Emmanuel Mailly pourrait nous donner les bonnes adresses où il trouve ces pépites sonores.

Le Western moderne est ici dépareillé de ses artefacts fumeux, pour ne garder que ses idiomes les plus imposants, retranscrits dans un environnement musical qui ressemble aux grandes heures de la conquête de l’Ouest.