Pourquoi vous parler de Jazz en ces pages d’A Decouvrir Absolument, résolument tourné vers les musiques indépendantes ?
Peut-être car d’une part le Jazz n’est ni un vilain ni un gros mot mais peut-être aussi car le Jazz est la terre de toutes les expérimentations.Est-ce dû a l’improvisation comme seule loi du genre ?
Ils sont trop nombreux les artistes passionnants qui officient aujourd’hui sur ces territoires là pour que l’on puisse les énumérer ou même à peine les évoquer ici .... Héritier de Davis et de Hassel, Arve Henriksen prolonge les investigations entre un jeu de trompette complexe et son falsetto androgyne tant en solo qu’avec son projet passionnant et radical de groupe Supersilent.
Citez moi là tout de suite dans la Pop quelqu’un qui essaie d’affranchir les codes .... Là sans réflexion.... Alors ? Bon je triche car j’y ai déjà pensé, je vous citerai David Sylvian qui souvent déroute dans ses démarches à tiroirs, qui l’air de rien dépoussière les chemins trop balisés.
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que justement l’ancien chanteur de Japan et Arve Henriksen ont déjà collaboré plusieurs fois ensemble. Cette même science de la construction sonore à partir de rien....
"Places of worship" joue avec les textures, l’espace comme des réflexions sacrées de tout ce qui nous entoure ("Adhan"), comme les réverbérations d’un Muezzin imaginaire.
Ce n’est qu’une suite de dialogue entre réalité et transfiguration de la nuit.... Entre un "Bilitis" sans grâce et l’errance dans des villages engloutis. Faisant fi des frontières, le norvégien mèle Europe du Nord et Asie dans des rêveries que Satie et Shankar ne renieraient pas ("Saraswasti").
Il faudra parfois plonger au fond des mers pour enfin voir les traces de nos histoires que nous voudrions oublier avec Chet qui n’en finit pas de mourir ("Le Cimetière Marin")....
Entre les algues, le vert mordoré, le froid du sable, l’à peine pâleur qui recouvre la surface des choses...
Andrei balade sa douleur tranquille et sa nostaghia dans cette brume marine entre stridence et soubresaut bienvenu ("The Sacristan")
Entre vide intérieur et soif de mysticisme, Arve Henriksen ne sait où se situer.... Devant lui un mur des lamentations où siègent aussi Jan Bang et Erik Honoré.... Ce falsetto qui vous hante et vous élève, à la limite de l’aisance, à la volonté de se déchirer ("Lament")
Evoquer Hassell quand on écoute Arve Henriksen semble évident dans cette même communauté d’idée d’aller puiser dans le domaine de la religion, l’église orthodoxe et les sons nords africains ("Portal") mais il y a aussi du Boards Of Canada, du Lucky Pierre (projet électronique d’Aidan Moffat ex Arab Strap) dans ces effluves là...
Il convoque également l’Espagne et son flamenco déchirant dans des couleurs locales frelatées et éreintées mêlées aux bruits d’une ville et de son industrie, d’un train et de son imaginaire ("Alhambra").
Jamais très loin de la climatique du murmure, "Places Of Worship" voudrait planter ses nouvelles racines mais regarde trop le ciel pour conserver sa main dextre et verte ("Bayon")
Nous nous réveillons dans des terres inquiétantes.... Stalactites qui cassent, roches qui s’éboulent, gouffres qui ne sonnent plus l’écho, lieux sans transcendance, chant sans foi, chant sans joie.... Peur maîtresse ("Abandoned Cathedral)
Puis vient le retour des certitudes, de la perpétuation de soi. Malgré son titre éponyme, "Shelter From The Storm" n’a rien à voir avec le titre de Robert Zimmerman. Proche des derniers travaux d’Olafur Arnalds qui a fait s’infiltrer la voix dans son travail comme un Chaplin timide et timoré passant du muet au parlant. Le phrasé si particulier d’Erik Honoré apporte quelque chose de plus, un supplément d’âme à cette oeuvre sombre et complexe, labyrinthique qu’est "Places Of Worship"....
"You are my signature
The hand that writes my future
The hidden epitaph
The words beyond my reach
So give me shelter from the storm"