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J’étais trop jeune en 1977 pour percevoir réellement le choc Punk. Je suis né à la musique dans ses répliques Post-Punk.

Pourtant, à l’époque, très vite, ce sera The Apartments, Atzec Camera, Style Council et The Monochrome Set qui me marqueront l’esprit et me montreront le chemin.

Qu’avaient en commun ces groupes ? Peut-être ces bascules entre la Pop lumineuse de Scott Walker et les envies tropicalistes de Milton Nascimento ? Chez ces artistes là, je ressentais aussi ces envies Northern Soul si spécifiques à la Pop d’Outre-Manche quand certains plus intrépides partaient du côté du Jazz. De Paul Weller aux oubliés Working Week, ce sont eux qui m’ont amené vers la Note bleue. Sans eux, jamais je n’aurai écouté Coltrane, Archie Shepp ou Dexter Gordon.

Mais ne brûlons pas les étapes. En ces heures-là, il me faut être encore apprivoisé par une Pop qui prend ses racines dans les musiques Black.

Du Ragtime à Curtis Mayfield, que de temps il m’aura fallu pour accepter d’aller au delà de mes préjugés et autre a priori...

Pour moi, ces musiques là n’étaient que des musiques futiles de fête rayonnantes mais superficielles. Je pensais que la profondeur se mesurait au poids du chagrin de l’auteur...Le désespoir était la seule loi.

Ce fut des œuvres comme "The River Suite" à la croisée des chemins entre musique savante, Jazz et B.O qui m’ouvrirent ces horizons là...

C’est étrange comme l’histoire se répète, combien elle nous prouve qu’elle n’est finalement qu’un cycle. De crise financière en crise morale, de progrès en déception, l’histoire n’est pas une évolution en marche, plus une stagnation en progrès.

La musique, finalement, ce n’est que de l’histoire mise en notes. Il y a cette même volonté de passation de pouvoir, de transmission. Ce même phénomène du jeune qui s’inspire de l’aîné, parfois quitte à le piller.

Je ne sais pas pourquoi je n’ai jamais oublié ces mots de Simon Booth, le leader des Working Week, projet jazzy éphémère au mid eighties. Dans ce vieux Rock and Folk de 1985, il nous expliquait que pour lui tout avait commencé avec Victor Jarra,ce guitariste chilien mort trop tôt que l’anglais comparait à Nick Drake. Il parlait de son envie de transmettre, de faire rayonner cette musique méconnue (Violetta Parra, Mercedes Sosa). Il considérait que pour la musique progresse, il fallait reconnaître ses influences comme un patrimoine intime.

Etre musicien, est-ce d’abord être un passionné de musique ?

Etre passeur de mémoires comme on fait franchir les frontières aux apatrides.

David Garlitz est de ce parcours de gestes là, de cette volonté, de cette nécessité.

En posant ces quelques mots sur "A Poor Man’s Pocket", c’est à tous ces passeurs là que je rends hommage... Sans Peter Milton-Walsh, pour moi Sinatra serait toujours un vieux chanteur amidonné et ringard.

Longtemps pour moi, la musique d’Amérique Latine,ce fut la Bossa Nova trop festive pour ma propension à la mélancolie... Je n’entendais encore rien à ce spleen des tropiques. De ce continent là, seul celui du nord Anglo-saxon comptait à mes yeux...

En entendant "Hija Mia", je revois cet adolescent découvrant cet album de Frankie avec Jobim...Prenons nous à rêver de revoir ce type de choc renouvelé dans le regard d’un adolescent d’aujourd’hui.

Dans ces musiques des pôles tropicaux, il y a toujours ces antagonismes entre nomadisme et tristesse infinie.

Longtemps pour moi, Steely Dan fut une énigme. Je n’entendais encore rien à cet univers intimidant que je savais savant. Il m’en fallut des écoutes pour en appréhender toute la beauté ("Your Gold Teeth II).

Je me rappelle aussi ma première écoute de "Clube Da Esquina", de cette révélation de Vincennes....

Je me rappelle cette prise de conscience... On peut être révolté sans faire de bruit.

Je me rappelle de mon adolescence, état de fantasmes permanents, ces visions de Torch singers, ces premiers orchestres mixtes, mi black mi blancs ("A Rich Man’s Eye")

Je me rappelle ce bouquiniste dans ma ville natale, Place Guerin... Ce bouquiniste qui existe toujours, vieil anar ombrageux.

Je me rappelle ces étagères avec tous ces ouvrages attirants. Je me rappelle de mon regard qui se pose sur la tranche d’un livre, d’un titre, "La Rage de vivre"... Un instant incrédule, je me demande ce que fait l’adaptation d’un des films de James Dean ici mais très vite, je me rends compte de mon erreur.

L’auteur est un certain Mezz Mezzrow, jazzman blanc et juif ayant vécu les tout débuts de cette musique révolutionnaire.

Proche d’Armstrong, de Bechet, de Biederbecke, il nous raconte sa vie dans les bouges des années 20 avec les spectres de la prison et de Jim Crow jamais très loins.

Mais aussi cette impossibilité de communier avec le ghetto. Aujourd’hui, tout est plus simple, tout est fusion... Entre variété des années 50 ("Je mélange tout"), le funk solaire du King of Soul ("I like the way you move") et la mélancolie des quartiers pauvres de Recife ("Luna Y Mar")

Le monde d’aujourd’hui ne ressemble plus à celui de ces pages jaunies de ce vieux livre de poche... Nos villes changent malgré nous et confondent nos repères et nos jalons...

Malgré cela, nous avons déjà parcouru ces rues avec Josephine Foster ou son compagnon Victor Herrero, ces artistes qui rendent le monde infiniment petit, qui nous rendent juste anecdotiques.

Avez-vous déjà rêvé au mariage musical de John Martyn et de Nick Drake ? ("The Starlit night of her eyes")

Savez-vous qu’il y a du Jazz dans la monotonie bonhomme de Georges Brassens ? ("Ton petit bébé")

Il est des musiques cannibales qui se nourrissent du parcours de leurs aînés, qui plongent tout autant dans la transe vaudoue des défilés de mardi gras cajuns que dans les chants primitifs, qui ravivent les vieilles mélodies de Hart et Rodgers, celles de Cole, celles de Chet ("I Wanna Eat You Up")

Il me remonte ces musiques aux temporalités imprécises. Alban Berg, Eden Abhez, ces auteurs d’entre temps ("Blue Skies")

Et puis il y a ce ballon rouge qui ne quitte jamais ce ciel pour toujours bleu, ce ballon rouge toujours accessible dans ces faubourgs du Paris de 1956... Tiens regardez qui vient de passer, la mélancolie vagabonde de l’ami Henri Callet... Ah voici ce vieux brigand de Calaferte... Mais prêtez bien l’oreille... Vous entendez qui monte du bas de la rue la guitare assassine de Crolla.

Sur le trottoir trempé de pluie claquent les godillots de ces gavroches, de ces gamins des villes d’avant les cités et d’avant le Verlan ("It’s all Downhill")

Sépia est la couleur, chromés sont les zinc ou nous attendent des galopins de bière bon marché ... Souvenir est la teinte ici...

Dans ces poches là qui n’abritent rien, rien d’autre que des mains, celles d’un homme de peu...




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