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  • 21 août 2012 /
    Angil
    L’interview

    réalisée par Barclau

— Tu as un côté songwriter, la musique est très élaborée. Comment équilibres-tu musique et textes ?

Les textes sont sortis assez facilement cette fois, parce que j’ai ciblé assez vite de quoi j’avais l’intention de parler. Généralement, j’ai une phrase ou deux au départ. Le phénomène des accents toniques anglais induit une mélodie en soi, que je transforme en suite d’accords. Je compose beaucoup mentalement ; je joue très peu de musique chez moi. L’aspect physique, la matière, ça vient dans un deuxième temps, en groupe.

— L’album paraît parcouru de références, notamment Tom Waits, Nick Cave et plein d’autres. Est-ce volontaire, comme une façon d’avancer en faisant des clins d’œil ?

J’ai besoin de références de départ, oui. Quelques mois avant l’enregistrement, j’ai envoyé cette playlist aux participants à l’album : http://www.youtube.com/playlist?lis.... Ensuite on l’a digérée, on n’en a pas reparlé pendant l’enregistrement : les éventuels clins d’œil sont donc purement instinctifs. C’est drôle d’ailleurs, dans la playlist il n’y a ni Tom Waits ni Nick Cave.

— Pourquoi "Now" ?

Aucune idée, pour une fois. C’est le titre qui m’est venu en tête dès le départ. Pendant l’enregistrement c’était comme un cri de ralliement, une invitation à ne penser qu’au présent, à la vérité du moment ; je continue d’en comprendre d’autres interprétations aujourd’hui. C’est un titre qui n’a pas fini de me parler, je crois.

— Comment se passe la composition, est-ce que les morceaux sortent d’une ou de plusieurs têtes ?

Ce sont les rythmes qui sont venus en premier, pour la plupart des chansons de NOW. Je les ai formulés à Flavien, qui les a interprétés à la batterie : on a commencé comme ça, à deux. Ensuite les paroles, et enfin les mélodies. J’écris la trame, les enchaînements d’accords, puis les Hiddentracks sont actifs dans l’écriture de leurs instruments respectifs – surtout Francis, le saxophoniste. En gros, dès qu’un arrangement sonne un peu tarabiscoté et/ou dissonant, c’est du Francis Bourganel.

— On dirait que tu as écrit les textes comme pour une sorte d’album concept, où tout est relié. Est-ce un hasard dû à une humeur particulière lors de la période de gestation ou une vraie volonté ?

Une humeur très particulière pendant la gestation, oui. J’ai écrit vite et de manière assez obsessionnelle, tous les jours sur une période assez courte, ce qui explique aussi les liens évidents entre les textes. Même si NOW est loin d’être un album concept, en tout cas par rapport aux trois albums précédents. Mais bon, je suis un peu naïf de t’écrire ça : au fond, tout album est fondé sur un concept. Même ceux qui ne le sont pas, voire surtout ceux-là !

— Dans le processus de composition, est-ce que vous faîtes avec ce qui vient, du genre "tiens il est cool ton riff on va en faire un truc", ou plutôt en pensant à l’atmosphère avant, en cherchant déjà quelque chose de particulier au préalable ?

Le fait que je donne une sorte de scénario musical de départ facilite la composition collective. Je ne fais pas du clé-en-mains non plus, j’attends des Hiddentracks qu’ils me surprennent, mais mon idée de base est quand même assez précise : je donne à tous la grille d’accords, quelques mots descriptifs, et chacun ouvre ses propres fenêtres sur cette fondation. « Tiens, il est cool ton riff », c’est plutôt quelque chose qu’on pourrait se dire dans un deuxième temps, celui de l’écriture des arrangements. Par ailleurs, entre nous, de plus en plus de choses passent dans l’instinct, la non-verbalisation – ce qui me comble.

— Parfois on dirait qu’il y a un narrateur ? Les photos font penser à des coulisses de théâtre, l’album et les titres à une pièce. Est-ce une façon de représenter l’art dans son ensemble et la musique comme une de ses parties ?

On cherche clairement à raconter une histoire, oui. Si c’est ce que tu as ressenti, tu ne peux pas nous faire plus plaisir. Quand il y a narration, il y a mouvement : il se passe quelque chose. Sur l’aspect visuel, l’ami Guillaume Long a décidé de faire des portraits des Hiddentracks au cours de l’enregistrement, et en a profité pour restituer l’ambiance du lieu incroyable où nous étions, le Gran Lux (un cinéma à Saint-Etienne dans une ancienne usine). Je suppose qu’on pourrait présenter NOW comme un objet artistique, oui, où la musique serait certes l’élément principal, mais pas exclusif.

— Il y a presque un paradoxe entre les textes écrits, comme par un enfant, faussement naïf (car je ne parle que de la police), et les photos très travaillées. Est-ce juste un choix esthétique ou y’a-t-il un sens particulier ?

C’est tout Guillaume Long. Son travail me touche, je dirais même qu’il m’émeut profondément, parce qu’il mêle un angle esthétique véritablement adulte (les photos travaillées sans être putassières ou archi-modernes) et une relation enfantine, ancestrale, à l’écriture (les gribouillages, l’humour des petites illustrations).

— En plus de l’univers graphique, chaque morceau a une illustration vidéo, reliée à l’enregistrement. Est-ce une volonté de dévoiler le travail en œuvre, les interactions entre vous ?

Oui, c’est une manière de « montrer le dispositif », comme écrivait Christian Metz. Je tenais aussi à ce qu’une vidéo de chaque morceau existe, parce que je découvre aujourd’hui beaucoup de groupes en me servant de Youtube comme d’un moteur de recherche. Ce qui est intéressant, dans ce travail de Cédric Lamarsalle, c’est qu’on ne voit pas vraiment nos interactions, au bout du compte : on a plutôt l’impression que dans chaque clip, l’un des Hiddentracks déambule dans le Gran Lux à la recherche de quelque chose. Peut-être des autres.

— La musique est très composée, les textes aussi, et l’album est lui aussi une vraie entité. On dirait qu’il est symétrique, ou composé en actes. Quelle logique a guidé l’ordre des morceaux ?

C’était purement physique : comment la fin de telle chanson fonctionne avec le début de telle autre. On a changé deux ou trois fois, jusqu’à découvrir l’ordre qui s’imposait comme évident.

— Dans "Opening scene", il y a un couplet "and the songs grow...two drums", où tu décris ce qu’est Angil. Le texte devient presque une didascalie à ce moment-là. En fait tu sembles donner beaucoup de fonctions à tes textes. Si tu peux nous expliquer un peu comment tu vois l’écriture ?

C’est complètement ça, en particulier pour NOW. Je décris ce qui se passe, ce que je désire. J’essaie de parler de la vérité. L’écriture est ce qui me tient, dans tous les sens du terme. Je suis debout grâce à ça, et j’y suis attaché, lié, parfois ligoté. C’est aussi un masque magnifique, l’anglais. C’est l’occasion de dire tout ce qui ne sortirait pas en langue maternelle.

- A part faire des bons morceaux, Angil & The Hiddentracks semble poursuivre un objectif particulier, avec un discours fort. La musique est beaucoup mise en question, par exemple dans "I have stopped wondering" avec le couplet qui commence par "it’s too late". Peut-on dire que les textes et la musique d’Angil sont le reflet d’une vision de la musique ?

Oui oui, encore une fois dans le mille… j’ai effectivement une vision assez solide de ce que je veux, et de comment l’exprimer, maintenant. Je suis fier de notre parcours, du fait qu’on n’ait jamais eu à se compromettre. Ça ressemble à un discours formaté, ce que j’écris là, mais c’est passé par des choses très concrètes depuis des années : refus d’adhérer à la Sacem, d’acheter des encarts de pub pour avoir du rédactionnel dans la presse écrite, de sous-traiter telle attachée de presse parisienne, tel manager spécialiste en subventions, etc. Je me souviens d’une interview de Mark Ibold, de Pavement, où il disait en gros : ‘Pour nous il y a deux catégories de groupes : ceux qui ont un manager et les autres.’ Je sais à quelle catégorie on appartient, et ça fait plaisir de savoir qu’on a raison.

Interview réalisé par Barclau